Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
De toutes les femmes avec qui j'ai parlé, Libia Moira fut la plus réticente à me conter un peu sa vie. En premier lieu, elle voulut savoir pourquoi j'avais autant envie d'écrire des histoires de femmes et, dans un deuxième temps, elle me demanda s'il ne serait plus facile que j'inventasse mes histoires plutôt que de voyager de par le monde et de faire parler les gens, pour tout retranscrire ensuite.
Ce roman, traduit du brésilien par Paula Anacoana, nous offre treize magnifiques portraits de femmes...
Une très belle découverte !
Maria du Rosaire immaculée, a été enlevée à sa famille sous les yeux de ses parents et de sa fratrie. Elle mettra des années à retrouver la trace des siens et à revenir dans son petit village natal.
Isaltina Campo Belo est tombée enceinte suite à un viol collectif. Sa vie n'a plus jamais été la même, et elle n'est plus retournée à son travail...
Mari Bendita a tout fait pour découvrir le monde, Rose Dusreis, elle, pour devenir danseuse. Pourtant cela semblait impossible à ces deux petites filles noires...
Lia Gabriel a été abandonnée par son mari, trop lâche pour assumer leur enfant malade. Il a fallu qu'elle se batte seule et qu'elle préserve ses enfants du regard des autres.
Et...puis il y a les autres. Elles sont treize en tout, treize femmes qui nous racontent un pan de leur vie, nous expliquent comment elles se sont battues pour arriver à survivre, à réaliser leur rêve, à s'en sortir seules, parfois aidées par leur famille, et soutenues par l'amour de leurs enfants, parfois non.
Résister est devenu leur combat quotidien, une lutte indispensable pour faire entendre leur voix et être enfin reconnues.
Je n'oublierai jamais l'image de mon enfant nue, perdue, honteuse devant moi, ses sœurs, et les voisins...
Et c'est bien vrai, que tout se répare. J'ai réparé ma vie, dont les ressorts rouillaient. Toute seule, j'ai imprimé de nouveaux mouvements à mes jours. Je l'ai fait pour moi et pour mes enfants.
En découvrant ces récits de vie bouleversants, le lecteur ne peut qu'être admiratif devant cette forme de résistance, cette force que ces femmes ont dû déployer, pour pouvoir laisser derrière elles les stigmates laissés par des années d'esclavage, pour avoir enfin le droit au respect, le droit de s'affirmer, le droit d'exister tout simplement en tant que femmes, loin des clichés misogynes toujours bien présents dans nos sociétés modernes.
Les dégâts du colonialisme perdurent. Les descendants de ces hommes et de ces femmes qui ont été privés de liberté pendant des décennies, doivent tenter, pour se reconstruire, de renouer avec la mémoire de leurs ancêtres.
La narratrice vient toquer à leur porte pour inciter ces femmes, à raconter leur histoire.
Certaines sont plus réticentes que d'autres, mais toutes n'ont qu'une envie : faire entendre leur voix et montrer qu'elles ont droit, elles aussi, à l'amour et au respect, quelles que soient les différences sociales et culturelles, comme en témoigne d’ailleurs Régina Anastasia.
L'auteur, Conceição Evaristo, a toujours lutté contre toutes les formes de discrimination raciale, encore trop présentes au Brésil. Elle écrit comme on entre en résistance et s'est engagée politiquement pour faire passer son message.
Ses mots sont à la fois poétiques et brutaux, musicaux et tranchants. Ils sont là pour casser le silence, et crier au grand jour les violences faites aux femmes, le manque de respect de cette société, dite moderne, où les blancs sont encore considérés comme supérieurs en tout, et où les clichés qui entourent les femmes noires, sont légion.
Ses dons de conteuse sont indéniables et le lecteur sent bien que derrière ces témoignages terribles, se cache la mémoire d'un peuple opprimé par des années d'esclavage, un peuple déraciné par le colonialisme, renié dans ses droits et qui a perdu sa culture et sa langue.
Dans ses récits, elle dit remplir parfois les trous laissés par les souvenirs oubliés et la mémoire défaillante, mais cela ne nuit en rien, à l'authenticité de la parole.
Aujourd'hui, elle continue à se battre dans son pays pour que l'accès à l'éducation soit le même pour tous et que les jeunes noirs puissent entrer à l'université. Dans les années 2000, le pays a adopté le système des quotas pour que les élèves noirs, amérindiens et métis accèdent à l’université. Aujourd'hui, le pays va encore plus loin, puisqu'il autorise les enfants pauvres ayant fréquenté toute leur vie l'école publique gratuite, à y entrer aussi. Des places leur sont désormais réservées dans les universités fédérales gratuites, mais la décision fait toujours polémique.
