Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Depuis l'embrasure de la porte, sous un croissant de lune, il regarda l'homme descendre la bretelle avec la glace qui craquait sous ses pas, de plus en plus discrets quant il franchit le pont, s'éloignant du fracas de la rivière en direction d'une rivière soeur presque aussi rapide. Il aspira des bouffées d'air, histoire de se préparer, sachant que maintenant le bar allait se remplir et qu'il lui faudrait donner un compte-rendu minutieux de la rencontre.
J'adore cet éditeur et je me laisse souvent tenté par les romans qu'il publie.
Je connaissais Edna O'Brien, cette grande romancière irlandaise, pour avoir lu et beaucoup aimé, bien avant d'avoir ce blog, son roman "Vents et marées" qu'il faudra que je relise d'ailleurs un jour.
C'est donc tout naturellement que j'ai emprunté celui-ci, sans même lire la quatrième de couverture.
Dès l'ouverture du livre, le ton est donné et il suffit de lire la citation ci-dessous, qui ouvre en exergue le roman... pour entrer dans le vif du sujet.
Le 6 avril 2012, pour commémorer le vingtième anniversaire du début du siège de Sarajevo par les forces serbes de Bosnie, 11 541 chaises rouges furent alignées sur les huit cent mètres de la grand-rue de Sarajevo. Une chaise pour chaque Sarajévien tué au cours des 1 425 jours de siège. Six cent quarante-trois petites chaises représentaient les enfants tués par les snipers et l'artillerie lourde postés dans les montagnes à l'entour.
L'histoire raconte l'arrivée d'un parfait inconnu, originaire du Montenegro, à Cloonoila, un petit village perdu d'Irlande où personne ne s'arrête jamais.
Vladimir Dragan y est accueilli chaleureusement par les habitants et s'installe comme guérisseur.
Il exerce très vite une sorte de fascination sur la population et surtout sur toutes les jeunes femmes.
Il faut dire que les seules occupations des habitants sont les réunions au pub pour y boire une bière, et le club de lecture.
Fidelma est mariée à un homme plus âgé. Jack et elle tiennent un magasin où elle s'ennuie maintenant que l'autoroute permet aux habitants de se rendre plus facilement à la ville. Ils n'arrivent pas à avoir d'enfants.
Quand, dans le cadre du club de lecture, dont Fidelma est présidente, une lectrice explique le profond ennui qu'elle a ressenti à la lecture de la mythique et merveilleuse histoire d'amour entre Didon et Enée...Vladimir Dragan intervient...il subjugue tout le monde !
Fidelma est conquise et tombe follement amoureuse de lui.
Rien de plus banal me direz-vous ?
Barbu, avec un long manteau noir et des gants blancs, il se tient sur le pont étroit, observe le courant qui rugit, puis regarde autour de lui, apparemment un peu perdu, sa présence étant la seule curiosité dans la monotonie d'un soir d'hiver en ce trou perdu glacial qui passe pour une ville et s'appelle Cloonoila.
Longtemps après, d'aucun rapporteraient d'étranges événements ce même soir d'hiver : les aboiements fous des chiens, comme s'il y avait du tonnerre, et le timbre du rossignol dont on n'avait jamais entendu si à l'ouest le chant et les gazouillis...
Et bien vous vous trompez car, Vladimir Dragan est arrêté et les habitants découvrent avec consternation et horreur que celui qu'ils admiraient tant, est un des pires criminels de guerre qui soit, qui a fui son pays après avoir commis d'horribles massacres et torturé des milliers de personnes, pendant la guerre civile.
Recherché par toutes les polices, il devra être jugé au Tribunal international de la Haye pour "crime contre l'humanité".
C'est alors que Fidelma, qui a découvert qu'elle était enceinte, se retrouve au centre de la tragédie. Il n'y a pas que la police qui a poursuivi Vladimir Dragan jusqu'en Irlande. Certains hommes le recherchent aussi pour se venger.
Comment survivre à la violence que Fidelma va subir ? Elle choisira de fuir son village et la honte pour tenter de se reconstruire à Londres où le lecteur la retrouvera parmi d'autres immigrés...
Les habitants se remettront-ils un jour de leur culpabilité d'avoir si bien accueilli cet assassin ?
Et le vieux mari de Fidelma, lui pardonnera-t-il un jour sa trahison ?
Dans tous mes rêves il y a du sang. Il jaillit de la pompe à Cloonoila, où plusieurs femmes attendent de remplir leurs seaux. Elles me reprochent la malédiction terrible que j'ai attirée sur leur village. Il suinte des matelas et se répand sur le sol, dans le hall et dans le couloir qui mène à l'appartement...
C'est un roman très violent mais qui, et c'est là toute la subtilité de l'écriture de l'auteur, garde toujours espoir en l'humanité.
Le vrai sujet de ce roman n'est pas la guerre civile qui vous l'aurez compris, est celle de l'ex-Yougoslavie, même si le personnage de Vladimir Dragan est en effet le double fictif de Radovan Karadzic...que l'on a dénommé le "boucher des Balkans".
L'auteur s'attache davantage à nous montrer comment une femme intelligente, cultivée et curieuse arrive, ainsi que toute la population d'un village, à se faire berner par un charlatan charismatique certes, mais surtout manipulateur et psychopathe.
L'alternance entre les moments insoutenables et la beauté des descriptions de la nature ou des rencontres, permet au lecteur de ne jamais se complaire dans l'horreur.
L'auteur sait mettre ce qu'il faut de poésie et souvent aussi, d'humour au bon moment, pour éviter au lecteur de lâcher le livre.
Un livre et un auteur à découvrir absolument !
Épuisé et hagard, il était comme un personnage soudain mis à nu. Assis à quelques centimètres l'un de l'autre sur ce rondin, elle le voyait rassembler visiblement ses forces pour être l'homme enraciné hésitant qu'il semblait toujours être, l'homme pour qui la nature était tout. Elle [Fidelma] pense : Il a fait ça pour moi...il a fait ça pour me donner du courage, et elle lui fait un signe de tête par déférence.