Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
J'ai passé plus de temps que toi sur cette Terre. Et notre différence, c'est que moi, je t'ai perdue. C'est parce que j'ai continué à vivre que je le sais. J'ai voulu être seul souvent pour être avec toi. Il faut bien donner son temps aux amours invisibles. S'en occuper un peu. Encore maintenant je me demande comment tu vas. Ce que tu fais. Je cherche de tes nouvelles. J'invoque la colère pour que tu la calmes. Quelques rires ou tu me rejoindrais. Et le soleil a changé, puisqu'il manque une ombre. Mais je suis heureux. Et c'est à ton absence que je dois de le savoir.
Voici un témoignage poignant, celui d'une histoire d'amour qui s'est terminée brutalement...
En effet, l'auteur a été l'époux de Marie Trintignant et il est le père de Jules, le plus jeune des quatre fils de Marie, qui avait seulement cinq ans lors du décès de sa mère.
Car si tu as eu une vie après nous, aussi brève fut-elle, aussi violente fut sa fin, accepte le bonheur que j'ai pu connaître. Admets que l'amour ait pu se pencher à nouveau sur mon ombre et mon corps fragiles. Que tu n'aies pas tout arraché, ou que les fleurs coupées de leur sens puissent ne pas faner aussi vite que nos vies mêlées. J'ai aimé. Tu m'as donné envie d'aimer. J'ai aimé comme tu as aimé. J'ai aimé comme tu m'as aimé. J'ai aimé comme tu m'as appris à aimer. J'ai aimé comme je t'ai vue en aimer d'autres. J'ai aimé sans arrêter de t'aimer. Et je priais le ciel et Dieu de me laisser encore aimer un peu.
Au mois d'août 2003, Marie Trintignant disparaissait, victime des coups de son compagnon, Bertrand Cantat, alors qu'elle était en plein tournage d'un film en Lituanie.
Tout le monde connaît l'histoire, car elle a fait la UNE de tous les médias.
C'est une histoire tragique qui a détruit une famille entière, une famille discrète et fusionnelle dont on parlait peu jusqu'à présent, en dehors de leur vie d'artistes.
Cette famille n'a pas pu faire son deuil à l'abri des regards, car l'affaire (et surtout le procès), a tourné à la polémique puisque la victime s'est retrouvée comme jugée elle-aussi. Il reste d'elle un portrait que les siens ne reconnaissent pas...
Cette tragédie a aussi perturbé les fans de Bertrand Cantat, qui vénéraient le leader de Noir Désir, détruit ses proches et en particulier sa femme, qui s'est suicidée en 2010.
Tout le monde a bien sûr tenté de comprendre le geste de Bertrand Cantat et la douleur des proches...mais qui a réellement songé à Samuel Benchetrit que Marie venait de quitter, après 8 ans de vie commune ?
Depuis bien sûr, il a pris de la distance avec sa douleur, il a aimé à nouveau, son fils a grandi et c'est la raison pour laquelle, il a décidé d'écrire aujourd'hui ce récit...pour nous parler d'elle et de leur amour.
La nuit parfois, Marie vient le voir et, ensemble, ils parcourent les lieux où ils ont vécu, où ils se sont aimés, rencontrent les gens qui les connaissaient, ou qui lui sont proches à présent...
Lors de cette errance, où tous deux retracent ensemble le parcours de leur vie commune, l'auteur nous livre les jours d'horreur, mais aussi les jours et les souvenirs heureux.
Il nous parle surtout de l'être aimé, de cette sensation de perte et d'abandon lorsqu'elle est partie avec un autre...celui qui l'a tuée qu'il ne nommera jamais tout au long du récit.
Il se souvient en particulier des jours terribles qui ont suivi sa mort et de la façon dont il lui a fallu l'apprendre à son jeune fils, des questions que celui-ci lui a posées, de la tristesse de l'enterrement et de leur vie commune par la suite. Pour atténuer la douleur, il raconte à son fils que tous les supers héros sont des orphelins...
Il y avait des oiseaux. L'odeur de l'été. J'ai installé notre fils sur le banc. Je lui ai dit qu'il ne te reverrait plus jamais. Plus jamais. Il m'a demandé quand il te reverrait. Plus jamais. Il m'a demandé encore quand il te reverrait. Plus jamais. Et encore. Plus jamais. J'ai dit ce qu'on m'avait dit de dire. J'ai fait ce qu'on m'avait dit de faire. ...
