Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Cela faisait longtemps que je voulais lire ce roman dont on avait beaucoup parlé lors de sa sortie et qui a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens en 2009 et le Prix des Lecteurs du Livre de Poche en 2012.
J'ai toujours hésité à le faire car il comprend près de 800 pages en version de poche, ce qui n'est pas rien. J'ai donc pris tout mon temps pour le découvrir durant l'été puisqu'il est venu à moi...dans une boite à livres.
Cependant il faut noter que l'histoire démarre assez lentement et que le lecteur met du temps à repérer les différents personnages.
Au bout du restaurant, en face de moi, derrière les banquettes, la porte au rideau vert...
Mû par la curiosité, j'ai écarté le rideau. Une main malhabile avait inscrit sur la porte :"Club des Incorrigibles Optimistes". Le coeur battant, j'ai avancé avec précaution. J'ai eu la plus grande surprise de ma vie. J'ai pénétré dans un club d'échecs.
Michel, le héros du livre, est un jeune ado parisien de 12 ans qui découvre le monde qui l'entoure à la fin des années 50. Il est assez solitaire malgré sa vie de lycéen, et sa fratrie composée de Franck, son frère de 7 ans son ainé et de sa petite sœur Juliette.
Ce qu'il aime par dessus tout, c'est rater les cours pour aller au Balto jouer au babyfoot avec ses copains. Comme il est nul en maths, il copie sur Nicolas, son meilleur ami qui le laisse faire. Michel ne veut pas s'attirer les foudres de ses parents qui tiennent à ce qu'il ait un bulletin de notes correct d'autant plus qu'il est scolarisé dans le prestigieux Lycée Henry IV. Comme passe-temps, en plus du baby-foot, il aime faire des photos et se débrouille pas trop mal. Mais surtout c'est la lecture qui l'attire comme un aimant. Il lit partout et tout le temps, dans la rue, debout, en traversant devant les voitures au péril de sa vie. Il lit aussi en cours, en positionnant le livre sur ses genoux, et fréquente la médiathèque avec assiduité, découvrant des auteurs, se plongeant dans leurs œuvres, oubliant l'heure, arrivant constamment en retard.
Mais rien ne va plus dans sa vie de famille. Ses parents ont un commerce qui fonctionne bien et pas de soucis matériels mais, comme ils ne viennent pas du même milieu social, ils se déchirent autour de la politique. En plus, une partie de la famille de sa mère vit encore en Algérie, ce qui n'arrange rien car Michel découvre qu'en ce temps-là, soit on était pour De Gaulle et l'Algérie française, soit pour les communistes. Heureusement personne ne peut l'empêcher d'avoir des liens avec Enzo, son grand-père paternel, un communiste convaincu.
Un jour, Michel repère une porte au fond du Balto, sur laquelle est notée "Club des Incorrigibles Optimistes". Sa curiosité l'emporte.
Derrière, il y a un club d'échecs particulier, rassemblant diverses personnes connues, comme Sartre, Kessel...et un groupe d'immigrés ayant fui leur pays et sa répression, en y laissant le plus souvent leur famille, femme et enfants donc, pour sauver leur peau. Léonid, Igor, Vladimir mais aussi Sacha ont tous quitté l'Europe de l'Est, traversé le Rideau de fer. Ils sont liés par un terrible secret que le lecteur ne découvrira qu'à la fin.
Grâce à Franck son frère, Michel fait la connaissance de Cécile, sa petite amie, et de son grand frère Pierre, un fervent communiste qui va partager sa passion du rock avec lui. Michel découvre alors l'engagement politique et l'amitié, d'abord avec Pierre, puis plus tard, avec Sasha un des immigrés ayant fui son pays qui travaille maintenant dans un cinéma et un studio photo.
Mais la guerre d'Algérie se profile et Pierre puis Franck s'engagent...
Longtemps j'ai vécu dans l'ignorance la plus totale de l'histoire de ma famille. Tout était parfait ou presque dans le meilleur des mondes. On ne raconte pas aux enfants ce qui s'est passé avant eux. D'abord ils sont trop petits pour comprendre, ensuite trop grands pour écouter, puis ils n'ont plus le temps, après c'est trop tard. C'est le propre de la vie de famille. On vit côte à côte comme si on se connaissait mais on ignore tout les uns des autres.
Bien que se déroulant à Paris, le roman peint en toile de fonds, l'histoire des années 60, de l'automne 1959 à 1964 exactement : la guerre d'Algérie, l'Europe de l'Est et ses immigrés, mais aussi l'ambiance dans les rues de la capitale, le cinéma, le rock...
Les 800 pages défilent sans ennui, le lecteur est littéralement emporté par l'histoire de cette famille ordinaire, par la fougue et l'engagement des uns ou des autres pour une cause. J'ai été touchée aussi par le mal être des différents personnages, et surtout leur sentiment d'abandon et toutes les "trahisons" qui étayent le roman...
Michel est un ado attachant, intelligent, ouvert sur les autres, bien que plutôt solitaire. Il se pose beaucoup de questions mais il devra trouver les réponses, seul. Sa découverte du monde, sa naïveté, l'affection qui l'incite à protéger Cécile, l'amie de son frère, sa rencontre avec Camille qui sera son premier amour, tout fait de lui un être à part dans ce roman tellement réaliste que j'ai eu maintes fois l'impression de lire un récit autobiographique.
C'est Michel encore une fois qui est au centre du roman, il fait le lien entre les différents personnages, écoute les histoires de chacun parfois complexes souvent inachevées, car tous ces émigrés étaient des intellectuels dans leur pays. Ils ont été obligés de trouver des petits boulots en arrivant en France, souvent bien éloignés de leur capacité et de celui qu'ils exerçaient chez eux.
L'ambiance dans le club est parfois amicale, ou au contraire électrique, un mot de trop peut suffire à faire tout basculer, à les rendre violents tant ils sont meurtris par leur passé qui leur colle à la peau, le lecteur comprendra pourquoi à la fin.
C'est un livre impossible à résumer tant les événements se succèdent et tant l'auteur aurait pu écrire un roman sur chacun des personnages ou des événements.
C'est un beau roman d'une grande richesse historique autant que sociologique et humaine, que j'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir en prenant mon temps.
Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal...