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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Crépuscule du tourment / Léonora Miano

Crépuscule du tourment / Léonora Miano

Etre femme, c’est serrer les dents à l’intérieur, s’accrocher un sourire sur le visage. C’est endurer chaque instant. Encaisser les coups du mari.

 

Voilà un roman choral qui donne la parole à quatre femmes qui sont toutes d'une manière ou d'une autre, attachées au même homme...Dio, toujours absent. 

C'est la mère qui ouvre le roman, puis vient Amandla, son ancienne fiancée, Ixora, sa future femme et enfin Tiki, sa jeune soeur. Le destin de ces femmes se croise, leurs voix se font écho, leur permet de se rencontrer mais jamais ce qu'elles ont à lui dire ne pourra être prononcé de vive voix. Parfois elles nous racontent des faits similaires mais selon leur point de vue personnel. 

Toutes ont un lourd secret à porter dans leur coeur, un secret qui ne leur permet pas d'être heureuse, une blessure d'enfance ou de jeunesse, mais surtout le poids de l'histoire personnelle du pays, celui de l'esclavage, de l'asservissement des femmes et du colonialisme...

Il s'agit d'un roman quasi contemporain car il se passe dans les années 2010. 

 

L'air est aussi pesant que les anciens fardeaux, ces blessures souterraines dont on ne guérit pas. Les tenir secrètes, ce n'est pas seulement se garder de les dire. C'est en quelque sorte les nourrir. C'est à l'ombre que s'épanouissent certaines douleurs. C'est dans le silence que fleurissent ces obsessions qui deviennent le moteur de nos existences. Je sais nommer l'épine qui, logée en moi depuis le plus jeune âge, est ma torture et ma boussole.

 

Dio, héritier d'une famille riche et noble, décide de rentrer chez lui après des années d'absence qu'il a passé au Nord, où il pensait trouver tolérance et bonheur mais où seul le racisme et la solitude l'attendaient.

Le Nord, c'est le continent européen ! Le Nord... d'un pays d'Afrique qui ne sera jamais nommé mais qui pourrait être le Cameroun vu que l'auteur est originaire de là-bas...

Mais Dio ne revient pas seul sur les terres familiales. Il ramène avec lui Ixora, une jeune femme, la veuve de son meilleur ami, qu'il désire épouser bien qu'elle n'ait pas de "généalogie", comme le lui fait remarquer aussitôt sa mère, et de plus, elle a déjà un petit garçon...

La mère que tout le monde appelle "Madame" avec déférence prend aussitôt en grippe la jeune femme.  En effet, pour elle qui connaît ses origines, épouser une "sans généalogie" s'est brouiller les voies du sang, modifier le statut social de la famille acquis au cours d'années de lutte, faites de sacrifices et de renoncements.

Ces personnes sont forcément des descendants de l'esclavage.

Alors, pour elle qui voit déjà son fils comme un renégat qui a refusé d'occuper son rang et de fréquenter des gens de son milieu social, il n'existe qu'une seule solution, c'est l'empêcher d'épouser Ixora et pour cela, elle n'hésitera pas à avoir recours à une "sorcière"...

Mais Madame qui a forgé son caractère, pour enfouir de graves blessures, qui a supporté la violence et les coups de son mari, n'en sortira pas non plus indemne...

 

...c'était moi qui avait rompu, mais que veux-tu j'étais lancée, tu m'avais forcée à dégainer, à tirer plus vite que mon ombre, et j'opérais à l'aveuglette, ivre de mon propre verbe, me libérant au fond d'un poids sans rapport avec tout cela, l'objet des querelles est souvent au-delà, on le sait mais c'est peine perdue, si la raison l'emportait toujours nous serions des dieux pas des humains.

 

Le lecteur entre dans le destin de ces quatre femmes africaines, dans leurs désirs les plus secrets, leurs envies d'être aimées et d'aimer. Quatre voix différentes qui sont autant de monologues...un cercle très féminin et très sombre avec ces traditions d'un autre âge, ces confessions et ces secrets... 

Elles sont toutes quatre aux prises avec leur famille, leur solitude, la douleur et le doute. Leur vie est imprégnée de la grande Histoire qui a laissé des traces indélébiles et les empêchent de s'ouvrir vers une modernité nécessaire mais qui leur fait cependant renier leurs origines, leurs langues, leurs traditions.

Leur prison est tout à fait oppressante...

Dans leurs paroles qui ne seront jamais entendues par le principal intéressé, elles tentent de s'expliquer pourquoi Dio, cet homme qu'elles étaient prêtes à aimer, les a fui.

Ainsi un jour, elles comprennent que c'est uniquement par lâcheté et surtout par peur...en particulier peur du rôle assigné aux hommes dans ce pays.

Dio est un homme qui au fond n'accepte pas que sa famille fasse partie, à la fois des bourreaux, puisque du côté des colons et des victimes, puisqu'elle a perdu son identité, sa langue, sa culture...

Il retourne ses propres manques contre les femmes qui l'entourent... car il a très peu d'estime pour lui-même. Dans ce pays hélas, on est un homme, un vrai, uniquement lorsqu'on soumet une femme devant tout le monde et si elle n'accepte pas la soumission...on la bat ! 

 

Ce que j'ai à te dire aujourd'hui...c'est que j'ai trouvé ma tranquillité, "ma personne", au coin d'une rue, là où la ville débouche sur le quartier des femmes sauvages, ce lieudit Vieux Pays, et, du fond du coeur, je voudrais que tu connaisses cela, mon ami, toi aussi, un jour, je voudrais que tu n'aies pas assassiné tes possibles.

 

Pourtant, s'accepter c'est une façon de se reconstruire, de soigner ses blessures et donc de pouvoir vivre au grand jour...à la lumière. Et pour s'accepter et accepter de vivre il faut pouvoir parler.

Ce qu'elles font...


 

 

L'ombre et la lumière ne sont pas si disjointes qu'il nous plait souvent de le penser. Elles sont l'envers et l'endroit d'une même étoffe.

 

C'est un roman qui reste difficile à lire. J'ai trouvé certains passages très durs tant au niveau de la teneur des propos que du contenu, sans doute par manque de connaissances culturelles ou historiques sur le pays. Ces difficultés ne m'ont pas empêché de le lire jusqu'au bout et je tiens à soulever sa grande valeur littéraire et culturelle.

La cause des femmes est un combat de tous les temps et toujours d'actualité. Comment accepter que de nos jours tant de femmes ne sachent pas ce que veut dire le mot liberté et vivent encore sous le joug d'un homme violent prêt à tout pour asseoir son autorité...

J'ai cependant  préféré la lecture de "Contours du jour qui vient", du même auteur, chroniqué ici sur ce blog...qui avait obtenu, il y a déjà dix ans, le prix Goncourt des Lycéens.

 

Je sus très tôt que la terre où l'espèce humaine vit le jour s'appelait Kemet. Que nous étions des Kémites. Pas des Noirs. La race noire n'avait été inventée que pour nous bouter hors du genre humain. Justifier la dispersion transatlantique. Faire de nous des biens meubles que l'on achèterait à tempérament. Des bêtes que l'on marquerait au fer rouge avant de les baptiser selon le rite chrétien. Nous résiderions désormais entre l'objet et l'animal. Tel est le sens du nom racial dont on nous affubla. Jamais il ne fit référence à nos trente-six carnations. Je ne comprends pas que nous soyons si nombreux à nous définir ainsi.

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