Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Pendant un demi-siècle, nous nous sommes rêvés bienveillants, généreux, charitables. humanitaires, en somme. Les conflits étaient ailleurs, lointains, et les citoyens qui, ici, voulaient s'engager le faisaient avec les idéaux d'Henri Dunant : humanité, impartialité, neutralité.
Ces dernières années, cet humanitaires pacifique a cédé plusieurs fois la place à un engagement militaire...
Ce roman met en scène ces contradictions...
Depuis "Rouge Brésil" prix Goncourt 2001, je n'avais jamais plus rien lu de cet auteur, membre de l'Académie française depuis 2008...Il était temps !
Pourquoi veut-on aider les autres ? Quel but poursuivons-nous ?
Faut-il mieux leur apporter des vivres, des vêtements et des médicaments ou de quoi se battre et se défendre ?
Durant l'hiver 1995, pendant la Guerre de Bosnie, cinq personnes à bord de deux gros camions se rendent en ex-Yougoslavie, pour rejoindre Kakanj, afin de porter secours à des réfugiés cachés dans les fours de l'usine qui jouxte une mine.
A leur bord, quinze tonnes de matériel, convoyé grâce à une association humanitaire lyonnaise.
Les paysages enneigés sont sublimes de beauté, la route est facile et la guerre semble loin, si ce n'est le passage de ces fameux check-point ou postes de contrôle qui provoque de plus en plus d'angoisse dans le groupe.
Là, les petits chefs locaux jouent aux caïds et veulent avant tout avoir le pouvoir. Ils sont prêts à tout pour terroriser les convoyeurs et répondent à la moindre provocation de leur part.
D'un point de vue métaphorique, le check-point est aussi devenu le symbole du passage d'un univers à un autre, d'un ensemble de valeurs donné à son contraire, de l'entrée dans l'inconnu, le danger peut-être.
L'ambiance au sein du groupe, déjà tendue depuis le début du voyage, devient très vite explosive, suite au passage d'un de ces check-point.
Marc, un ancien casque bleu, provoque sans raison, les hommes armés en sifflotant et met ainsi la mission en péril.
Dès lors, rien ne va plus...
Lionel, le responsable de l'expédition qui joue au petit "chef", se retrouve dépassé par la situation et devient nerveux. Il décide de scinder les équipes en place (et fume joint sur joint pour se calmer). Il fera désormais équipe avec Alex. Lui aussi est un ancien casque bleu : il connait bien la région. Marc et lui ont servis dans cette zone ce qui explique qu'ils affichent une assurance factice.
En fait, si Alex ne cache rien, dès le départ, de sa véritable motivation_retrouver Bouba qu'il a connue lors de sa précédente mission et qu'il aime_ pour Marc, les raisons de son voyage restent très floues.
Vauthier, le mécanicien du groupe, assez féru en mécanique pour réparer la casse n'est pas du tout net lui non plus. Est-ce un flic chargé de les surveiller, un espion venu en repérage...je vous le laisse découvrir !
Maud, la seule femme du convoi et la plus idéaliste, tente de trouver sa place parmi les hommes. Maintenant qu'elle fait équipe avec Marc, elle va découvrir qu'aider les autres n'est pas tout à fait ce qu'elle avait imaginé.
Vous l'aurez compris : les motivations pour faire partie du convoi humanitaire sont toutes différentes.
Le groupe ne met pas beaucoup de temps à s'apercevoir que les deux anciens militaires leur cachent quelque chose...
Dans ce huis-clos, mobile certes, la violence voire la haine va faire peu à peu partie du quotidien, lorsque les masques tombent enfin, sur les véritables motivations des hommes et surtout lorsqu'ils apprennent que Marc a caché des explosifs dans un des camions afin de les amener sur le terrain pour faciliter l'explosion d'un des ponts stratégiques, faisant ainsi courir des risques inconsidérés à la mission humanitaire...
Maud s'était reprise et avait rejoint les autres. En attendant le médecin, elle trouva la force de regarder de nouveau le groupe macabre qui s'étalait sur le sol. Et, à cause des mots qu'Argelos avait prononcés, elle vit les choses différemment...Maintenant elle distinguait des êtres particuliers. Elle reconnaissait en eux d'anciens vivants...des femmes et des enfants qui respiraient, marchaient, mangeaient peu de temps auparavant.
Ce roman est en fait un thriller psychologique. Le suspense est maintenu jusqu'à la fin et les revirements de situation permettent de ne jamais s'ennuyer.
C'est un roman très documenté qui se lit facilement même si, pour les besoins de la cause, l'auteur a inséré dans l'histoire une aventure amoureuse qui certes y trouve sa place et permet de relier les événements entre eux, mais n'est pas le nerf de l'histoire.
J'ai trouvé la fin très triste car bêtement je ne pensais pas que la violence entre eux iraient jusque là.
Aucun des convoyeurs d'ailleurs ne sortira totalement indemne de cette expédition...
Ils roulaient dans une campagne morne où traînaient encore des brumes. Il y avait peu de villages dans cette partie de la Krajina. De temps en temps, ils apercevaient une maison détruite, les murs éventrés par des obus, les poutres calcinées. Ils croisèrent une charrette de foin tirée par un tracteur sans âge, qui roulait au pas...
La construction du roman est classique et linéaire : seule fioriture...le prologue est repris et se poursuit dans la dernière partie du roman qui en contient quatre.
C'est un roman qui porte plusieurs messages et ne peut nous laisser indifférents.
Il permet de comprendre les différentes motivations qui animent ceux qui s'engagent dans une ONG.
Il explique les contradictions, l'impuissance parfois de ces mêmes ONG.
Il nous interroge sur le bien-fondé de leur aide, dans le monde d'aujourd'hui.
L'auteur, lui-même engagé et pionnier de Médecins Sans Frontières, sait de quoi il parle !
Il a choisi de retracer l'histoire de la guerre en Bosnie vingt ans après, plutôt que de nous parler des conflits actuels dans le monde.
Il s'est inspiré d'ailleurs d'un de ces voyages humanitaires, près de Kakanj.
Mais son interrogation sur le bien-fondé de l'aide humanitaire par temps de guerre a le mérite d'ouvrir le débat, sans apporter aucun jugement ni une seule réponse.
Y a-t-il encore une place pour la neutralité de l'action humanitaire aujourd'hui ?
Faut-il armer les populations opprimées pour qu'elles puissent se défendre ?
A quoi sert de leur apporter aide vestimentaire, médicaments ou nourriture pour les voir ensuite se faire massacrer quelques jours plus tard...
Dans sa postface, l'auteur ouvre ce débat.
Aux lecteurs d'y réfléchir...
Maud se demandait si les humanitaires, Lionel par exemple, aimaient vraiment les victimes. Ou si, à travers elles, ils n’aimaient pas simplement l’idée de pouvoir aider quelqu’un, c’est-à-dire de lui être supérieur. Mais c’était une autre question.
– En tout cas, dit Marc, c’est autrement plus difficile d’aimer des combattants, des gens debout, qui se battent et qui ne tendent pas la main pour être nourris.