Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ce roman a obtenu le Prix des Lecteurs du Livre de Poche en 2014 / Catégorie Littérature. Ceci n'a rien d'étonnant car l'auteur sait rendre accessible au public, la philosophie, la psychanalyse et l’Histoire.
..
, sont réels.
Le livre
Le 10 mai 1940, les troupes nazies d’Hitler envahissent les Pays-Bas. Au mois de février 1941, Rosenberg et ses troupes en charge du pillage, se rendent à Amsterdam : ils viennent confisquer la bibliothèque de Spinoza située dans sa maison de Rijnsburg.
Comment expliquer la fascination que ce philosophe juif excommunié par les siens a pu exercer sur le dangereux idéologue nazi ? Qui était Spinoza et pourquoi avait-il été excommunié par la communauté juive d'Amsterdam en 1656 ? Ses idées, mettaient-elles en péril les convictions antisémites de Rosenberg ? Les ont-elles au contraire accentué ?
Le lecteur va d'abord entrer dans la vie de la communauté juive d'Amsterdam et retrouve Baruch Spinoza en charge, avec Gabriel son frère, de l'épicerie de son père. Deux juifs récemment arrivés du Portugal veulent le rencontrer prétextant des questions à lui poser. Spinoza leur explique ses idées sur la religion, comment il voit Dieu et les pratiques religieuses. Il est en pleine recherche personnelle et est en train de construire les fondements de sa pensée philosophique. Il refuse d'obéir à la religion comme le lui demande le rabbin : lui ne cesse de s'interroger, d'analyser, et de trouver des incohérences aux croyances comme aux pratiques.
C'est un piège...Un herem sera prononcé contre lui, un herem définitif (ce qui est très rare) et Spinoza se retrouvera obligé de quitter les siens pour toujours...
En parallèle, le lecteur entre dans la vie du jeune Alfred Rosenberg au début du XX° siècle. Parce qu'il a tenu des propos raciste dans son école (déjà), le directeur l'oblige à lire Goethe et en particulier les passages où celui-ci parle de Spinoza (Goethe était passionné par Spinoza au point de garder un de ses écrits dans sa poche en permanence)... Rosenberg va devenir obsédé par ce philosophe tout en gravissant les marches du pouvoir auprès d'Adolf Hitler d'une manière rapide et banale dont il est devenu très proche tout en étant garant de l'idéologie nazie.
Toutes deux nous invitent à entrer dans l'histoire du judaïsme en Europe à trois siècles de distance...et dans la vie de deux personnages que tout oppose.
Petite biographie d'Alfred Rosenberg
Né en 1893 à Reval (aujourd'hui appelée Tallinn, capitale de l'Estonie), il entreprend des études d'architecte à Moscou puis fuit la révolution pour s'établir à Munich en 1918. Il va intégrer l'ordre de Thulé et se rallier aux doctrines raciales de Dietrich Eckart. C'est là qu'il va faire la connaissance d'Adolf Hitler. Il devient un fervent partisan du national-socialisme et en 1920, rédacteur du journal du parti. Il participe au putsch manqué de 1923, suite auquel Hitler est emprisonné, et le désigne chef du parti. Il devient de maître de l'idéologie du parti et diffuse ses idées dans " Les protocoles des Sages de Sion" puis en 1930 dans le "Mythe du vingtième siècle" où il développe ses théories raciales et antichrétiennes.
Après la prise de pouvoir en 1933, il est écarté de tous les postes ministériels par Hermann Göring en particulier. Ce qui est pour lui d'autant plus difficile qu'il a été un des premiers auprès d'Hitler qui aurait repris à son compte beaucoup de ses idées, y compris dans "Mein Kampf".
Il aura beaucoup d'autres déconvenues et finira par être nommé Conseiller spécial des territoires occupés de l'Est, puis Ministre du Reich pour les mêmes territoires. Il est alors chargé de réorganisé la carte de l'Europe selon les critères raciaux en vigueur.
Ce qui importe pour le roman c'est que c'est lui qui sera responsable de la confiscation des oeuvres d'arts, des meubles, des objets et des bibliothèques volés aux juifs déportés, non seulement en Allemagne mais aussi en France et dans tous les pays de l'Ouest.
Au procès de Nuremberg (1 octobre 1946), il sera condamné à mort pour complot, crimes contre la paix, crimes contre l'humanité et crimes de guerre et pendu le 16 octobre 1946.
Petite biographie de Baruch (Bento / Benedictus) Spinoza (1632-1677).
Il a vécu son enfance à Amsterdam. Son nom veut dire "béni" en hébreu. Il est issu d'une famille juive en provenance du Portugal qui a fui comme des milliers de portugais l'Inquisition. Ces juifs "marranes" ont tous été obligés de se convertir au catholicisme mais continuaient à pratiquer le judaïsme en secret : ils étaient victimes de l'Inquisition et se sont enfuis du Portugal (et de l'Espagne) pour se réfugier dans les villes du nord-ouest de l'Europe où les échanges commerciaux avec le Portugal étaient actifs mais aussi en France vers les villes portuaires (Bordeaux, Bayonne) et en Italie.
Mais revenons à Baruch...Elevé dans la communauté juive d'Amsterdam, il s'intègre facilement et parle le néerlandais tout en continuant à parler l'hébreu en famille. Il fréquente l'école juive, étudit la Torah et la philosophie juive. Son père espère qu'il devriendra rabbin. En 1654, à la mort de son père il reprend l'entreprise familiale avec son frère Gabriel.
