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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

La Femme d'En Haut / Claire Messud

La Femme d'En Haut / Claire Messud

Nora est une institutrice sans problème qui adore les enfants et son travail. Célibataire et sans enfants, elle est considérée comme une femme et une amie modèle, bien sous tout rapport...

 

Elle aurait voulu être artiste mais pour elle qui avance si prudemment dans la vie, cela comportait trop de risques. Alors elle s'est laissée accaparer par ses obligations familiales, sa mère qui a mis des années à mourir de sa maladie, puis maintenant son père qui vit seul et a besoin d'elle.

La routine a enfoui ses désirs et ses rêves au plus profond d'elle-même, lui permettant d'oublier qu'elle a tant d'amour à donner et qu'elle aurait tant voulu avoir un enfant et être aimée...

 

Aussi lorsqu'elle fait la connaissance de la famille Shahid, récemment arrivée à Apppleton, tout bascule.

Celle qui pourrait être "la femme d'en-haut", votre voisine "sans histoires" dont vous ignorez les pensées et les rêves, va prendre conscience de tout ce à quoi elle a renoncé et surtout de tout ce qui lui manque pour être heureuse.

Car en fait, malgré son amie Didi qui vit en couple avec Esther, Nora est très seule. Elle n'avait jamais imaginé qu'un jour elle serait aussi solitaire, malgré sa famille, ses amis et ses amours de jeunesse.

 

La famille Shahid c'est d'abord Reza, le jeune garçon de 8 ans qui arrive dans  la classe de Nora et qui attendrit son coeur de femme (et de mère frustrée)...Reza qui se fait bousculer puis blesser à l'école par des garçons plus âgés, tout simplement parce qu'il est différent. C'est ainsi que tout commence et que Nora fait la connaissance des parents.

 

Puis c'est Sirena, la mère de Reza, une artiste sur le point d'émerger, venue s'exiler en Amérique pour suivre son mari qui donne des cours à Harvard pour l'année.

Sirena est elle-même un peu perdue loin de Paris. Elle propose à Nora de louer avec elle un atelier. Nora s'épanouit à ses côtés et réalise en partie ses rêves en renouant avec ses activités artistiques qu'elle avait délaissées depuis si longtemps...

Tandis que Sirena travaille à une oeuvre librement inspirée du conte d'"Alice au pays des merveilles", Nora réalise ses rêves et se lance dans la réalisation de dioramas sur de grandes figures littéraires ou artistiques comme l'écrivaine Virginia Woolf, la poétesse Emily Dickinson ou la peintre Alice Neel, toutes trois mortes brutalement.

 

Et enfin, Nora va faire connaissance avec Skandar le mari de Sirena qui se trouve être non seulement très érudit (c'est un universitaire) mais charmant et séduisant. Elle va avoir avec lui des discussions passionnées qui ne semblent s'adresser qu'à elle. Il lui parlera longuement de son pays d'origine, le Liban, l'interrogera sur elle, s'intéressera à ce qu'elle réalise.

 

Nora tombe littéralement sous le charme de cette famille ! Elle oublie peu à peu les règles de vie qu'elle s'était imposée et laisse tomber ses défenses, une à une.

Cette admiration sans borne se transforme peu à peu en amour aveuglant, un amour différent pour chacun des membres de la famille...au point qu'elle jalouse ce qu'ils ont : une famille heureuse, une vie riche en rebondissements.

Elle a si "faim" d'amour et d'intérêt, qu'elle ne s'aperçoit pas que ce qu'on lui donne en échange, est très peu de choses et manque cruellement de sincérité.

Elle vit par procuration et passe de plus de temps à imaginer qu'elle est aimée, plutôt que de vivre sa propre vie.

Elle continuera même à fantasmer sur leur amitié, malgré leur départ pour Paris, jusqu'au drame...

 

Ce que j'en pense

 

Le titre m'intriguait et j'avais noté ce roman dans ma LAL depuis sa sortie en attendant de le découvrir en Médiathèque.

 

La "femme d'en haut" c'est celle que personne ne remarque, celle qui est invisible,  non pas parce qu'elle manque de charisme ou d'intelligence, ni parce qu'elle est entre deux âges, non...c'est  plutôt parce qu'elle ne fait pas de vagues et se conforme en tous points à ce que vous attendez d'elle.

 

Nora est une femme en colère contre elle-même car elle n'a pas eu le courage de ses ambitions, mais aussi contre les autres qui l'ont empêché de réaliser ses rêves :  les gens qui l'imaginent telle qu'elle devrait être et non pas telle qu'elle est ; ses parents qui ont formaté ses désirs, ne la laissant jamais s'exprimer librement ; la vie qui lui interdit de se réaliser pleinement...

Mais est-ce bien la faute aux autres ? N'a-t-elle pas bâti elle-même ses propres barrières, obligations ou interdictions ?

Pourtant elle a aimé sa mère qui, depuis sa mort, lui manque encore affreusement.  Les pages où elle parle de sa mère et de sa maladie, sont très belles. Et Nora est une fille attentionnée et pleine de tendresse pour son père, solitaire depuis qu'il est veuf.

