Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Je pensais être exilé de mon pays. En revenant sur les traces de mon passé, j'ai compris que je l'étais de mon enfance. Ce qui me paraît bien plus cruel encore.
L'enfance m'a laissé des marques dont je ne sais que faire. Dans les bons jours, je me dis que c'est là que je puise ma force et ma sensibilité. Quand je suis au fond de ma bouteille vide, j'y vois la cause de mon inadaptation au monde.
L'histoire se passe dans un quartier de Bujumbura, la capitale du Burundi.
Dans les années 90, Gabriel dit Gaby, a dix ans et vit là dans une jolie maison auprès de son père, un entrepreneur d'origine française, de sa mère, une réfugiée rwandaise qui s'occupe de sa famille et de sa petite soeur Ana.
Dans ce quartier de privilégiés vivent de nombreuses familles de réfugiés, venant du Rwanda ou du Zaïre ainsi que des familles d'expatriés européens.
Gaby et ses copains de toujours forment une bande joyeuse, se baignent dans la rivière ou se cachent dans leur planque pour bavarder ou fumer quelques cigarettes. Ce sont de gentils gamins, même si de temps en temps, ils vont chaparder quelques mangues chez les voisins et n'hésitent pas à aller les leur revendre pour s'acheter quelques gâteries avec l'argent récolté !
Il n'est pas nécessaire de décrire les paysages somptueux qui forment leur magnifique cadre de vie, ni les plantes tropicales et abondamment fleuries, ni les odeurs et les saveurs épicés, ni le lac Tanganyika et ses reflets, ni les fêtes colorées et animées qui se poursuivent tout au long de la nuit...pour imaginer son pays.
Mais ce quotidien à la fois festif et empli de douceur va céder peu à peu la place à la violence.
Tout d'abord, les parents de Gaby se séparent.
Oui, ce fut notre dernier dimanche tous les quatre. Cette nuit-là, Maman a quitté la maison, Papa a étouffé ses sanglots, et pendant qu'Ana dormait à poings fermés, mon petit doigt déchirait le voile qui me protégeait depuis toujours des piqûres de moustique.
Il y a ensuite l'euphorie d'un peuple libre qui va voter pour la première fois et le parti militaire au pouvoir qui perd les élections. Ensuite le premier président Hutu est assassiné en 1993 en même temps que son homologue rwandais, laissant le peuple au désespoir.
La guerre civile démarre alors brutalement au Rwanda où les conflits ethniques font rage depuis longtemps, se transformant rapidement en génocide (en quelques semaines 800 000 Tutsies seront massacrés par les Hutus).
Peu à peu elle gagne le Burundi, la ville et le quatier et s'immisce dans la vie quotidienne, amenant avec elle la peur, l'intolérance, la haine et surtout la cruauté et la violence.
Les haies de bougainvillées sont remplacées par des murs et des barbelés, l'humour et les espiègleries de l'enfance par la peur et le doute, la musique et la gaieté des fêtes populaires ou familiales par la solitude et l'enfermement, l'amitié fait place à la méfiance et même les domestiques familiers disparaissent sans donner d'explication.
Quant à l'odeur de citronnelle qui embaumait les rues... c'est maintenant celle des cadavres qui jonchent le chemin de l'école qui la remplace.
J'ai beau chercher...
J'ai beau retourner mes souvenirs dans tous les sens, je ne parviens pas à me rappeler clairement l'instant où nous avons décidé de ne plus nous contenter de partager le peu que nous avions et de cesser d'avoir confiance, de voir l'autre comme un danger, de créer cette frontière invisible avec le monde extérieur en faisant de notre quartier une forteresse et de notre impasse un enclos.
Gaby qui faisait tout pour n'être qu'un enfant comme les autres, découvre qu'il est métis, français et surtout Tutsi puisque sa mère l'est. Il se réfugie alors dans les livres qu'une de leur voisine lui prête, s'enfonçant dans son imaginaire pour ne pas avoir à prendre partie...
Cet après-midi-là, pour la première fois de ma vie, je suis entré dans la réalité profonde de ce pays. J'ai découvert l'antagonisme hutu et tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d'un camp ou d'un autre. Ce camp, tel un prénom qu'on attribue à un enfant, on naissait avec, et il nous poursuivait à jamais, Hutu ou tutsi.
...La guerre, sans qu'on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n'ai pas pu. J'étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais.
C'est un livre magnifique dont on n'a pas fini d'entendre parler.
Ce n'est que mon avis car je ne suis pas objective du tout, puisque j'ai aimé chaque mot et chaque page de ce roman.
C'est un roman bouleversant proche du témoignage, mais malgré l'emploi du"je", ce n'est pas un roman autobiographique, même si l'auteur lui-même est rescapé du génocide Tutsi au Burundi et s'est installé en France en 1994.