Vu d'occident, on oublie souvent que 90% des africains qui ont été déportés par les colons, se sont retrouvés, non pas aux États-Unis, mais en Amérique du sud, aux Caraïbes, et au Brésil...
Savez- vous quel est son mot préféré de la langue française ? C'est le mot AVENIR, parce qu'il est porteur d'espoir ! Un mot qui en lisant ce petit recueil prend tout son sens...
Cinq hommes déflorèrent l'inexpérience et la solitude de mon corps. Ils disaient entre eux, qu'ils m'apprenaient à être une femme. J'ai honte, j'ai la nausée en y repensant... Je ne l'ai jamais raconté à personnes. Ce n'est qu'aujourd'hui, trente-cinq ans après les faits,, devant toi, que je fais l'effort de dire à voix haute ce qui m'est arrivé. Les détails les plus humiliants meurent dans ma gorge, mais pas mes souvenirs.
Je ne suis plus jamais retournée au travail.
Je sais ce qu'est l'amour d'une mère. Je sais ce qu'est une mère qui accueille un enfant. Et je sais aussi ce qu'est une mère qui le méprise. J'avoue. Sur les trois enfants que j'ai eus, deux filles et un garçon, mon coeur n'en a accueilli que deux...
Ma fille cadette s'est perdue quelque part en moi. Je n'ai jamais réussi à l'aimer...
Conceição Evaristo est issue des favelas. Ses oeuvres sont désormais au programme du bac dans son pays. Elle est considérée comme l’une des plus importantes voix de la littérature afro-brésilienne, et plus particulièrement des femmes afro-descendantes au Brésil. On la compare souvent à Toni Morrison.
Née en 1946, à Belo Horizonte, capitale de Minas Gerais (un état brésilien), elle est le deuxième enfant d’une famille de neuf. Elle passe les premières années de sa vie dans une favela de sa ville natale.
Malgré les difficultés, Conceição termine sa scolarité dans les écoles publiques et passe le concours d’institutrice en 1971. Elle déménage quelques années plus tard à Rio de Janeiro, où elle fera toute sa carrière d'institutrice dans les écoles élémentaires publiques. Puis elle reprend ses études à plus de 40 ans, et obtient un Doctorat en littérature comparée en 2011.
Elle commence à publier ses nouvelles et poèmes dans les années 1990, dans une anthologie annuelle de référence, Cadernos Negros, qui rassemble des textes d’écrivains afro-brésiliens.
L’histoire de Poncia, son premier roman, a été publié au Brésil en 2003 et a été traduit en anglais (Etats-Unis) et espagnol. Il est aujourd’hui régulièrement mis au programme du baccalauréat brésilien.
Par ailleurs, ses nouvelles font partie d’anthologies publiées dans le monde entier.
Très engagée politiquement et socialement, Conceição est de toutes les luttes dès lors qu’il s’agit de s'impliquer dans la défense des afro-descendants, des femmes et de la culture afro-brésilienne.
[source : https://www.anacaona.fr]
Vous pouvez consulter ci-dessous, la page qui lui est consacrée chez son éditeur, en cliquant tout simplement sur le lien...
Conceição Evaristo revient en 2018 avec 2 livres : un troisième roman en mars, Insoumises, où elle se montre au sommet de son art, et une participation dans le collectif Je suis encore favela !...
https://www.anacaona.fr/conceicao-evaristo-toni-morrison-du-bresil-militante-afro-bresilienne/
Un grand merci à Babelio et à Paula Anacaona, directrice des éditions Anacoana et traductrice des œuvres de Conceição Evaristo, de m'avoir proposé cette masse critique exceptionnelle et permis ainsi de connaître cette auteure engagée et ce recueil de témoignages, avant sa sortie officielle, prévue en mars prochain.
De plus, j'ai découvert avec grand plaisir cette maison d'édition qui est née il y a environ 6 ans, dont je n'avais jamais entendu parler, et la diversité de son catalogue qui nous donne envie de découvrir d'autres auteurs.
C'est une maison d'édition qui publie la littérature des favelas, une littérature poétique et coups de poing, où les gens témoignent en direct de leur vie avec simplicité et authenticité.
A découvrir donc absolument !