Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Mais chez-toi, c'est quand même la Tunisie ? Oui et non. Chez-moi, c'est où vivent mes enfants. L'amour d'un père pour son enfant est plus haut que les montagnes. Et l'amour d'une mère, plus profond que l'océan. Mais ici, il n'y a ni montagne ni océan. Si tu regardes bien, tu les verras au plus profond de toi, mon petit coeur.
Monji est né en Tunisie, mais suite à la mort prématurée de sa mère et au remariage de Baba Farouk, son père, la vie n'est pas facile pour lui et pour son frère aîné. Ballottés de famille d'accueil en famille d'accueil, les deux frères restent très soudés et doivent se débrouiller seuls dans la vie.
Nous sommes dans les années 70 en Tunisie. Devenu grand, bien qu'ayant obtenu son diplôme, ce n'est pas facile pour Monji comme pour la plupart des jeunes de sa génération de trouver du travail.
Un jour, un énorme navire arrive au port. La compagnie maritime cherche des hommes jeunes et forts.
Monji et ses amis n'hésitent pas un instant. Ils embarquent vers la Terre promise, la France, avec pour unique bagage, une petite valise en carton contenant toutes leurs affaires, laissant derrière eux en Tunisie, leur famille mais surtout leurs racines...
A l'école je faisais de mon mieux parce qu'Abdel me disait de travailler dur pour avoir un bel avenir. Il insistait : "chaque être humain a un passé, mais il faut prendre en main son avenir"
Je suis parti avec une valise en carton. Une valise en carton ?
Oui, avec tout ce que je possédais à l'intérieur. Comme dans la chanson de Younsi "Passeport Lahkdar".
Ce roman graphique empli à la fois de douceur, de tendresse et de nostalgie, mais aussi d'humour, est bourré d'anecdotes. Il nous raconte l'histoire de Monji et de sa famille.
Le lecteur découvre le long voyage en bateau, l'arrivée en France, les découvertes d'une autre culture...et d'un autre climat.
Il se réjouit quand Monji rencontre celle qui deviendra sa femme. D'origine belge, la jeune femme devra mentir à sa famille, puis se battre pour faire accepter son désir d'épouser "un étranger".
Nous sommes dans les années 70 et les préjugés sont bien ancrés dans les mentalités. Les différences font peur et les gens se renferment derrière les "on-dit".
La BD met bien à plat les préjugés de l'époque, mais le fait avec beaucoup d'humour. Malheureusement nous savons bien que certains sont encore d'actualité, plus de quarante ans après.
Au passage, le lecteur apprendra certaines des coutumes tunisiennes. Les différences sont là mais sont si plaisantes à (re)découvrir !
Par exemple j'avoue que je ne savais pas que "jeter des seaux d'eau derrière celui qui part", est une façon de lui souhaiter bonne chance tout en demandant à Dieu de le protéger ; ni que c'était les tunisiens qui avaient donné l'habitude de demander un verre d'eau avec leur café dans un bar...
Le lecteur s'immerge avec grand plaisir dans la vie de cette famille où règne joie de vivre, convivialité, partage...
Monji s'adresse à ses deux petits-enfants avec beaucoup de malice. Tour à tour, ils lui posent des questions mais veulent aussi qu'il leur conte des histoires de là-bas. C'est ainsi que le lecteur se retrouve plongé en plein conte des mille et unes nuits...
Il écoute avec ravissement l"histoire de Nour et Biba, deux oies, obligées de quitter les bords du lac, désormais pollué par une usine et qui se demandent comment migrer en emmenant avec elle leur amie la tortue. Puis ce sera l'histoire de la grue et du homard...
Au delà de l'histoire qui est celle de milliers d'immigrés obligés de trouver un travail à l'étranger, des thèmes abordés comme, la différence de culture, l'exil, la difficulté d'être accepté dans un pays étranger, ce que j'ai trouvé très fort, c'est la façon dont Monji explique à ses petits-enfants ses racines_donc leurs racines_ et pourquoi SA terre est à la fois la Tunisie et la France et son coeur, partagé entre les deux.
J'ai trouvé le graphisme assez sombre quand j'ai feuilleté la BD à réception, la première fois...
Puis lors de ma lecture approfondie, j'ai découvert des personnages très expressifs, au regard malicieux, des paysages variés nous faisant voyager de la Tunisie à la France, des moments plus noirs car emplis de nostalgie, et d'autres très gais et colorés avec une multitude de détails tous aussi savoureux qu'instructifs.
En tous les cas, j'ai eu envie de continuer le voyage car il me fallait absolument entendre le grand-père raconter "l'histoire du gros poisson aux écailles d'or et yeux de diamants", que lui réclame plusieurs fois son petit-fils, au fil des pages...
Pas vous ? Alors si vous voulez la connaître aussi, vous savez ce qu'il vous reste à faire...
C'est une BD intéressante et plaisante à lire, qui saura faire le lien entre les générations.
Je dirai que pour bien la comprendre, il faut avoir au moins 12-13 ans.
Merci à Babelio, à l'opération Masse Crtique et à l'éditeur Steinkis de m'avoir fait confiance pour découvrir cette bande dessinée.
Je me sentais minuscule face à ces navires géants, et tous ces gens...des espagnols, des turcs, des marocains...on se comprenait. On travaillait tous dur, très dur. On avait une bonne formation et un bon salaire.
Qui sont les auteurs ?
Laïla Koubaa est d'origine tunisienne et vit avec ses deux enfants et son mari l'écrivain Bart Koubaa à Gand. Elle est titulaire d'une maîtrise en langues et civilisations orientales et aide les jeunes ayant des besoins particuliers dans les différentes écoles. Elle publie des ouvrages destinés à la jeunesse en Belgique, l'un d'eux, "Aziz, le jasmin et l'oiseau", est paru en France en 2014 (Rue du Monde).
Laura Janssens est titulaire d'une maîtrise en beaux-arts. Elle publie des bandes dessinées et des illustrations dans la presse belge. "Plus profond que l'océan" est son premier roman graphique.