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Elle devait avoir sept ou huit ans, pas plus, quand une interdiction, qui pour une fois ne venait pas de son père, vint dresser une barrière devant elle. Ils étaient certes musulmans comme eux, les enfants du voisinage, lui dit Oumma, sa mère, mais ce n’était pas une raison suffisante pour s’en faire des amis. Bref, elle ne devait en aucun cas avoir affaire à eux. Et pourquoi ? Pour une raison secrète connue du monde entier et qu’Oumma lui présenta en ces termes :
- Pattoumma, mon trésor, tu es la fille chérie de la fille chérie d’Anamakkar, le noble Makkar à l’éléphant. Ton grand-père avait un éléphant, un grand mâle à défenses !
Ce roman de littérature indienne...se lit aussi vite et facilement qu'un conte pour les grands.
Il nous raconte l'histoire de la jeune et jolie Kounnioupattoumma, issue d'une très bonne famille d'origine musulmane. D'un naturel gaie et naïf, la petite fille voit la vie en rose, comme une petite princesse, mais elle ne sait ni lire ni écrire et sa famille la garde dans l'ignorance de la vie et sous l'emprise de croyances religieuses dépassées.
Arrivée en âge de se marier, elle voit défiler les prétendants, mais aucun ne convient à sa mère !
En effet, celle-ci est la fille d'un homme riche qui possédait...un éléphant, ce qui explique son rang ! Pas un petit éléphant, non, un grand avec des défenses énormes capables de tuer plusieurs kafirs...
Parée de bijoux, la jeune fille se demande pourquoi elle ne peut choisir son prétendant, mais sa crédulité l'empêche de poser la question.
Lorsque son père se retrouve ruiné par deux affaires, dont le procès intenté à son encontre par ses soeurs, en colère parce qu'elles n'ont pas eu leur part d'héritage du domaine familial, voilà la jeune fille prise au dépourvu. Elle ne sait rien faire et va devoir faire face à la pauvreté. Plus de bijoux, car ils sont vendus pour payer le procès, ni de maison, ni de domestiques à leur service, quant aux prétendants, ils disparaissent tous les uns après les autres.
La mère devient aigrie et en veut à la terre entière. Elle mène une vie impossible à son mari qui fait ce qu'il peut pour travailler et rapporter de quoi manger, et à sa fille à qui elle reproche, tout simplement, d'être née.
En effet, être la fille de celui qui a possédé un jour un éléphant, ne lui apporte plus ni respect, ni un quelconque avantage dans leur triste vie.
Mais il y a toujours un revers de la médaille...
Maintenant que la famille est ruinée, Kounnioupattoumma va pouvoir vivre plus libre, aller se baigner dans l'étang aux nénuphars, ou près du puits des voisins, se promener dans la nature qu'elle adore, se faire des amies et peut-être un jour pourra-t-elle même, choisir son futur mari.
C'est alors, qu'après avoir fait une chute dans un ravin, elle croise le jeune (et beau) Nisar Ahmad, un jeune homme cultivé, poète et, comme elle, amoureux de la nature...
Kounnioupattoumma ressentait un bonheur indéfinissable, mâtiné de révolte et du désir de se venger. La perte subie était certes un grand malheur, mais elle voyait des gens, respirait l'air pur, profitait de la lumière du soleil, prenait des bains de lune, courait, sautait, chantait. Elle ne connaissait aucune chanson, mais qu'importe, elle était libre de faire ce que bon lui semblait.
Voilà un roman très court qui nous fait entrer sans détour dans la vie et les coutumes de cette famille musulmane d'Inde du Sud. Le roman s'apparente d'ailleurs davantage à un conte.
La façon dont l'histoire se déroule, a le mérite de faire varier les points de vue. La vision naïve de la jeune fille peut parfois être surprenante, mais c'est ce qui nous permet de la trouver attachante et de nous intéresser à son avenir.
Tout en lisant son histoire, le lecteur a une vision plutôt critique de la situation : les préjugés et les contraintes sociales imposés par la mère sont très lourds mais réels. Heureusement, ils vont voler en éclat.
Le roman a le privilège de nous dépayser, tout en faisant découvrir au lecteur les traditions toujours en cours, la différence entre les riches et les pauvres (donc le système de castes), les conditions de vie des femmes et des jeunes filles en Inde du Sud, et le manque d'humanité, dans cette minorité musulmane indienne.
Ce n'est pas un coup de coeur, mais j'ai passé un très bon moment de lecture. Les occidentaux que nous sommes, doivent aborder cette lecture en oubliant leur propre culture, ce qui n'est pas facile à faire, j'en conviens...
L'intérêt du livre réside surtout dans son humour, distillé à chaque page, la poésie du texte, mais aussi la réflexion permettant de comprendre l'importance dans ce pays, de l'éducation et de la culture pour se libérer de la tradition et des superstitions.
L'écriture, simple et facile à comprendre, permettra aux lecteurs, dès l'âge du lycée, d'apprécier cette histoire et vous fera voyager dans un autre monde.
N'est-ce pas une lecture idéale pour les vacances ?
L'auteur est surtout connu pour ses nouvelles, dans lesquelles il témoigne de ce qu'il a vécu et dénonce les relations amoureuses contrariées par les codes sociaux et l'injustice.
Il a participé au mouvement de lutte pour l'indépendance de l'Inde ce qui lui a valu d'être emprisonné.
On le considère comme l'un des plus importants écrivains de la littérature malayalam contemporaine (une des 22 langues officielles de l'Inde, parlée dans le sud et en particulier au Kerala).
Un auteur à découvrir donc, car cette littérature est peu connue, d'autant plus que ce roman est sorti en poche en 2013 et a fait partie de la sélection du Prix du Meilleur roman des Lecteurs de "Points".