C'est Gaby qui prend la parole pour nous conter son enfance durant les années qui ont précédé le génocide, et avant que son père soit obligé de les envoyer en France pour les mettre en sécurité certes, et les sauver... mais en faire pour toujours des exilés.
L'auteur avoue qu'il s'inspire largement des souvenirs de son enfance pour décrire celle de Gaby, une enfance insouciante comme devrait toujours l'être l'enfance, mais une enfance qui s'arrête brutalement lorsque le drame survient, le faisant grandir trop vite au fur et à mesure que l'horreur touche sa famille, ses proches et son quartier.
A travers la voix de Gaby, le lecteur perçoit l'inquiétude, l'étonnement même, devant des événements que l'enfant ne comprend pas, et que son père ne veut surtout pas lui expliquer, trouvant important de tenir les enfants le plus possible à l'écart de toute cette tragédie.
Et c'est cette incompréhension face aux événements qui nous bouleverse.
Lorsque l'auteur nous décrit l'enfance de Gaby, l'écriture est simple et emplie de poésie et de malice. Il nous parle avec beaucoup de douceur de ce pays qu'il a tant aimé. Puis son écriture devient plus réaliste et tourmentée pour nous décrire les doutes et les angoisses du jeune garçon.
L'auteur a un talent fou pour nous rendre le passage du bonheur à l'horreur supportable et ce qui est remarquable, c'est que pas un seul instant, il ne porte un jugement sur les événements vécus.
Mais malgré tout, malgré les derniers chapitres qui nous prennent aux tripes et remplissent nos yeux de larmes, malgré les passages criants de vérité, malgré la violence et la cruauté des témoignages, en particulier le récit de ce que la mère a vécu au Rwanda, ce n'est pas pour autant un énième livre sur la guerre et sur le génocide.
C'est un livre très doux sur l'enfance, un livre plein de vie et d'espoir...
Que faisons-nous pour empêcher que pareilles horreurs se reproduisent encore et encore ?
Comment peut-on survivre à pareille tragédie ?
Ce sont les questions qui nous hantent quand on referme le livre, après avoir lu les derniers chapitres, et nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que la communauté internationale n'a pas vu, ou pas voulu voir, ce qui se déroulait sous ses yeux, et de faire un parallèle avec ce qui se passe encore aujourd'hui dans certains pays...
Je vous livre ci-dessous l'avis d'Audrey du blog "QueLire ?"que je vous invite à aller visiter.
Vous allez voir que nous sommes bien d'accord, même si nous l'exprimons différemment.
Petit pays de Gaël Faye (la chronique) - Que lire ?
Chaque nuit, nous dormions sur des tisons ardents et nous voyons les flammes s'élever au-dessus du pays, des flammes si hautes qu'elles dissimulent les étoiles que nous aimions admirer. Petit pay...
http://que-lire.over-blog.com/2016/09/chronique-petit-pays-de-gael-faye.html
On vivait sur l'axe du grand rift, à l'endroit même où l'Afrique se fracture.
Les hommes de cette région étaient pareils à cette terre. Sous le calme apparent, derrière la façade des sourires et des grands discours d'optimisme, des forces souterraines obscures, travaillaient en continu, fomentaient des projets de violence et de destruction qui revenaient par périodes successives comme des vents mauvais : 1965, 1972, 1988.
Un spectre lugubre s'invitait à intervalle régulier pour rappeler aux hommes que la paix n'est qu'un court intervalle entre deux guerres. Cette lave venimeuse, ce flot épais de sang était de nouveau prêt à remonter à la surface. Nous ne le savions pas encore, mais l'heure du brasier venait de sonner, la nuit allait lâcher sa horde de hyènes et de lycaons.
L'auteur Gaël Faye est un des auteurs-compositeurs-interprètes de rap parmi les plus brillants de sa génération.
Il nous livre ici son premier roman, un témoignage qui vient d'être récompensé par deux prix. Il est également en lice pour le Prix Goncourt mais cela ne m'impressionne pas, car je pense qu'honnêtement, son livre mérite mieux !
L'auteur a donné ce titre au roman, car ce titre est aussi celui d'une de ses chansons de l'album "Pili-Pili sur un Croissant au beurre" sorti en 2013, dont vous trouverez l'interprétaion ci-dessous.
Bientôt ce serait la fin de mon anniversaire, je profitais de cette minute avant la pluie, de ce moment de bonheur suspendu où la musique accouplait nos cœurs, comblait le vide entre nous, célébrait l'existence, l'instant, l'éternité de mes onze ans, ici, sous le ficus cathédrale de mon enfance, et je savais alors au plus profond de moi que la vie finirait par s'arranger.