Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
L’auteur, historien, professeur d’histoire et romancier part d’un fait divers véridique : l’assassinat d’une jeune fille dans un appartement de la Rue de la République à Marseille en 1920.
C'est en compulsant les archives des Bouches-du-Rhône qu'il a mis la main sur ce vieux dossier, cette banale affaire de meurtre. A l’époque, ce fait divers avait fait les gros titres des journaux : il en fait tout un roman...et quel roman !
L’assassinat d’Yvonne Schmitt, le 25 septembre 1920, est sans doute passé relativement inaperçu dans les faits divers de l’époque car la violence était chaque jour présente depuis la Grande Guerre d’autant plus qu’elle était une femme « de petite vertu » comme l'on disait alors.
Il nous transporte dans les quartiers populaires, au milieu de la vie grouillante du port où marins, ouvriers, mafieux et escrocs en tout genre côtoient les petites gens. Dans les pensions et les « garnis » (meublés de l’époque), dans les maisons de passe où des hommes paient pour un instant de plaisir, des drames se jouent, des femmes sont battues parfois à mort parce qu'elles ne rapportent pas assez d'argent, des règlements de compte ont lieu...
L'auteur donne la parole tour à tour à chacun des protagonistes. Ainsi c’est du point de vue de chacun que le fil des événements se déroule peu à peu. Le lecteur fait connaissance avec chacun d’eux et se forge sa propre idée de la vie à Marseille au début du XXe siècle…
L'emploi du JE permets de rendre ces personnages d'une autre époque encore plus vivants. C'est uniquement lorsque l'auteur parle de Simone Marchand qu'il emploie une formule inhabituelle, le VOUS.
Parmi les personnages importants il y a bien sûr la victime, Yvonne Schmitt. Issue d'un milieu ouvrier, elle a perdu sa mère très jeune. Son père se remarie et elle est maltraitée par sa marâtre. A quinze ans elle rêve « d’un homme qui ne soit pas un goujat, qui me protégerait et me ferait du bien ». Lorsqu’elle arrive à Marseille, pleine d’espoir et de naïveté, elle compte bien s’en sortir toute seule. Mais elle fait systématiquement les mauvais choix ! Depuis qu’elle a quitté sa famille, son parcours et sa beauté lui ont fait rencontrer des hommes violents et jaloux, brutaux, des proxénètes prêts à tout et âpres au gain, dont l’ambition et les rêves d’un eldorado se font au détriment des femmes qu’ils rencontrent…
Mais malgré les difficultés du quotidien et le manque d'argent, elle garde toujours espoir ! Dès le premier instant le lecteur s’attache à elle. Elle regarde pour la première fois la ville depuis la Bonne Mère et elle est heureuse…et amoureuse de Fredval, qu’elle vient de rencontrer. Ce qu'elle ne sait pas c'est que ses jours sont comptés...
La Marchand, comme on l'appelle, est une femme magnifique entretenue par un bourgeois dont on ne connaîtra pas le nom et qui la quittera lorsque l’affaire sera connue du grand public de peur d’être compromis. Elle sait attirer les hommes car elle est très belle mais son cœur est pris par Fred (Fredval) un jeune homme infidèle qui fait souffrir les femmes. Elle partage son appartement avec Yvonne et toutes deux deviennent concurrentes car amoureuses du même homme.
Cyprien Sodonou, le matelot africain devenu mac à Marseille traqués comme tous les noirs par les barbeaux corses de retour de la Grande Guerre et qui comptent bien reprendre leur place au soleil. Il raconte comment il en est arrivé là et comment un soir après une bagarre, il a fait la connaissance de Simone Marchand. Elle l'a chargé d'enquêter sur Fredval, son compagnon, car elle meurt de jalousie et veut savoir avec qui il entretient des relations.
Enfin, le commissaire de police, André Robert a perdu ses 2 fils pendant la Grande Guerre. Il se jette à corps perdu dans l’enquête et espère une certaine reconnaissance de son travail. Il soupçonne Fredval que personne n’a revu depuis la nuit du meurtre...Il aurait voulu les coincer tous (toute cette "vermine") car ils sont tous souillés par l'envie, par l'argent, par le goût du luxe...
Mais c'est finalement le commissaire Brouchier, un commissaire parisien qui va par hasard trouver les assassins.
Yves Couliou est issu d'une famille de petits commerçants bretons. Très tôt il quitte sa Bretagne natale pour travailler en région parisienne. Pourtant il cache un coeur sensible et rêve de retourner voir sa mère pour l'embrasser. Il est au début de sa vie professionnelle un ouvrier presque modèle mais fortement engagé dans l’univers syndical dans la banlieue nord de Paris. Puis il quitte le syndicalisme pour commencer à faire travailler sa copine pour lui. D’autres suivront… Arrêté puis déporté à Biribi (bagne situé au Sahara), torturé, il deviendra bourreau à son tour. « Dans la vie, faut être bourreau ou être victime, c’est comme ça quand tu viens du peuple » dira-t-il. Son crime le conduira à l'échafaud.
sera condamné à perpétuité pour sa complicité dans le meurtre d'Yvonne Schmitt.
Dans ce livre à la fois roman historique et documentaire, l’auteur nous dévoile son talent en donnant une voix donc une vie à chacun de ses personnages !
Moi qui n’apprécie que modérément les romans historiques, je ne me suis pas ennuyée un seul instant et je l’ai lu d’une traite. C’est dire comme l’auteur sait s’y prendre pour rendre fascinant un fait divers banal et nous plonger dans l'ambiance d'une époque déjà lointaine.
Pourtant il y a de nombreux passages très rudes : la vie au bagne de Biribi par exemple où tout est dit sans tabou sur les conditions de vie des prisonniers, les sévices et les violences quotidiennes. Peuvent –ils sortir de là et rester des hommes ?
Mais aussi la violence dans les rues et celle, insupportable, faite aux femmes…
Finalement Yves Couliou et
Telle est l’affaire que les journalistes de l’époque ont titré «l'affaire de l'Athlète et Nez-pointu».
A lire absolument !