 

Sa colère, le lecteur le comprend très vite, prend sa source dans sa rencontre avec la famille Shahid, presque cinq ans auparavant... et la trahison, voire l'humiliation qu'elle vient de vivre plus récemment.

 

Pour retracer les événements, l'auteur nous fait entrer dans l'intimité de Nora et nous découvrons ses secrets, ses fantasmes, ses contradictions, sa terrible solitude aussi, son amertume et  sa "faim" insatiable de vivre...elle fait une analyse psychologique très fine non seulement de son personnage principal mais aussi de Sirena.

Pour rendre Nora plus présente et surtout plus crédible, l'auteur emploie le "je".

Nora s'adresse donc directement au lecteur, elle se livre alors à nous sans pudeur et avec une objectivité certaine.

Le lecteur est tour à tour attendri par  son imagination débordante ou agacé par sa naïveté car on sent bien dès le départ que quelque chose n'est pas clair entre elle et les Shahid... Mais nous devrons la laisser aller au bout de ses découvertes sur elle-même et sur les autres, et laisser tomber les masques...aller de désillusions en désillusions pour qu'enfin elle comprenne la trahison dont elle a été l'objet et laisse émerger une colère salvatrice...donc vivre, enfin !

 

 

L'auteur nous fait entrer également dans le monde égoïste des artistes à travers le personnage de Sirena, prête à tout sacrifier pour arriver à ses fins, même la confiance qu'on lui accorde, au détriment des autres...

On côtoie les difficultés de la création artistique et, à travers les oeuvres de Nora, certaines figures littéraires ou artistiques que Nora admire et dont elle recompose des tranches de vie en miniature.

 

C'est un roman qui se lit facilement même si au début toute cette amertume, son apitoiement constant sur elle- même, ainsi que cette colère (sans fondement clair) contre elle-même ou le monde entier, m'ont souvent dérangé tout en aiguisant, il faut bien le dire, ma curiosité.

Pourquoi tant de haine ? Forcément j'ai tourné les pages pour le comprendre !

 

Cependant je garde un avis mitigé sur ce livre : si la première moitié du roman nous montre un beau portrait de femme, révoltée et pleine de désirs inassouvis, la seconde moitié où Nora s'approche quasiment de la folie, présente quelques longueurs et nous fait perdre un peu de notre sympathie et de notre intérêt.

Heureusement, la fin finalement arrive à nous surprendre, car je l'attendais mais ne m'attendais pas à celle-là.

Du coup elle nous donne envie de relire certains passages pour les éclairer d'un regard nouveau...

 

Extraits

 

"Personne ne me reconnaîtrait à partir de la description que je fais de moi ; raison pour laquelle, lorsqu'on me demande de me présenter, j'ajuste, j'adapte, j'esquisse un profil correspondant, en quelque sorte, à celui que les gens croient être le mien...Mais celle que je suis à l'intérieur, très peu réussissent à la voir. Personne ou presque. La sortir de sa cachette est le cadeau le plus précieux que j'aie à offrir. Et je viens sans doute d'apprendre que c'est une erreur de la montrer au grand jour". (p .37)

 

"Car avant les Shahid, je croyais comprendre l'amour, savoir ce que c'était et ce que j'en pensais ; or ils ont tout chamboulé. Le seul fait que j'en arrive à vous déclarer sans ciller que je pourrai les tuer -elle, surtout- résume tout ce qu'il y a à en dire..."

 

"Dans nos vies, nous parcourons tant de mondes et de siècles, parfois sans faire un seul pas." (p .237)

 

"C'est un grand réconfort, un cadeau, d'être face à une tâche dont on sait parfaitement qu'elle bénéficiera à autrui. Peu importe la raison : par amour, par sens du devoir ou autre. Du moment qu'on s'y consacre à fond. On n'a d'autre souci que celui de bien faire, et quand on y parvient, on en retire une immense satisfaction" (p. 244)

 

"J'aurai dû savoir que la vie est ainsi...Nous savions depuis si longtemps que ma mère finirait par mourir de sa maladie, mais nous nous refusions à y croire, souvent avec succès, un succès croissant, curieusement, à mesure que la fin approchait, parce que nous étions un peu plus déterminés à survivre...et un peu mieux armés..." (p. 326)

 

" Voilà ce que la vie a de plus étonnant, au fond : les choses les plus considérables...se produisent en un clin d'oeil...Parfois, vous ne saisissez même pas l'importance d'un événement avant longtemps, car vous n'arrivez pas à croire qu'un fait aussi capital ait pu présenter une apparence aussi anodine." (p. 349)

 

"être furieuse, pourtant, furieuse à en avoir des envies de meurtres, c'est être vivante".

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M
Tu m'as donné l'envie de découvrir ce roman. Je le note dans ma PAL...
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M
Les histoire de femme nous touchent beaucoup...même lorsque le personnage ne sous ressemble pas !