Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Deux fois par mois, l'hélicoptère de la mairie centrale venait désinfecter l’Île aux Fleurs. En plus, deux fois par jour, après avoir retourné la terre, un tracteur aspergeait le sol d'insecticide. Sans ses précautions les employés n'auraient pas pu travailler à cause des nuées de mouche.
Ils avaient beau se laver, la puanteur restait attachée à leurs vêtements. Et ils n'en avaient guère de rechange dans leur cabane. Tout ce qu'ils portaient, que ce soit au travail, pour dormir, ou au repos, chez eux, c'étaient des choses récupérées au dépotoir...
Roman traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet
Jeongho, surnommé Gros-yeux, n'a que 14 ans quand il doit quitter son quartier et sa vie quasiment normale. En effet depuis que son père est en prison (en fait dans un camp de rééducation), sa mère ne s'en sort pas et il a dû quitter le collège pour l'aider, et maintenant, ils se retrouvent sans logement.
Un ami de la famille leur tend la main et propose à la mère de travailler dans l'immense décharge à ciel ouvert de Séoul.
Là-bas, le jeune Gros-yeux perd tous ses repères mais retrouve une vie rythmée par le travail et les repas. Et puis sa mère a l'air plus heureuse qu'avant et moins fatiguée que lorsqu'elle travaillait au marché.
Mais rien n'est simple pour autant. Les travailleurs sont exploités pour un salaire de misère et fouillent dans les ordures déposées par les ballets incessants des camions. La micro-société qui s'est développée autour de ce business est très hiérarchisée et les familles doivent veiller à rester à leur place. Tous vivent dans des cahutes misérables et dans des conditions inhumaines et dangereuses.
Rejetés par la société bien-pensante et huppée de la ville, qui pourtant déverse abondamment ses propres ordures à cet endroit, les gens qui y vivent sont d'une grande pauvreté.
Gros-yeux va se lier d'amitié avec le jeune fils du protecteur de sa mère, que tout le monde appelle le Pelé (car il a une plaie à la tête et pas de cheveux à cet endroit). C'est un jeune garçon qui passe pour être benêt car il est bègue...
Reconnaissant de cette amitié nouvelle pour lui qui est si solitaire, le jeune garçon va faire découvrir à Gros-yeux, les anciens habitants de l'île ainsi que la famille du ferrailleur dont la fille est un peu chamane.
Avant, à cet endroit, vivaient des agriculteurs qui cultivaient des céréales et des arachides. Ils étaient heureux d'habiter leur île, l'Ile aux Fleurs, avant qu'on ne les expulse pour en faire une gigantesque décharge à ciel ouvert. Ensemble, ils entretiennent la mémoire des anciens métiers, des vieux outils, de ce qui n'est plus et ne sera jamais plus.
Mais quel rapport y a-t-il entre eux et les lueurs bleues que seul le Pelé arrive à voir à la tombée de la nuit ?
De l'endroit où ils se trouvaient, ils avaient vu sur le fleuve avec, en son milieu, une autre petite île boisée. Une barque naviguait à la voile. Sur la berge, une vache broutait paisiblement avec son veau. Des canards s'ébrouaient sur l'eau créant autour d'eux des auréoles de vaguelettes, d'autres s'envolaient d'entre les herbes sauvages de la rive...
Voilà un livre qui fait réfléchir...
Ce roman décrit la vie quotidienne au coeur de la décharge de Séoul qui a réellement fonctionné pendant quinze ans de 1978 à 1993. La décharge s'étalait sur 4 kilomètres de longueur....
A cette époque, la Corée du Sud s'industrialise et sous la dictature du Park, elle devient de plus en plus consommatrice. Mais ce développement ne profite pas à tous, vous vous en doutez. L'auteur nous parle donc de ces oubliés, mis à l'écart de la société, qui survivent dans des conditions inhumaines. Mais ils savent cependant conserver les valeurs d'antan, attachent de l'importance aux fêtes traditionnelles, et entre autres aux rites chamaniques.
Ce roman apparaît alors comme un roman à la fois écologique puisqu'il dénonce la société de consommation, mais aussi politique car il dénonce le communisme et ses dérives dictatoriales.
L'auteur expose les faits avec des mots simples et percutants et nous les recevons en plein coeur. Tout est bâtie pour opposer les images d'un avant idyllique, à notre société de sur-consommation et de gaspillage.
C'est aussi un roman très fort sur l'amitié et sur l'acceptation des différences.
La postface, écrite par les traducteurs, est bienvenue et éclaire le lecteur sur le contexte historique du roman, en donnant des pistes d'interprétation.
C'est un roman pour adolescents et adultes à lire à partir de 15 ans.
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Nanjido, cette Île aux Fleurs où l'écrivain, bien avant l'arrivée des camions et des bulldozers, allait jouer dans son enfance (il habitait sur l'autre rive du fleuve), était connue pour sa beauté, prisée des peintres, des poètes et des oiseaux migrateurs. Elle n'est plus aujourd'hui, une île, mais une immense colline en forme de tombe, reconvertie en parc arboré où les familles aiment à déambuler les dimanches ensoleillés.
Extrait de la Postface écrite par les traducteurs.