"La mort c'est pas Disneyland, mon fils. Faut pas laisser d'espoir..."
Il nous décrit cette nuit-là, où il a reçu un appel téléphonique de Bertrand Cantat, mais n'a pas compris, à distance, la gravité de la situation, juste que la violence avait ce soir-là fait place à l'amour.
J'entends les mouvements. J'entends qu'il se penche. J'entends qu'il prononce ton prénom. Doucement. Et puis le mien. Il dit "c'est Samuel. Marie, c'est Samuel". Je crois entendre ton souffle».
...
- Elle ne se réveille pas.
Je crois qu'il pose le combiné contre ton oreille. Je dis "Marie, c'est Samuel. Tu m'entends ?"Est-ce que tu m'entendais ? Combien de temps avons-nous perdu à parler aux morts ?
Est-ce que tu m'entendais ?
...
Je lui dis d'appeler ton frère qui est aussi dans ce pays. Il va faire ça. Il me remercie. J'ai honte aujourd'hui de ce remerciement.
Il nous raconte la difficulté du deuil lorsque rien ne peut se faire en secret car tous les appareils photos sont braqués sur eux, l'impression d'être dépossédé une seconde fois de l'être aimé.
Il retrace en détails son ressenti lors du procès, les "manques" de la justice qui a fini, à force de chercher des circonstances atténuantes à Bertrand Cantat, par faire de la victime une coupable, cherchant à en faire une autre personne, coléreuse pour ne pas dire hystérique...
Il parle aussi de sa colère... et de l'impossible pardon, de l'envie subite de casser la gueule à celui qui a tué.
Un groupe d'une douzaine de personnes arrive. Ils suivent une guide. Ils s'arrêtent devant la tombe, notre tombe. Notre fils ne bouge pas, il les regarde.
La guide parle fort. Elle prend un ton de prof d'histoire et commence à gueuler ta vie et mort devant notre fils. Heureusement in english. C'est son boulot, traîner des groupes de touristes de tombe connue en tombe connue.
[...]
Même si mon fils ne comprend pas l'anglais (moi non plus), je me jette sur la guide.
- Vous pouvez arrêter s'il vous plaît?
- Pardon?
- Vous pouvez aller dire vos conneries sur une autre tombe... Je crois qu'il y a Bécaud qui est enterré là-bas.
- Vous plaisantez?
Notre fils s'approche, la guide le remarque, et puis le lien se fait dans sa tête. Je ne suis pas un malade mental qui empêche les guides de morts connus dans les cimetières de faire leur boulot. Ce petit garçon représente toute la normalité du monde. La guide n'a plus la même tête, elle me demande :
- C'est sa mère ?
- In english !
- His mother ?
- Yes!
...
Enfin, il se livre avec beaucoup de dignité et de pudeur.
Marie Trintignant était son grand amour. Elle était une jeune femme passionnée mais libre. Elle aimait l'amour mais adorait sa famille et ses enfants. Grâce à elle, et à ce qu'elle lui a donné, Samuel peut aimer à nouveau aujourd'hui.
Mon avis
C'est un bel hommage sincère et touchant, passionné mais souvent poétique.
Ce n'est pas un livre qui invite à l'apitoiement ni au voyeurisme car l'auteur arrive à nous attendrir, à nous émouvoir, à nous faire rire parfois. Il parle de son amour, de ce que cet amour lui a apporté. A aucun moment il ne se laisse aller à la haine envers celui qui lui a pris son amour deux fois, une première fois en obligeant Marie à le quitter et une seconde en la frappant.
Le but de l'auteur n'est pas de jeter en pâture au lecteur sa rage...non, il parle avec une certaine sagesse de l'amour, même si la mort est omniprésente.
Il nous invite plutôt à ne pas oublier que tous les jours des femmes meurent sous les coups de leur compagnon, jaloux ou trop alcoolisé.
