Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Cela fait quelque temps déjà que je voulais lire "La vengeance des mères" de Jim Fergus, un roman paru en automne dernier...qui est la suite de "Mille femmes blanches" que j'ai déjà lu lors de sa sortie en France, il y a déjà 17 ans.
Avant d'aborder cette suite dont je vous parlerai bientôt, une relecture du premier roman s'imposait donc !
L'histoire démarre alors que les guerres indiennes font rage en Amérique du Nord.
Pour favoriser la paix avec les hommes blancs, le grand chef cheyenne, Little Wolf accepte de se rendre à Washington pour rencontrer le président Grant.
Là, il lui propose un échange incroyable, des chevaux contre mille femmes blanches, afin d'assurer la pérennité de son peuple par des naissances, et de sceller la paix entre les deux peuples, l'enfant appartenant dans la tradition cheyenne, au peuple de la mère.
Les blancs pensent que grâce à ces femmes, on pourra convertir le peuple indien au monde des blancs (le pervertir serait plus juste).
Très vite le projet qui sera désigné par le nom de "Brides for Indians" (BFI) prend forme dans le plus grand secret. Une centaine de femmes se porte volontaires, en majorité des prisonnières ou des femmes enfermées en asiles. Elles sont bien décidées à aller vivre avec les cheyennes, en échange de leur liberté et elles s'engagent à rester deux ans parmi les indiens avant de pouvoir retrouver, si elles le désirent toujours à ce moment-là, le monde civilisé.
Mais durant l'hiver 1876, l'armée américaine, sans tenir compte de l'insertion de ces femmes blanches parmi les indiens, attaquent sans prévenir les cheyennes qui n'ont pas accepté, comme préconisé par le gouvernement, de se rendre dans les réserves. Seules quelques-unes parmi elles et quelques bébés échapperont au massacre...
De même qu'ils redoutent les femmes qui expriment leurs désirs, les hommes dédaignent celles qui affichent leurs opinions_quelles quelles soient et quel qu'en soit le sujet.
Le roman est présenté d'une manière très agréable, sous forme de carnets intimes précisément datés, écrits par une de ces femmes, May Dodd.
May avait été internée en asile parce qu'elle avait osé avoir des enfants hors mariage, avec Harry qu'elle aimait, mais qui était d'une condition sociale inférieure à la sienne. Rejetée par sa famille, qui s'était bien sûr opposée au mariage, elle avait été enlevée en pleine nuit par sa famille, afin d'être enfermée à l'asile et ses deux enfants lui avaient été retirés.
Les carnets de May auraient été conservés pendant des décennies dans le sac médecine du peuple cheyenne puis dans leurs archives, et enfin découverts par un de ses descendants, devenu journaliste et bien décidé à réhabiliter sa grand-mère au sein de sa famille, mais ceci n'est bien sûr que pure fiction...
Les blancs bâtissent leurs forts et leurs maisons, leurs entrepôts et leurs églises comme autant de remparts peu convaincants devant l'immensité d'une Terre qu'ils sont incapables d'aimer, d'un vide qu'ils tentent vainement de combler.
May est mariée à Little Wolf, le plus puissant des guerriers et chefs cheyenne.
Dans ses carnets, dans lesquels elle s'adresse tour à tour à Harry, à sa soeur ou à ses enfants, elle décrit le long voyage d'approche, l'arrivée au fort, l'accueil de la tribu puis les difficultés des femmes blanches pour s'adapter aux nouvelles coutumes et aux interdits, mais aussi pour se faire accepter par les autres membres de la tribu.
May décrit en détails leurs conditions de vie chez les indiens, les croyances et les coutumes. Peu à peu le lecteur vit avec elle, au milieu de ces êtres qui ont le sens de la fête, aiment les rituels et ont toujours beaucoup d'humour et de curiosité face aux habitudes des blancs.
Mais May ne cache rien, ni des combats violents et sanguinaires entre tribus,ni de la naïveté de ce peuple ou de ses déceptions, ni des ravages occasionnés par l'alcool, ni des viols ou autres exactions...
Elle montre bien la déchéance de ceux qui sont allés vivre dans les réserves, le problème d'identité des sangs-mêlés, la pauvreté de ceux qui viennent quémander près des forts en espérant un peu de whisky.
Elle assiste, impuissante, à l'agonie de son peuple d'adoption...un peuple doux qui savait vivre en harmonie avec la nature.
Le lecteur découvre (ou redécouvre) avec plaisir ce peuple naïf qui croit en la parole de l'homme blanc et au respect des traités signés...ce peuple qui veut vivre tout simplement sur ses terres, chasser et continuer à changer d'endroit pour suivre le gibier selon les saisons, tout en conservant leurs coutumes et en faisant commerce avec l'homme blanc pour avoir un peu de sucre, de café ou autres denrées dont ils ne peuvent plus se passer.
C'est un peuple tolérant, chaleureux et ouvert d'esprit, prêt à accepter le changement, généreux et respectueux des femmes et des enfants qui n'impose jamais rien aux autres.
