Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Voilà un auteur que j'ai beaucoup lu dans les années 2000, bien avant d'avoir ce blog et j'ai réalisé il y a peu que je n'avais jamais parlé d'elle ici et qu'il fallait que j'y remédie d'urgence. D'ailleurs à présent, je n'ai qu'une envie c'est de découvrir ces derniers romans, mais aussi de relire ceux qu'elle a écrits dans le passé.
Le bonheur ça n'existe pas, on devrait arrêter de faire croire ça aux gens, ils seraient bien plus heureux...
La mère avait un savoir philosophique pour ce genre de sentiments, elle disait qu'il fallait rester à sa place, dans sa condition, là où la naissance nous a ancrés, pas de prétentions excessives, il n'y a jamais de bonne fête sans lendemain, l'adage évite les tourments même s'il fait le jeu des forts, les bien-nés elle les appelait.
Jeanne est une femme heureuse dans sa vie tranquille. Elle aime profondément Rémy, son mari, un homme simple mais aimant, et mène avec lui une vie remplie de douceur même si l'habitude peu à peu a transformé leur relation. Ils se connaissent en profondeur depuis leur adolescence et font des projets "raisonnables". Ensemble, ils ont eu deux filles, des jumelles, Elsa et Chloé, qui à présent, ont quitté la maison pour faire leurs études. Le dimanche, ils vont à la ferme partager le repas de la famille, chez les parents de Jeanne. Ils retrouvent sa mère attentionnée, son père mutique car aigri de n'avoir eu que des filles, une de ses sœurs et sa petite Zoé, une enfant pas comme les autres. Les autres filles de la fratrie sont parties au loin...
Jeanne est parfois nostalgique de sa jeunesse. Elle aime aussi les surprises, l'inattendu. Elle est postière, travaille à l'accueil mais sa vie professionnelle lui a appris à être curieuse des autres, à leur inventer des vies alors qu'elle ne sait rien d'eux, à les observer l'air de rien, et à déduire leur quotidien, rien qu'en regardant leurs mains.
Lorsqu'elle était lycéenne, un professeur lui a fait découvrir l'artiste serbe Marina Abramović, une artiste performeuse connue. Elle a été tout de suite fascinée par cette femme qui s'est tant engagée dans son travail, s'est laissée maltraitée par son public et autres excès en tout genre dont on peut trouver de nombreux articles sur internet. Jeanne a toujours gardé une photo d'elle prise lors d'une de ses performances artistiques, lorsqu'elle avait voulu tester son public en le laissant faire ce qu'il voulait sur elle, avec différents objets dont un pistolet...déchainant ainsi une violence stupéfiante et bien cachée.
Cette photo est une sorte de "porte bonheur" pour elle, la preuve qu'on peut vivre autrement, tester ses limites, sortir de sa zone de confort. Elle admire tout chez cette artiste, recopie des citations dans un carnet, fait des recherches sur internet pour en apprendre encore davantage.
Mais Jeanne sait aussi s'émerveiller des mille petites choses que lui offre le quotidien : une abeille qui butine les fleurs du jardin, la lumière du soir qui tombe ou le lever de soleil, la lune qui se lève et le renard qui attend la nuit tombée pour venir boire... tout la fait rêver.
Elle aime aussi voir le train passer près de chez elle. A heure fixe, tous les jours, elle reconnait certains des passagers toujours installés dans le même wagon, à la même place, regardant le même paysage donc son jardin.
De temps en temps, lors de sa pause méridienne, ou le soir en sortant du travail, Jeanne s'amuse à suivre des inconnus dans la rue.
Cet été là, les filles sont parties en vacances de leur côté, et au travail c'est le calme plat. La maison lui parait particulièrement vide. Suzanne sa meilleure amie, vient de se faire plaquer brutalement sans préavis et elle déprime et a besoin d'elle. De plus, l'homme que Jeanne a suivi au hasard dans la rue, n'est autre que Martin qu'elle n'avait pas revu depuis le lycée et dont elle a été amoureuse. Il travaille aujourd'hui dans la rénovation de monuments anciens.