Malgré la brutalité des faits, ce n'est pas un livre triste. Il est poignant parce qu'on connaît la suite. C'est un livre qui parle de son amour pour une femme qui lui a tout appris et qui a fait de lui l'homme qu'il est aujourd'hui car elle a été la première et l'a fait entrer dans une famille accueillante. La force de ce premier amour est dévastatrice. Le lecteur sent qu'il a un besoin intense d'elle, de sa présence, qu'il a besoin de sa force, de son amour, et que c'est la raison pour laquelle il l'invite dans ses rêves.
A la fin de ce récit en forme de confession, il nous reste cependant une sensation de gâchis...elle était si belle et si douée.
Que l'on soit d'un côté ou de l'autre de cet entrepôt de souffrance, la justice nous a abandonnés. Que l'on t'accable ou que l'on te défende. Ce n'est plus de toi dont on parle. Étais-tu ivre ? Droguée ? Agressive ? Violente ? Jalouse ? On répond. Oui. Très. C'est elle qui a commencé. Ou alors. Non. Jamais. Impossible.
Mais je sais, oui je sais. Tu aimais. Et si l'on tuait tous ceux comme toi, le monde serait alors peuplé de petits cœurs gris. Corps tremblants. Se rassurant sur leur bon état de marche et de peur. Incapables de reconnaître leur faiblesse face à toi. On dit de ton crime: passionnel. Prémédité. Involontaire. C'est pourtant de ta liberté dont il s'agit. Et je sais comme l'homme la craint. Même s'il la décrit, la chante, la rêve. Il n'est plus rien en face d'elle. Le contraire de la liberté n'est pas l'enfermement, c'est la violence, toujours la violence physique à la fin. J'aime comme tu aimes. Et si tu ne vis plus, c'est moins d'amour sur cette terre. Quel gâchis.
Le style d'écriture peut surprendre...des phrases courtes qui partent en tous sens comme sa vie d'alors.
En effet, il y a dans ce récit comme une urgence à dire, comme si l'auteur avait peur de ne pas avoir le temps de tout nous révéler avant que le jour se lève et que Marie, venue le visiter pour une nuit, ne revienne plus jamais.
Et c'est cette urgence qui nous touche, car le lecteur sent bien qu'il fallait que ces mots sortent et soient imprimés sur le papier pour que peut-être un deuil soit fait, qu'une page soit tournée enfin, et qu'une sorte de pardon (mais peut-on pardonner ?) puisse être amorcée.
Je n'aurais peut-être pas emprunté ce récit spontanément si les bibliothécaires ne me l'avaient pas prêté pour connaître mon avis dans le cadre de leur comité de lecture inter-bibliothèque, car ce n'est pas mon style habituel de lecture et je m'intéresse peu aux "faits divers" même s'ils touchent des gens connus.
Mais j'ai découvert un véritable écrivain, sensible et passionné, et je ne regrette pas cette lecture.
Je vous invite à lire l'interview qu'il a accordée au journal "Elle"...dont voici quelques extraits ci-dessous...puis le lien si vous voulez le lire dans son intégralité.
Bonne découverte...
Je voulais que mon fils, Jules, qui a 18 ans, et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles je l’ai écrit aujourd’hui, le lise, ainsi que Jean- Louis Trintignant. Ils m’ont tous les deux demandé de le publier. Ils m’ont même dit qu’il fallait qu’il sorte. Comme ce sont les deux personnes dont l’avis m’était indispensable, cela m’a remué et conforté.
...ce livre est une histoire d’hommes. Une histoire sur la violence faite aux femmes racontée par un homme. Ce sont souvent les femmes qui en parlent. Là, c’est un homme qui commet un acte violent sur une femme et, moi, en tant qu’homme, j’en subis les conséquences. Sans oublier que je dois élever un petit garçon qui deviendra un homme. Je trouvais que c’était intéressant de m’y pencher.
Je ne suis pas un mec qui souhaite du mal aux autres, je ne lui souhaitais pas 50 ans de prison, de toute façon, cela ne ramène personne. Et bien sûr qu'il a le droit de reprendre sa vie, et de rechanter. Mais j'aurais aimé qu'il observe une certaine discrétion.
Samuel Benchetrit se livre dans un roman sur Marie Trintignant - Elle
Marie Trintignant était son grand amour. Pour la première fois depuis le drame de Vilnius, il se confie dans un livre, " La nuit avec ma femme ", et dans cet entretien exclusif. Au mois d'août 2003