Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Americanah...
C'est ainsi que l'on appelle les nigérians qui ont traversé l'Atlantique pour faire fortune en Amérique, avant de revenir au pays. Une façon de se moquer de ceux qui, une fois revenus, se sentent bien trop souvent supérieurs aux autres...
Ifemelu en deviendra-t-elle une ?
Ce roman amène le lecteur à entrer dans les rêves de ces milliers de jeunes nigériens qui veulent partir en Amérique ou à défaut en pour y vivre plus heureux, y poursuivre des études plus intéressantes, y devenir plus riche...
Ils rêvent d'un ailleurs meilleur où ils puissent vivre vraiment et veulent quitter leur pays parce qu'ils n'ont aucun avenir ici, qu'ils étouffent ou qu'ils ne veulent pas devenir comme leurs parents.
Ce n'est pas parce qu'ils sont pauvres ou parce qu'il y a des conflits internes au pays, non, c'est simplement pour vivre libres et avoir le choix de leur avenir.
Ce roman montre sans concession les difficultés qui les attendent. Elles sont d'ordre économiques d'abord, puis sociales, avec la difficulté de s'intégrer (plus difficile encore pour les garçons).
Elle sont aussi psychologiques et destructrices car ces jeunes "immigrés" sont confrontés à la pauvreté et à la clandestinité. Les étudiants n'ont pas le droit de travailler et sont obligés d'emprunter la carte de séjour de quelqu'un d'autre puis de changer de nom, pour obtenir un job leur permettant de payer leur loyer. Certains ont recours aux mariages blancs, d'autres vont en prison et sont renvoyés dans leur pays.
S'ils s'intègrent, c'est au détriment de leur propre culture, voire de leur personnalité... Quand on est dans un pays qui n'est pas le sien on a tendance à se soumettre aux multiples représentations que les habitants de ce pays prennent pour la réalité. Il s'agit donc pour eux de faire et de dire ce qu'on attend d'eux, d'être "politiquement correct" en somme, et il n'y a rien de plus destructeur que cette pression sournoise de la société.
Mais au bout du compte lorsque nos deux héros reviennent au pays, ils ne l'aiment pas davantage, non, mais ils le regardent différemment, comprennent mieux ses difficultés, en acceptent les problèmes et les atouts. Ils ont grandi et sont simplement devenus adultes...
Quelques extraits pour vous mettre dans l'ambiance
"En descendant de l’avion à Lagos, j’ai eu l’impression d’avoir cessé d’être noire."
"Le vent qui soufflait à travers les Iles Britanniques était chargé des peurs suscitées par les demandeurs d'asile, engendrant chez tous la crainte d'une catastrophe imminente, et ces articles étaient écrits et lus, naturellement et avec obstination, comme si leurs auteurs vivaient dans un monde déconnecté du passé, sans avoir jamais envisagé que cette situation était un développement naturel de l'histoire : l'afflux en Angleterre de citoyens à la peur noire ou brune venant de pays créés par l'Angleterre."
"Si vous dites que la race n'a jamais été un problème, c'est uniquement parce que vous souhaitez qu'il n'y ait pas de problème. Moi-même je ne me sentais pas noire, je ne suis devenue noire qu'en arrivant en Amérique. Quand vous êtes noire en Amérique et que vous tombez amoureuse d'un Blanc, la race ne compte pas tant que vous êtes seuls car il s'agit seulement de vous, et de celui que vous aimez. Mais dès l'instant où vous mettez le pied dehors, la race compte. Seulement nous n'en parlons pas. Nous ne mentionnons même pas devant nos partenaires blancs les petites choses qui nous choquent et que nous voudrions qu'ils comprennent mieux, parce que nous craignons qu'ils jugent notre réaction exagérée ou nous trouvent trop sensibles."
"Le Nigeria devint l’endroit où elle devait être, le seul endroit où elle pouvait enfouir ses racines sans éprouver en permanence le désir de les arracher et d’en secouer la terre."
Un extrait du blog...
"En Amérique, le racisme existe mais les racistes ont disparu. Les racistes appartiennent au passé. Les racistes sont des méchants Blancs aux lèvres minces dans les films qui traitent de l'époque des droits civiques. Le problème est là : les manifestations de racisme ont changé mais pas le langage. Par exemple : si vous n'avez pas lynché quelqu'un, on ne peut pas vous qualifier de raciste. Si vous n'êtes pas un monstre assoiffé de sang, on ne peut pas vous qualifier de raciste. Quelqu'un devrait être chargé de dire que les racistes ne sont pas des monstres. Ce sont des gens qui ont une famille aimante, des gens ordinaires qui payent leurs impôts..."
p 350-351
Née en 1977, Chimmanda Ngozi Adichie a quitté le Nigeria à l'âge de 19 ans pour suivre des études en Amérique en sachant très bien qu'elle allait ensuite revenir au pays.
Elle partage aujourd'hui sa vie entre le Maryland et Lagos.
Ses précédents livres connaissent un important succès dans le monde entier :
- "L'Hibiscus pourpre", révélé par Anne Carrière en France.
- "L'autre moitié du soleil", sur la guerre du Biafra.
- "Autour de ton cou".
"Americanah" a été traduit en 25 langues. L'auteur ne cache pas qu'elle s'est inspirée de sa propre vie et de sa propre expérience pour écrire ce roman et qu'il y a un peu d'elle-même, non seulement sans Ifemelu mais aussi dans ses autres personnages.
Elle vit aujourd'hui de sa plume. Mais c'est aussi une féministe engagée.
Sa conférence, organisée en décembre 2012 et intitulée :"Nous devrions tous être féministes" a été publiée en folio au printemps dernier.
Elle a même inspiré une chanson (Flawless) à la chanteuse américaine Beyoncé, chanson dont le clip révèle la voix de l'auteur entrain de faire son discours que je vous conseille de visionner dans sa totalité ci-dessous.
Nous devrions tous être féministes