Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
"Et tu n'es pas revenu" est une bouleversante lettre que l'auteur a écrit avec l'aide de la romancière Judith Perrignon, à son père disparu tant aimé, soixante et dix ans après les faits, parce qu'elle n'arrivait tout simplement pas à vivre sans lui.
Il lui avait dit au début de l'année 1944 :
"Toi tu reviendras peut-être parce que tu es jeune, moi je ne reviendrai pas"
...alors que tous deux se trouvaient à Drancy au milieu de milliers d'autres juifs et que le convoi allait les emmener vers l'est. La mère de Marceline avait pu se cacher à temps et n'avait pas été arrêtée.
Quelques temps plus tard Marceline et son père sont effectivement déportés en Pologne, elle à Birkenau, lui, à Auschwitz.
Quelques kilomètres à peine séparent leurs baraquements et, entre les deux, des barbelés et des fours crématoires.
Cette lettre est un constat : comme son père l'avait prédit, il ne s'est pas trompé et il n'est pas revenu, elle oui...
Alors pour lui dire qu'elle l'aime et qu'il lui manque toujours, elle lui parle de son enfance, de ses années de déportation et de ce qu'elle a vécu là-bas dans les camps, de sa joie lorsqu'elle a pu l'entrevoir un jour en partant au travail, malgré les coups qu'elle a reçu ce jour-là pour s'être rapprochée de lui sans autorisation, mais aussi de sa vie après, lorsqu'elle est revenue auprès des siens...
Elle lui donne des nouvelles tristes de la famille qui a été totalement détruite, car lui, le père n'était plus là... alors que tout le monde avait besoin de lui et l'attendait.
J’aurais aimé te donner de bonnes nouvelles, te dire qu'après avoir basculé dans l'horreur, attendu vainement ton retour, nous nous sommes rétablis. Mais je ne peux pas. Sache que notre famille n'y a pas survécu. Elle s'est disloquée. Tu avais fait des rêves trop grands pour nous tous, nous n'avons pas été à la hauteur.
Elle raconte le silence et les mots qui ne peuvent pas sortir pour raconter l'indicible à ceux qui ne l'ont pas vécu. Elle n'arrivera jamais à faire comprendre à sa famille et à ses proches les horreurs des camps.
Tout le monde pensait qu'elle devait oublier. Mais elle, elle aurait voulu (et eu besoin de) partager les moments passés là-bas.
Elle raconte aussi à son père les instants de bonheur où elle a tenté de vivre avec Joris Ivens, son second mari. Elle parle alors avec tendresse de sa vie et de leur combat pour changer le monde.
Mais les traumatismes ne disparaîtront jamais...
Elle a maintenant 86 ans et elle regrette encore le temps où son père était en vie, et où elle était sa fille car depuis elle n'a plus jamais été la fille de quelqu'un...
J'ai vécu puisque tu voulais que je vive. Mais vécu comme je l’ai appris là-bas, en prenant les jours les uns après les autres. Il y en eut de beaux tout de même. T’écrire m’a fait du bien. En te parlant, je ne me console pas. Je détends juste ce qui m’enserre le cœur. Je voudrais fuir l’histoire du monde, du siècle, revenir à la mienne, celle de Shloïme et sa chère petite fille.(p.107)
Entretien de l'auteur autour de son livre.
Elle avait 15 ans à peine et Nul ne pourra oublier ces (ses) mots...
...Car ils sont différents de ceux qu'on a déjà lu sur ce sujet.
...Car voilà 110 pages qu'on lit en silence presque sans respirer.
...Car c'est un livre nécessaire pour ne pas oublier l'horreur des camps mais aussi que des français ont collaboré à l'envoi de ces êtres humains vers la mort...
Il fait étrangement écho à celui que je viens de terminer "Seul dans Berlin" de Hans Fallada.
Est-ce parce qu'on a commémoré l'anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau, le 27 janvier dernier que j'ai eu envie d'emprunter ces deux titres en médiathèque ?
"J'ai été quelqu'un de gai, tu sais, malgré ce qui nous est arrivé. Gaie à notre façon, pour se venger d'être triste et rire quand même. Les gens aimaient ça de moi. Mais je change. Ce n'est pas de l'amertume, je ne suis pas amère. C'est comme si je n'étais déjà plus là. J'écoute la radio, les informations, je sais ce qui se passe et j'en ai peur souvent. Je n'y ai plus ma place. C'est peut-être l'acceptation de la disparition ou un problème de désir. Je ralentis.
Alors je pense à toi. Je revois ce mot que tu m'as fait passer là-bas, un bout de papier pas net, déchiré sur un côté, plutôt rectangulaire. Je vois ton écriture penchée du côté droit, et quatre ou cinq phrases que je ne me rappelle pas. Je suis sûre d'une ligne, la première, "Ma chère petite fille", de la dernière aussi, ta signature, "Shloïme". (p.7)