Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Maman affirmait que c'était pour mon bien. Que c'était de l'amour. A mon avis c'était plutôt parce qu'elle n'avait pas du tout envie d'avoir un enfant différent des autres. Son "amour" se manifestait dans cette façon qu'elle avait de me harceler sur chaque petit détail, avec ses yeux humides, en me répétant qu'il fallait agir comme ci et comme ça dans cette situation et dans celle-là...
Nous sommes à Séoul.
Depuis qu'il est tout petit, Yunjae souffre d'une maladie rare, l'alexithymie : il ne peut ressentir les émotions comme les autres personnes qui l'entourent, ou les autres adolescents de son âge, parce que son cerveau ne fonctionne pas comme celui des autres. Il n'associe pas ce qu'il observe, ses pensées ou ses idées, avec les émotions qui devraient en découler. Il ne peut donc pas comprendre les émotions des autres, comme par exemple, la peur, la joie, la colère et autre...ni identifier les expressions des visages.
Ses deux "amandes" cérébrales dont l'ensemble constitue l'amygdale cérébrale (encore appelée le complexe amygdalien) sont atrophiées et personne ne sait si elles se développeront un jour. Du coup, les autres lui trouvent l'air bizarre car il ne réagit pas aux stimuli extérieurs, n'éprouve rien et souvent, il ne sait pas que dire devant une situation, ou répondre tout simplement à une question, alors il ne dit rien quand les autres exprimeraient leur opinion ou éprouveraient au moins de l'empathie.
Sa maman lui apprend à répondre les "bonnes" phrases, à imiter les autres quand ils rient ou sont tristes, a être poli quand on s'adresse à lui. Elle veut avant tout qu'il soit comme les autres. Sa grand-mère au contraire l'accepte comme il est, et toutes deux se disputent souvent à son sujet, mais elles s'occupent de lui, l'entourent d'amour et d'attention et font tout pour le protéger des autres et de leur méchanceté.
Le jour de son anniversaire, alors que tous les trois viennent de manger ensemble dans un restaurant, comme chaque année, un drame survient : un homme devenu fou, s'en prend aux passants : sa mère se retrouve dans le coma et sa grand-mère décède. Yunjae assiste à tout cela sans aucune réaction, car il a tout vu de la scène macabre à travers la vitre. Il se retrouve à présent tout seul avec seulement un voisin proche, le docteur Shim, un ancien médecin devenu boulanger, propriétaire de la maison, donc de l'appartement où Yunjae vivait avec sa famille. Il est aussi propriétaire de la librairie d'occasion dont s'occupait sa maman et que Yunjae va continuer à ouvrir durant son temps libre.
Le docteur Shim est une belle personne, il a eu lui-aussi sa part de souffrance et était vraiment médecin dans sa jeunesse. Il avait promis à la maman de Yunjae de veiller sur lui, s'il lui arrivait quelque chose. Il fera tout pour tenir parole et aider le jeune adolescent à grandir tout en comprenant le monde qui l'entoure. Mais il ne peut le protéger de tout.
Rejeté par ses camarades de classe, Yunjae va connaître le harcèlement quotidien et la violence gratuite. Il va constater sans rien ressentir, qu'il est devenu une proie facile, un "bouc émissaire". Un jour, il rencontre Gon, un ado qui comme lui s'est retrouvé éloigné de sa famille et qui se sent très seul. Malgré leurs différences, la colère de Gon ancrée au fond de lui et ses actes répréhensibles, une amitié va naître entre eux. Grâce à lui, à ses questions incessantes, à son caractère provocateur, Yunjae va commencer à ressentir certaines émotions.
Plus tard, ce sera au tour de Dora, rencontrée en classe, de lui faire découvrir de nouvelles sensations...
Nous n'aurions pas pu être plus différents l'un de l'autre. Moi, j'étais trop ignorant. Et Gon, ne voulant pas admettre qu'il était vulnérable, faisait semblant d'être fort.
Les gens trouvaient qu'il était dur à comprendre. Je n'étais pas d'accord avec eux. Ils n'essayaient pas, voilà tout.
