Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Et c'est bien l'extraordinaire magie des livres que d'être de vivants tombeaux grâce auxquels, toujours, on peut entendre la voix de celles et ceux dont les yeux sont désormais clos et les bouches muettes.
Je n’étais encore qu’une enfant quand ma grand-mère est morte. Elle vivait avec nous, ou plutôt c’était nous qui vivions avec elle, même si les grands-parents nous avaient cédé l’aile la plus vaste de la maison pour occuper les appartements de l’est, qui regardaient la montagne et recevaient les premiers le soleil.
Les petits livres sont plus durables que les gros : ils vont plus loin.
J'ai fait la découverte de ce petit livre au gré de mes balades dans la médiathèque.
Voilà 80 pages qui se lisent en une petite heure. L'auteur ne suit aucune chronologie et le lecteur se laisse porter par la poésie des mots, sans savoir où l'auteur va le mener...Une balade poétique et nostalgique au pays de cet écrivain discret mais en perpétuelle recherche de liberté.
Il s'agit plus d'un récit que d'un roman, d'une sorte de recueil de souvenirs de jeunesse et d'adolescence, d'un témoignage d'une partie de la vie de l'auteur.
L'auteur nous raconte son grand-père, les vignobles, les vendanges et les paysages qui ont marqué sa jeunesse.
Il nous fait voyager de son enfance à son adolescence, mêle rêves et réalité et nous raconte les balades à vélo avec ses amis vers le Revermont, les rencontres qui ont été importantes pour lui tout au long de sa vie, les soirées mémorables où avec ses amis, dans le bistrot de la belle Mercedes dont ils étaient tous amoureux, il partageait le plaisir de l'ivresse et la découverte des bons vins, les discussions animées mais aussi leurs silences, et enfin son amour des mots, des livres et de la littérature.
J’aime le vin que je bois, lorsque il mérite son nom. Dans ma cave, il n’y a pas de vin. Il n’y a que d’heureuses espérances. De troublantes expériences.
Je n’ai pas trouvé la poésie dans le vin, mais le vin dans la poésie... Mes amis sont morts en Algérie ou se sont suicidés...Il me reste le silence.
Mes amis lisent peu, sinon des romans de gare, les jours de pluie. Ce que je dois à la lecture, le trouvent-ils dans le vin ? Je n'ai pas leur expérience atavique de la vigne. Ce paysage, il a beau m'être le décor d'une vie, me reste justement assez étrange pour m'inspirer le songe d'un ailleurs qui serait ici. Je me sens en quelque sorte dépositaire de nombreux ailleurs possibles, dont la perfection me satisfait en me torturant parfois comme une douleur dentaire. Je m'éprouve vivant dans la mesure où ces ailleurs me protègent de je ne sais quelle débâcle de l'âme. Et les mots qui me viennent, je le soupçonne, ne disent hélas que trop peu ce qu'ils seraient affectés à dire Le démon du vin – j'entends l'être familier, intime, qui habite la vigne – a-t-il quelque parenté avec celui de la littérature ?
C'est le dernier roman écrit par l'auteur et il est teinté d'une certaine nostalgie et des regrets de l'enfance... Sans doute l'auteur se savait-il malade.
Le récit est découpé en courts chapitres, et se lit vite, mais l'écriture à la fois concise et poétique ne vous laissera pas indifférent.
De plus, le livre est merveilleusement préfacé par Philippe Claudel, qui rend ici un lumineux hommage au grand poète disparu en 2014, dont l'oeuvre immense, composée d'une quarantaine d'ouvrages a été couronnée par de nombreux prix.
L'auteur a reçu entre autre, le Goncourt de la poésie pour l'ensemble de son oeuvre et le Grand prix de poésie de l'Académie française en 2012.
Je regarde mes compagnons s'éloigner lentement, et le regret d'une chose que nous aurions dû conserver (mais quelle chose ?) me hante et me consume. De cette chose précieuse impalpable et fuyante, nous ne concevons la nécessité qu'après l'avoir perdue, et ce doit être cela, oui, qui témoignerait, pour peu que nous ayons la patience et la force d'en mesurer les contours, d'une forme de nostalgie qui serait la vie même.
Lumineuse et blonde vendange tardive d'une poésie élevée pendant quarante années, ce livre permet de retrouver l'ami fragile, la maigre silhouette, la voix basse et chaude, éraillée mais si douce, son amour des mots, ceux des autres plus que les siens...