Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Nous avons tous rêvé un jour de repartir en arrière pour tenter de modifier le cours de notre destin.
Et si nous n'avions pas pris telle ou telle décision, si nous n'avions pas fait telle rencontre à tel moment précis, si nous avions habité ailleurs, fait d'autres études, vécu dans une autre famille ou tout simplement à une autre époque.
Quelle aurait été notre vie ?
C'est ce que nous propose de vivre, Stéphane Bret dans la première partie de son livre "Triplicata", une première partie constituée de trois nouvelles qui nous permettent d'entrer dans la vie du héros, dénommé S., un jeune adolescent, à l'aube de devenir adulte et de prendre en main son avenir. Mais dans chacune de ces nouvelles, la décennie à laquelle appartient S., ses rencontres, ses lieux de vie, ses études vont le mener sur des chemins différents et le faire évoluer vers d'autres possibles.
Y gagnera-t-il davantage d'humanité ? Je vous laisse le découvrir.
Au détour de l'aventure, le lecteur de ma génération va reconnaître ici ou là des événements de notre jeunesse, notre éducation, la censure, les années post-68 plus permissives, les livres où les films qui nous ont permis de découvrir le monde.
Cette plongée dans le passé de notre adolescence et de nos années d'étudiants, pour ceux qui ont eu la chance de faire des études, a été pour moi un véritable délice.
Se fondre dans la masse, observer l'anonymat des règles édictées par des inconnus, renoncer à la part de soi-même la plus précieuse, la plus créative, la plus émouvante. C'était l'impératif à atteindre...Être éduqué équivalait alors à mourir un peu.
Dans la première version de sa vie, S. a été élevé dans l'excellence, sa famille pensant ainsi le préparer à réussir en tout et à s'approcher de plus en plus de l'élite. Mais sa curiosité naturelle le pousse à observer les gens et il constate très vite que ce qu'il voit n'a rien à voir avec ce qu'on lui a fait croire dans son enfance.
La société évolue dans ces années d'après-guerre et les jeunes gens se cherchent une nouvelle façon de vivre, différente de celle préconisée par leurs parents. Aussi lorsque S. rencontre Anaïs, une femme insolente et si élégante, altière même et beaucoup plus âgée que lui, et qu'elle lui affirme qu'il est déjà, de par sa tenue et ses lectures, le reflet de ce qu'il va devenir plus tard, il décide de préparer sa mutation et de se décharger des nombreux préjugés liés à son éducation...
...S. avait pu effectuer, en direct, un constat rédhibitoire : la pratique des chiffres, des courbes de croissance, des taux de rendement, mutilaient gravement un homme, s'il ne prenait pas l'infime précaution d'installer en quelque sorte un univers de sauvegarde, un escalier de secours en cas d'incendie, un monde dans lequel l'évasion et le plaisir n'avaient pas perdu droit de cité.
Dans sa seconde vie, nous sommes plutôt vers la fin des années 60 et durant les années 70. Le monde entier cherche à laisser derrière lui les vieux principes archaïques, tant en matière d'éducation qu'au niveau des arts et de la création en général. De nombreuses censures continuent à ralentir la vie intellectuelle. Mais la télévision devient peu à peu un moyen incontournable de faire entrer la culture dans tous les foyers.
L'époque est à la révolution sociale et politique. S., jeune adolescent, découvre avec bonheur la librairie "La joie par les livres" à Paris. Il va y faire la rencontre d'une jeune étudiante en psychologie. Elle lui fait connaître divers auteurs, dont Wilhelm Reich, qui bouleverse le jeune homme et changera sa vie et ses aspirations en profondeur...
Il eut le sentiment que l'on s'adressait à lui, intimement, personnellement, que l'auteur débusquait tous les faux-semblants derrière lesquels les hommes s'abritaient pour mieux dissimiler leur désarroi et les accompagner vers la réalisation de leurs désirs.
La troisième version est plus courte. S. nous emmène dans le monde de l'argent et de l'apparence. Il n'a qu'une envie c'est devenir un "tueur", rechercher les rassemblements "people" et dominer autrui par son argent afin de séduire de plus en plus souvent et facilement des jeunes femmes afin de vérifier ainsi son pouvoir. Arrivera-t-il à réussir sa vie tout de même ?
Ces trois nouvelles constituent une intéressante réflexion sur la vie et les choix que nous sommes amenés à faire.
Elles nous permettent de plonger dans les décennies passées et de revivre les différentes options qui ont été offertes aux jeunes (d'un milieu aisé et citadin) en fonction des orientations de la société mais aussi de l'évolution du monde à tous points de vue.
J'ai eu beaucoup de plaisir à cette lecture et je pourrais même dire que j'ai savouré ce petit recueil, au ton souvent désuet, qui je trouve est d'une grande profondeur. Les souvenirs de ma propre jeunesse, de ses découvertes culturelles et de ses nombreuses interrogations ne sont bien sûr pas étrangers à ce plaisir de lecture, bien que je ne sois pas issue du même milieu social que le héros.
La seconde partie du recueil, "Des vies en abyme" nous permet de lire une nouvelle tout à fait originale.
Quels sont les liens qui unissent les différents personnages ? Est-ce leurs interrogations qui les rapprochent, le fait d'avoir besoin les uns des autres ou d'être tous un peu perdus dans leur vie ?
En fait, encore une fois, il n'y a pas de hasard.
Tous ces êtres qui mettent à jour leurs failles alors qu'à priori, ils ont tout pour être heureux, ne peuvent que nous toucher et nous amener à nous interroger sur ceux qui nous entourent, nos amis, notre famille ou nos connaissances...
Est-ce nous qui avons besoin d'eux pour exister et se sentir plus forts, ou l'inverse ? Quels sont les liens cachés et tus qui nous relient aux autres ?
René Lecerf, ancien magistrat, (il était juge d'application des peines) s'est toujours demandé où est le juste milieu en matière de justice. Son indépendance d'esprit l'a obligé à prendre une retraite anticipée. Farida sa compagne est avocate. Après une première rencontre houleuse et des débats passionnés, ils vivent ensemble depuis une décennie et forment un couple agréable qui suscite de nombreuses jalousies dans leur entourage.
Farida était fière d'avoir réussi à aimer cet homme, et d'avoir réussi à tisser des liens à nuls autres pareils.
En fait, s'ils organisent souvent des dîners, c'est parce que cette convivialité, ces repas entre amis, leur renvoient une image positive d'eux-mêmes. Pourtant il n'en a pas toujours été ainsi, et leur vie a souvent été chaotique. Farida en particulier, qui a pris pour modèle, Gisèle Halimi s'est toujours battue pour le droit des femmes et la liberté dans le couple. D'origine tunisienne, son enfance n'a pas favorisé son émancipation et seul son oncle l'a soutenu lorsqu'elle a voulu réaliser ses rêves...
Ce soir-là, ils attendent Céline, une amie divorcée, libraire passionnée qui s'interroge en se préparant pour la soirée, sur le rôle que tous deux ont joué dans son existence. N'est-ce pas à cause d'eux finalement, qu'elle s'est sentie souvent inférieure et jalouse de leur couple, et qu'elle doit de vivre encore seule, en reniant son homosexualité latente ?
En fait, chacun reformule les événements de sa vie à sa manière. Ce qui est humain, c'est de toujours s'attribuer le beau rôle !
Un petit recueil à découvrir...
Je remercie l'auteur pour sa confiance qui m'a permis de le découvrir en avant-première.