Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Comment est-ce possible ? Une fille fait les quatre cent coups, se trimbale dans la vie juchée et peinturlurée et tout à coup se met à avoir soixante ans.
J'ai découvert Yasmina Reza en lisant son premier livre qui s'intitulait "Conversations après un enterrement" paru chez Actes Sud-Papiers en 1992.
Entre nous, il me semble que c'était hier !
Depuis je n'ai plus rien lu d'elle à part "Art", paru en 1994 que nous faisions lire chaque année aux adolescents lorsque je travaillais en Lycée pro. Ces deux oeuvres de théâtre sont très connues et ont reçu le Prix "Molière".
Je savais qu'en plus de ses oeuvres théâtrales, Yasmina Reza avait aussi écrit des scénarios sans pour autant m'être penchée davantage sur la variété de ses écrits.
Je ne connaissais donc aucun de ses romans et bien sûr comme beaucoup d'entre vous, cela s'imposait que je lise le dernier, paru en août, et qui a obtenu cet automne le Prix Renaudot, un roman qui se rapproche étrangement du théâtre, cher à son coeur...
A partir d'un certain âge une femme est condamnée à la bonne humeur. Quand tu fais la gueule à vingt ans c'est sexy, quand tu la fais à soixante, c'est chiant.
Elisabeth n'a pas une vie très trépidante bien qu'elle ait un métier intéressant mais qu'elle a renoncé à expliquer aux autres, ingénieur brevets à Pasteur.
Elle supporte mal d'avoir dépassé la soixantaine. Elle vient de perdre sa mère et se complaît un peu dans les regrets et les souvenirs de jeunesse...un amour envolé avec lequel elle faisait de la photo, des balades entre amis, des soirées arrosées, la jeunesse quoi qui n'est plus et ne reviendra jamais ce qu'elle accepte mal et la remplit de mélancolie.
De ces années de jeunesse passées, elle garde un amour inconditionnel pour le photographe Robert Frank et son album "The Americans" publié pour la première fois en 1959 dans lequel il a immortalisé l'Amérique des années 50, celle qui faisait tant rêver les français.
Elisabeth décide un peu sur un coup de tête d'organiser une soirée chez elle, une sorte de "fête de printemps" qui réunira sa soeur et ses amis ainsi que ceux de son mari et pourquoi, pas le couple du dessus, Jean-Lino et Lydie avec lequel elle a récemment lié connaissance. Lydie pourrait même chanter lors de la soirée, vue que c'est une ancienne chanteuse de cabaret reconvertie en thérapeute. Et Jean-Lino est maintenant pour elle, devenu un véritable ami, lui, l'italien juif, exilé et toujours à la recherche de ses origines. Ils ont maintes fois unis leur solitude ; ils montent ensemble aux étages sans prendre l'ascenseur, lui parce qu'il a peur des lieux clos, elle pour préserver sa ligne ; ils sont allés ensemble aux courses ; il lui a fait quelques confidences concernant ses rapports difficiles avec le petit-fils de Lydie dont il essaie sans succès de se faire aimer ; et de plus ils pourront prêter des chaises !
La soirée se déroule sans encombre ou presque, chacun des convives ayant à coeur de se comporter tel qu'on l'attend de lui.
Mais alors que tout le monde est parti et qu'Elisabeth et son mari se retirent dans leur chambre, décidant de ranger l'appartement le lendemain matin, la sonnerie de l'entrée les oblige à ouvrir leur porte à un Jean-Lino sous le choc qui leur annonce qu'il vient d'étrangler sa femme...
Pourquoi, Lydie qui militait assidûment contre le broyage d'innocents poussins vivants et qui s'est toujours intéressée à la cause animale, a-t-elle eu l'idée d'envoyer un coup de talon à Eduardo, le chat de Jean-Lino, qui plus est un chat malade, qui a des calculs rénaux et ne comprend que l'italien...
La soirée vient de tourner au drame : suspense, rebondissements, imprévus et interrogatoires vont être désormais au rendez-vous...
L'auteur nous offre ici un roman très proche du théâtre...et un véritable huis-clos, dans la lignée de ces oeuvres précédentes.
Comme dans "Art", un rien va faire déraper la soirée !
Dans ce milieu bourgeois et très décalé, où il est de bon ton de sauvegarder les apparences, l'hypocrisie des relations humaines et les multiples non-dits nécessaires à la vie en société, sont montrés du doigt avec un certain cynisme et beaucoup d'ironie.
Les objets jouent un rôle très important comme la grosse valise rouge dans laquelle Jean-Lino va tenter de faire entrer Lydie, le manteau trop court et le bonnet...mais aussi les chaises et les verres, objets de discussion lors de la préparation de la soirée.
Le stylo était posé en travers. La lampe avec son abat-jour safran était allumée. Je n'avais jamais vu son écriture. Ces mots écrits pour mémoire, finement penchés, m'ont fait sentir l'existence de Lydie plus que n'importe quel instant de sa présence physique. Le geste de noter, les mots eux-mêmes et l'inconnu de leur destination.
Les animaux ne sont pas en reste puisque c'est à cause du chat que la dispute du couple tourne au drame. C'est aussi parce que Lydie tient sans cesse des propos écolo trop poussés (en parlant sans cesse des poulets et des conditions de leur élevage) que Jean-Lino s'est moqué d'elle durant la soirée, provoquant le rire de l'assemblée à ses dépens ce qu'elle n'a pas particulièrement apprécié...
C'est un roman accessible à tous, qui se lit vite et avec intérêt car la plume acérée de l'auteur est un véritable plaisir littéraire.
Bien que j'ai trouvé la mise en scène, fort intéressante, il m'a semblé qu'il manquait dans ces pages, un petit quelque chose, et je suis donc restée sur ma faim.
Pour un prix Renaudot et vu que j'avais adoré les deux pièces de théâtre qui ont été primées, je m'attendais à mieux de la part de cet auteur...mais peut-être que justement, j'en attendais trop !
Tout le monde riait. Les Manoscrivi riaient. C'est l'image d'eux qui est restée. Jean-Lino, en chemise parme, avec ses nouvelles lunettes jaunes semi-rondes, debout derrière le canapé, empourpré par le champagne ou par l'excitation d'être en société, toutes dents exposées. Lydie, assise en dessous, jupe déployée de part et d'autre, visage penché vers la gauche et riant aux éclats. Riant sans doute du dernier rire de sa vie. Un rire que je scrute à l'infini. Un rire sans malice, sans coquetterie, que j'entends encore résonner avec son fond bêta, un rire que rien ne menace, qui ne devine rien, ne sait rien. Nous ne sommes pas prévenus de l'irrémédiable.