En 1656 il est frappé par un herem (= excommunication) qui le maudit et le renie pour toujours (ce qui est rare). La légende dit qu'il a été poignardé...(l'événement est raconté dans le roman) et aurait gardé le manteau pour se rappeler que la passion religieuse mène à la folie.
Aucun document ne fait état de la pensée de Spinoza au moment où est prononcé le herem. On sait seulement qu'à l'époque il fréquentait l'école de Franciscus van den Enden (ouverte en 1652) où il apprenait le latin, langue qu'il utilisera dans ses écrits futurs. Il y découvre aussi l'histoire de l'Antiquité et des penseurs du XV° et XVI° siècle. Il côtoie dans cette école des hétérodoxes de toutes confessions. Il semble heureux malgré la solitude et l'éloignement de sa famille et de ses amis, de s'affranchir d'une communauté juive avec laquelle il ne partage plus ses idées.
Pour gagner sa vie il taille des lentilles optiques pour les lunettes et microscopes et deviendra expert en la matière mais est-ce la poussière de verre ou ses antécédents de tuberculose, il contactera une congestion pulmonaire et n'en guérira jamais.
Il déménage et s'installe à Rijnsburg, puis Voordburg où il commence à enseigner les pensées et la philosophie de Descartes, tout en écrivant les siennes. C'est à cette période qu'on commence à l'accuser d'être athée.
En 1675, Spinoza tente de publier l'Éthique - reculant devant les risques encourus - et commence à rédiger le Traité politique.
Ces ouvrages provoquent de violentes polémiques. Certains seront interdits, d'autres ne seront traduits et publiés qu'après sa mort par son groupe d'amis. Parmi eux, en particulier, le médecin Ludovic Meyer, publient ses œuvres posthumes : l'Éthique, la plus importante, et trois traités inachevés (Traité de la réforme de l'entendement, le Traité politique et l’Abrégé de grammaire hébraïque (la)).
Spinoza a eu une influence considérable sur ses contemporains et les philosophes qui lui ont succédé.
Je ne ferai pas ici un cours de philosophie autour de ses pensées. Spinoza est considéré comme un disciple de Descartes. Le but de la vie selon lui n'est pas d'être malheureux comme nous y invite la plupart des religions mais d'être heureux. Pour cela il faut chercher à accroître notre puissance, c'est à dire chercher ce qui nous est vraiment utile. Ce n'est pas une pensée (et une éthique) égoiste mais une éthique de la raison...Le sage vivra en société, fera le bien autour de lui pas du tout en opposition avec les autres car "L'homme est un Dieu pour l'homme". Pour lui Dieu est nature. Il développe ses idées dans son principal ouvrage "L'éthique" qui développe ses idées comme un manuel de géométrie à partir de définitions, axiomes et postulats, il s’ensuit une série ordonnée de théorèmes, démonstrations et corollaires.
on voit que durant sa vie, il a pris ses distances avec la pratique religieuse mais pas avec la reflexion théologique...
Après sa mort, le spinozisme a été condamné en tant que doctrine athée.
Quelques pensées de Spinoza (à méditer)
"On ne désire pas les choses parce qu'elles sont belles, mais c'est parce qu'on les désire qu'elles sont belles".
"Comprendre est le commencement d'approuver".
"La renommée a aussi ce grand recul, que si nous la poursuivons, nous devons gouverner notre vie de façon à plaire à la fantaisie des hommes, évitant ce qu'ils désapprouvent et cherchant ce qui leur plaît".
"De cette nature de l’homme et de l’inconstance de son jugement, de ce que l’homme juge souvent des choses d’après son seul sentiment, et que les choses qu’il croit faire pour éprouver de la joie ou de la tristesse [...] il s’efforce de les faire se produire ou de les écarter [...] à partir de toutes ces raisons, nous concevons facilement que l’homme peut souvent être l’auteur tant de sa tristesse que de sa joie..."
"....les hommes se croient libres pour cette seule cause qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des cause par où ils sont déterminés... "
Ce que j'en pense
Ce livre se lit sans difficulté, mais en prenant tout son temps, car le lecteur redécouvre l'histoire de la Seconde guerre mondiale et l'importance de Rosenberg aux côtés d'Hitler.
Il prendra aussi le temps de (re)découvrir Spinoza, ce philosophe que la plupart d'entre nous ne connaisse pas car nous n'en avons entendu parler qu'au lycée en étudiant la philosophie pour une seule petite année de terminale, à un âge où on est certes ouverts aux idées nouvelles, mais trop immatures pour les comprendre et les approfondir.
Ce n'est pas une surprise pour le lecteur de voir l'intervention de la psychanalyse dans le roman (l'auteur est psychiatre !). D'une certaine façon il met sur le divan les deux protagonistes pour leur faire dire ce qu'ils cachent dans leur inconscient. Pour Rosenberg ce sera sa rencontre avec le personnage fictif de Friedrich qui lui permettra de se dévoiler et le lecteur découvrira un homme introverti, solitaire, incapable d'aimer et obsédé par sa haine des juifs...
Pour Spinoza c'est sa rencontre avec le libre penseur Van den Enden qui lui fera connaître les grands penseurs de l'Antiquité au XVI° siècle, qui lui permettra de formuler et ordonner ses pensées et de canaliser sa rebellion par l'étude et l'écriture.
Mais le problème Spinoza est bien là...A vous d'en juger ! Spinoza a-t-il ou non apporté par ses idées de l'eau au moulin des idées antisémiques du national-socialisme ?