Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ce court roman de 100 pages se lit aussi vite qu'une nouvelle et peut être conseillé à des ados.
Tôt un dimanche, par une journée chaude d'été, une fillette (la narratrice) âgée de 8 à 10 ans est emmenée sans aucune explication loin de sa famille pour vivre dans la ferme des Kinsella.
Des amis ? L'oncle et la tante peut-être ? le lecteur ne le saura pas : tout ce que je peux dire c'est que les parents se connaissent.
Son père la dépose rapidement en oubliant de lui laisser sa valise et sans lui dire s'il reviendra un jour la chercher, ni quand...
Le séjour n'est pas limité dans le temps car sa mère, enceinte à nouveau, est fatiguée de s'occuper des petits et de la ferme.
Tout cela n'est pas pour rassurer la petite "Pétale" comme la surnomme tendrement M. Kinsella.
Au fil des jours, grâce aux tâches quotidiennes et aux veillées avec les voisins, la petite fille apprivoise sa nouvelle maison et s'y sent de mieux en mieux.
Personne ne la gronde jamais même si elle mouille son lit. On lui offre de nouveaux habits et des gâteries. Elle cherche à bien faire pour ne pas faire honte à ses parents.
Elle est considérée comme une grande personne : on lui demande son avis. Peu à peu elle s'épanouit et grandit grâce à l'amour et l'intérêt qu'on lui offre.
Mais elle sent bien qu'un mystère plane sur la maison...
A qui sont les habits de garçon qu'on lui fait porter pour travailler ?
Ce que j'en pense
Le récit se passe au plus profond de l'Irlande rurale, dans une ferme du Wexford, qui pourrait d'ailleurs se situer n'importe où. Tous les événements ont lieu dans la ferme, dans le voisinage ou dans la ville proche de Gorey.
Les fermiers ont du plaisir à vivre cette vie-là même si elle est difficile. Ils s'entraident, se réunissent pour des veillées, ne parlent que de travail et jamais de leurs sentiments...mais sont pleins de bienveillance pour les autres.
La nature est belle, les vaches donnent du bon lait et tout le monde a de quoi manger et cuisiner de bons petits plats ce qui n'est pas le cas de la famille de la fillette.
Le récit est pudique et très épuré : tout est dit de la solitude, de la souffrance après la perte d'un enfant, de l'alcoolisme mais aussi de l'amour et de la tendresse...sans un mot de plus que nécessaire pour suggérer plutôt que dire, tout en finesse.
La petite fille découvre la tendresse et la beauté du monde qui l'entoure. On sent qu'elle change et grandit tout en comprenant davantage les adultes qui l'entourent.
La fin est très belle et d'une tendresse infinie. La petite fille a trouvé sa place dans cette famille aimante et ose le dire ce qui laisse entrevoir un avenir à leur relation même si elle doit les quitter pour la rentrée des classes, le lecteur entrevoit qu'ils se retrouveront peut-être à d'autres vacances...et qu'ils n'ont pas fini de s'aimer.
Oui, c'est certain, elle reviendra et les trois lumières brilleront encore ensemble.
A noter : le récit est rédigé entièrement au présent ce qui donne encore plus de présence aux personnages.
La transcription de ce que la petite fille ressent (et rien d'autre ou à peine) donne à ce récit un air de confidence et un réalisme à la fois poétique et émouvant.
Qui est l'auteur ?
Claire Keegan est née en 1968 en Irlande.
Elle est devenue un écrivain important de son pays et donne des cours d'écriture.
Ses écrits sont publiés dans de nombreux pays d'Europe (Italie, Allemagne, Espagne...) ou plus lointains (Chine, Japon, Slovénie...) ainsi qu'aux Etats-Unis où elle a remporté plusieurs prix.
Son recueil de nouvelles "L'Antarctique" l'a propulsé sur la scène littéraire.
"Les trois lumières" est son premier roman-récit. Il a d'abord été publié comme une nouvelle, puis allongé pour être édité comme un roman. Il est paru en France en 2011 aux Editions Sabine Wespieser. Il a été couronnée par un prix prestigieux du monde anglophone.
Elle vient de publier son deuxième recueil de nouvelles "A travers les champs bleus" en 2012. Il a obtenu le "Prix Lucioles de la nouvelle" en 2013.
Extraits
"Je n'ai pas l'habitude de rester tranquille et je ne sais pas quoi faire de mes mains. Une partie de moi voudrait que mon père me laisse là pendant qu'une autre partie voudrait qu'il me ramène, vers ce que je connais.Je suis dans une situation où je ne peux ni être ce que je suis toujours ni devenir ce que je pourrais être". (p.17)
"La brise, qui frôle le bord du seau, chuchote pendant que nous marchons. Nous ne parlons ni l'une ni l'autre, comme les gens se taisent parfois quand ils sont heureux". (p.30)
"Kinsella prend ma main dans la sienne. Dès qu'il la prend, je me rend compte que mon père ne m'a absolument jamais tenu la main, et une partie de moi voudrait que kinsella me lâche pour que je n'aie pas à éprouver cette sensation". (p.72)
"Je cours vers les vagues écumeuses pendant qu’elles reculent et me sauve en hurlant dès qu’une nouvelle se fracasse. Lorsque Kinsella me rejoint, nous quittons nos chaussures. Par endroits nous marchons de front, à la limite de la mer qui griffe le sable sous nos pieds nus. A un moment nous entrons dans l’eau et lorsqu’elle lui arrive aux genoux il m’installe sur ses épaules".(p.73)
"Tu n'es pas toujours obligée de dire quelque chose, reprend-il. Pense que la parole n'est une nécessité en aucune circonstance. Nombre de gens ont beaucoup perdu pour la seule raison qu'ils ont manqué une belle occasion de se taire". (p. 75)
Mais je ne vous donnerai pas l'extrait final...à vous de le découvrir.
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