Le roman se termine quand commence la guerre des Black Hills en 1876.
Je vais être un peu longue mais ce roman en vaut la peine.
Jim Fergus nous offre ici à la fois une oeuvre de fiction et, un témoignage historique qui relate l'histoire des massacres perpétrés par les hommes blancs, massacres qui ont amené les peuples indiens à disparaître ou à être "parqués" dans des réserves, où l'ennui et l'alcool les attendaient. Je ne vous apprends rien.
Le roman part d'un événement réel, la visite du grand chef cheyenne à Washington. Les guerres indiennes font rage depuis des années et le grand chef veut la paix pour son peuple. Les colons continuent d'avancer vers l'ouest et de plus, les hommes blancs viennent de découvrir de l'or dans les Black Hills, des montagnes qui pourtant ont été données par traité "pour l'éternité" aux indiens.
La plupart des personnages cités ont réellement existé. C'est le cas en particulier de ceux qui ont joué un rôle dans les massacres indiens comme le général Georges Crook, très actif durant les guerres indiennes, qui n'a eu de cesse de traquer les amérindiens pour les exterminer, afin que les colons puissent s'approprier leurs terres et leurs richesses. George Armstrong Custer, ainsi que Ranald S. Mackensie sont aussi des figures incontournables de cette période de l'histoire.
Même John Gregory Bourke a lui aussi réellement existé et il a bel et bien joué un grand rôle dans les études faites sur les indiens apaches et cheyennes ce qui a permis de plaider leur cause.
Cette immersion au coeur du peuple cheyenne ressemble tellement à un témoignage, que le lecteur ne saurait à aucun moment dire si tel ou tel événement est réel ou fictif. Les expressions propres aux cheyennes, les noms donnés aux jeunes femmes, sont tous traduits. Un glossaire permet de retrouver tous les noms indiens à la fin.
Tout sonne juste, même l'histoire d'amour imprévue entre le capitaine Bourke et la superbe May, les sentiments contradictoires des soldats qui hésitent à faire feu, le massacre des indiens en plein hiver, par des soldats pressés d'en finir, les violences commises sur ceux qu'ils considèrent comme des "sauvages".
A cela se rajoute les descriptions fabuleuses des paysages, des grandes étendues de prairies et de forêts et la découverte par ses femmes, pour la plupart citadines, de la nature sauvage et des animaux.
Jim Fergus, encore une fois, dresse des portraits de femmes inoubliables, toutes solidaires dans exil et dans cette aventure qui les terrorise. Elles s'aident à accepter ce nouveau mode de vie et à découvrir ce peuple jusque-là décrié et caricaturé.
C'est au delà de l'histoire des indiens, un roman très instructif sur les conditions des femmes américaines au XIXe siècle. Ces femmes qu'on n'hésite pas à utiliser à des fins politiques et dont personne ne se souciera par la suite...
Bien sûr, nous sommes épouvantés par l'histoire et nous ne pourrons que nous interroger sur la nature même des hommes, et se demander qui entre l'homme blanc et l'indien, est le véritable "sauvage". Nous ne pouvons que faire un constat effroyable puisque nous connaissons l'issue de ce massacre.
La scène, alors que les femmes se trouvent encore dans le train qui traverse les prairies, durant laquelle les hommes se divertissent en tuant des bisons, femelles ou bébés, et en les laissant en place, pour le simple jeu de tuer, est superbement décrite.
La fin ne nous laisse aucun répit puisque Harold, un des descendants de May vit dans un HLM dans la réserve de Tongue River et que par contraste évident avec ce que nous venons de lire, nous ne pouvons que trouver sa vie, bien morne et dénuée d'intérêt.
J'ai maintenant le sentiment d'être également un élément si minuscule soit-il, de l'univers complet et parfait...
Quand je mourrai, le vent soufflera toujours et les étoiles continueront de scintiller, car la place que j'occupe sur cette terre, est aussi éphémère que mes eaux, absorbées par le sol sablonneux ou aussitôt évaporées par le vent constant de la prairie.
Né à Chicago en 1950, d'une mère française et d'un père américain, Jim Fergus se passionne très vite pour la cause indienne alors qu'il est chroniqueur dans de nombreux journaux américains. Il avait pour projet initial d'écrire une biographie du grand chef cheyenne, Little Wolf. Il sillonne alors le Middle West américain jusqu'au Montana.
A partir d'un fait authentique, il imagine le journal d'une des femmes qui ont été données en mariage aux indiens en 1875.
Ce roman a obtenu le prix du premier roman étranger dès sa sortie en 2000.
De cet auteur, j'ai déjà chroniqué sur ce blog...
Chrysis / Jim Fergus - Dans la Bulle de Manou
Photo de couverture Chrysis, à 15 ans ! Il arrive très rarement, qu'on ait la chance et le bonheur de vivre un grand amour au cours de sa vie. Il arrive, encore plus rarement, que cet amour survive
Pour en savoir plus sur l'auteur je vous invite à consulter son blog...