Voilà un roman sorti en librairie le 5 mai dernier en France et que j'ai reçu dans le cadre d'une Masse Critique privilégiée de Babelio. C'est un best-seller en Corée (plus de 600 000 exemplaires vendus là-bas et près d'un million au Japon). Il a reçu plusieurs prix, ce que je ne savais pas quand j'ai accepté de le recevoir.
Les personnages, en particulier Yunjae sont attachants. C'est un adolescent finalement plus fort qu'il n'y parait, qui sait contourner ses problèmes et se fixer des objectifs réalisables qu'il va ensuite prendre tout son temps pour mener à leur terme. Sa solitude nous touche beaucoup et je ne suis donc pas étonnée que ce roman remporte un tel succès auprès des adolescents car il est émouvant, les dialogues sonnent justes, et la vie quotidienne qui est décrite dans le roman, ressemble beaucoup à celle de la jeunesse d'aujourd'hui.
J'ai beaucoup aimé la première partie dans laquelle l'auteur nous donne tous les détails pour comprendre cette maladie. La façon dont Yunjae réagit, ses mots et tout ce que sa maman met en place, très intelligemment d'ailleurs pour l'aider à s'intégrer, sont très réalistes et instructifs.
Les dialogues sonnent justes et l'auteur nous fait très bien comprendre la nature de cette maladie, comment elle s'exprime dans la vie de tous les jours et l'handicap qui en résulte.
Je trouve que la plume de l'auteur est très agréable à découvrir. Elle nous parle avec beaucoup de sensibilité des émotions. Elle nous permet d'entrer en douceur dans les pensées de Yunjae et de mieux se rendre compte de ce qui lui manque dans la vie.
Je dis aussi bravo aux traducteurs car le livre a d'abord été traduit du coréen à l'anglais, puis de l'anglais au français, ce qui rend leur tâche particulièrement difficile mais précieuse.
Le positif c'est aussi que ce roman nous immerge dans la culture coréenne ce qui est très intéressant pour le lecteur.
J'ai aimé aussi les sujets abordés qui toucheront le lecteur comme l'amitié, l'amour, la famille, le deuil, le harcèlement, l'intolérance, et bien entendu le handicap.
De plus, l'auteur emploie très judicieusement le "je", ce qui permet au lecteur de mieux ressentir toutes les situations vécues par ce jeune ado.
Le seul bémol c'est que j'ai trouvé tout de même que c'était un peu "too much"pour Yunjae. Le pauvre garçon accumule vraiment les drames. Non seulement il a déjà perdu son père avant sa naissance, mais il nait avec ce handicap, puis perd sa grand-mère et voit sa mère tomber dans le coma et y rester pour un temps indéterminé. J'ai eu parfois l'impression qu'il fallait à tout prix que l'auteur case tous les sujets qui pourraient toucher son public...et comme elle voulait que cela se termine bien, la fin paraît un peu trop rapide, voire un peu bâclée.
Cependant il faut noter que malgré les drames, c'est un roman toujours positif, qui cultive à chaque page, l'espoir d'une vie meilleure. Le lecteur est persuadé que ce jeune adolescent va s'en sortir un jour malgré son handicap et l'histoire lui donne raison. C'est réconfortant !
Je suis certaine que ce roman plaira aux adolescents français et qu'il trouvera son public parmi les adultes qui seront touchés comme je l'ai été par la force de ce jeune adolescent et ce qu'il nous raconte de sa vie quotidienne. Si je travaillais encore, je l'aurais acheté sans hésiter pour le faire lire aux adolescents. Il ne peut que permettre de mieux comprendre le handicap et mener à plus de tolérance, c'est donc ce que je retiendrai de ce livre.
Vous pouvez aller lire l'avis de DocBird ICI, qui elle aussi a été sélectionnée pour le recevoir et l'a beaucoup aimé.
Plus tard, les gens m'ont demandé pourquoi je n'avais pas pris la fuite. Pourquoi j'étais resté, jusqu'à la fin. Je leur ai dit que je n'avais fait que ce qui était le plus facile pour moi, la seule chose qu'une personne comme moi, qui n'éprouve pas la peur, pouvait faire.
Les humains sont conçus pour aller de l'avant et continuer à vivre, coûte que coûte.