Alors, il suffit d'un coup de vent, que le cadre qui contenait la photo de Marina Abramović se décroche du mur où elle l'avait installé, pour que la vie de Jeanne devienne différente, qu'elle se mette à fantasmer sur ce qu'elle pourrait faire, voyager, rencontrer Marina, et en attendant lui écrire, bousculer sa vie, revoir Martin...
Mais rien ne se passera comme elle l'espérait...car les décisions personnelles sont toujours les plus fortes quand surgit l'imprévisible.
Elle a fait la liste de ce qu'elle aimerait faire et qu'elle ne faisait pas, comme partir à pied et marcher tout droit, s'arrêter sur une aire d'autoroute et y rester autant qu'elle voudrait.
Ou bien garder un œuf dans sa main et attendre vingt jours qu'il éclose. Ça elle aimerait !
Elle s'est amusée à lister les choses que l'on ne peut pas faire, comme enfoncer en même temps les mines d'un stylo quatre couleurs, emplir un gant de toilette avec de l'eau...
Jeanne connaissait des gens qui avaient tout détruit, tout ce qu'ils avaient lentement construit, ils avaient brisé en un instant ce qu'ils avaient mis un temps infini à bâtir.
Le bonheur existe seulement dans les petits instants, c'est le frère de Rémy qui affirme cela. Il dit qu'on sait qu'on est heureux quand on ne l'est plus.
Ce livre est une petite pépite à savourer en prenant son temps. Il ne se passe rien dans ce roman et pourtant beaucoup de choses. La vie quotidienne, la sérénité de l'habitude, les questionnements de Jeanne occupent toute la place et donnent sa force à ce roman très intimiste et féminin, empli de douceur, qui fait tellement de bien.
Les personnages secondaires sont formidables et aident Jeanne à évoluer et à accepter ce qu'elle va devenir au fil de cet été si particulier.
Beaucoup de tendresse, de tolérance, d'amour et de poésie imprègnent ces pages. Le ton est juste, les mots sont à leur place, les phrases courtes et sans fioritures.
Mais c'est aussi un livre sur l'art, sur le processus de création, sur ce qu'il apporte à ceux qui le découvre...l'art qui répare à sa façon ceux qui en ont besoin, l'art qui libère.
Marina Abramović est une artiste serbe performeuse et provocatrice qui a su révolutionner l'art contemporain, en ce qui concerne l'art corporel, en se mettant en scène, seule ou avec son ami Ulay. Si vous ne la connaissez pas vous pouvez chercher sur internet les nombreux articles, interview, photos qui parlent d'elle et expliquent ses actions dont certaines ont marqué les années 70-80. En attendant, vous pouvez aller lire l'article de Wikipedia (ICI) qui vous donnera un bref aperçu de sa vie, de ses œuvres et de ses engagements personnels.
Une belle lecture qui a croisé mon chemin durant ma pause de noël, histoire de commencer l'année toute en douceur.
Son cordon de vie était enterré là, entre les racines affleurantes de l'arbre, le père avait fait cela, il l'avait liée à cette terre à tout jamais. C'est de ça qu'elle était née. De cette beauté folle...
Elle le sait, il y a les grandes et les petites choses, les grandes modifient profondément nos vies, les petites ne font que les effleurer, mais les petites nous aident à attendre les grandes. Elles nous aident à les atteindre.
Avant de partir, Zoé a couru. Elle lui a tendu une feuille. Une feuille toute blanche. Elle a dit que c'était un dessin. Des papillons. Des papillons ? Où ils sont ? Jeanne lui a montré la feuille, Regarde, ta feuille, il n'y a rien, où tu vois des papillons ?
Zoé a regardé le blanc, le ciel, elle a écarté les mains.
- Ils se sont envolés...