Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Le miracle de l'enfant est toujours de s'en remettre à l'adulte...
...là où l'enfant veut connaître la vérité, l'adulte feint, car il a peur de faire mal.
A Pripiat, en Ukraine, Ivan et Lena se connaissent depuis l'enfance. Le père de Léna travaille à la centrale de Tchernobyl toute proche, tandis que celui d'Ivan vit de la terre. Les deux enfants sont complices et s'entendent à merveille ce qui charme tout leur entourage. En grandissant, peu à peu, l'amitié qui les unissait, se transforme, leurs sentiments évoluent et ils tombent, tout doucement, amoureux l'un de l'autre. Mais le destin est en marche, et va décider de leur vie à leur place...
Nous sommes le 26 avril 1986 : le réacteur 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl vient d'exploser, libérant dans l'atmosphère d'énormes quantités d'éléments radioactifs.
Sans explication, le soir même, le père de Léna emmène toute la famille à l'Ouest, jusqu'en France où ils seront hébergés un temps par des cousins à Paris, avant de s'installer en Normandie, à Flamanville, où un nouveau travail d'ingénieur l'attend. Avec de l'argent, on peut tout faire et passer toutes les frontières.
Pendant ce temps, Ivan et sa famille doivent tout abandonner eux-aussi, mais pour un camp de transit. Ivan attendra le retour de Léna pendant des années, il ne cessera jamais d'espérer.
De son côté, c'est un grand choc pour Léna quand elle comprend qu'ils ne reviendront jamais. Elle apprend le français, et se plonge dans les livres, qui vont l'aider à mieux comprendre ce que sa vie est devenue. Elle est brillante en classe, mais solitaire et malheureuse. Un fossé s'agrandit jour après jour, entre elle et ses parents qui refusent de parler du passé. Heureusement, sa grand-mère qu'elle aime tant, a pu s'enfuir avec eux...mais ses parents ont beau lui répéter que désormais sa vie est ici, elle n'y arrive pas.
En secret, Ivan et Léna restent attachés l'un à l'autre, et à ce qu'ils ont vécu ensemble, à ce lien indéfectible à leurs yeux, à leur amour d'adolescent tellement complice. Pourtant, le père de Léna lui a affirmé que son ami était mort, espérant qu'elle oublie, mais elle n'y croit pas vraiment, même s'il n'a jamais répondu à ses lettres. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que lui aussi lui écrit, mais que, ne connaissant pas du tout son adresse, il ne peut pas lui envoyer ses lettres.
Devenue étudiante, elle tentera de vivre, d'avoir une vie comme les autres. Mais elle restera hantée par son enfance heureuse, ses souvenirs, et attachée de manière excessive à son passé.
Persuadée qu'elle doit à présent renouer avec ses racines, le silence de ses parents n'arrangeant pas la situation, Léna, qui a fait des ruines et de l'archéologie sa passion, décide, maintenant qu'elle est devenue enseignante, et possède l'argent pour le faire, de revenir sur les lieux de son enfance pour un court séjour d'une semaine, durant lequel elle compte bien visiter Pripiat.
Ce qu'elle va découvrir est au-delà de ses espoirs les plus fous...
Partout. Tout le temps. Elle lisait comme on respire. Par soif, par nécessité.
Dans un rayon de trente kilomètres, tous les civils seraient refoulés ailleurs. Les exilés seraient de nouveau sur les routes. Tous ces gens en déroute, les yeux effrayés par ce mal invisible. Il leur fallait abandonner tout ce qui hier constituait leur vie. Aucune photo, aucun vêtement, aucun objet. Tout serait brûlé ou laissé en l'état. Pillé par la suite...
Voilà un roman d'actualité, si je puis dire puisque fin avril, nous avons commémoré le triste anniversaire de cette catastrophe nucléaire, qui reste à ce jour, la plus grave de l'histoire. Ses conséquences sont terribles (encore aujourd'hui) sur le plan sanitaire, et bien entendu environnemental.
Le roman s'ouvre sur le retour de Léna à Pripiat, avant de plonger dans le passé, puis de revenir au présent. Nous découvrons donc les événements par petites touches. Pripiat, la ville moderne arborant fièrement les couleurs soviétiques, où c'était un luxe de vivre dans les années 70, est désormais devenue une ville fantôme, où la nature a repris ses droits.
Léna est restée dans son cœur une enfant, et son cœur est resté en Ukraine, car ce départ précipité sans explication lui a volé son enfance. Elle a passé sa vie à s'accrocher à des images déconnectées de la réalité. Il lui faut donc renouer avec le passé pour retrouver ses racines, pour se reconstruire et pouvoir choisir sa vie en toute autonomie. Le lecteur ne saura pas vraiment quelle décision elle va prendre, à l'issue de son séjour, mais quelle que soit la solution, il sait qu'elle sera plus heureuse.
Ce roman nous parle donc d'amour, celui d'un pays, mais aussi celui de deux adolescents arrachés l'un à l'autre et qui, sans explication, doivent se reconstruire séparément.
Mais il ne nous parle pas uniquement d'amour, ni des souffrances liés à l'exil. Il nous parle aussi de la lâcheté des hommes. Le père de Léna en tant que responsable, fuit le pays, sans jamais prendre ensuite des nouvelles de ceux qui y sont restés. Il n'hésite pas à mentir à sa fille. Certes, cela n'était pas facile à cette époque, car les relations entre l'Est et l'Ouest étaient compliquées, mais c'est tout de même très choquant, car il ne se soucie à aucun moment des conséquences de la catastrophe pour les autres. Il a mis sa propre famille, et lui-même, à l'abri, et cela est parfait pour lui, le reste ne compte pas. Le silence de la mère de Léna prendra tout son sens à la fin du roman.
Le roman parle aussi de la force de la littérature. La lecture va aider Léna à mieux comprendre l'exil et ses conséquences. Elle se passionne pour les légendes qu'elle découvre enfant grâce à Zenka, sa grand-mère, puis arrivée en France, grâce à l'enseignante documentaliste de son collège et enfin, grâce à son amie écossaise. Les légendes font partie de la culture. Elles nous attachent à une région, à un pays, au même titre que nos souvenirs. Elles participent à la création de nos racines...et à former notre identité profonde.
Le roman finalement parle peu de la catastrophe, davantage de ses conséquences sur la santé des hommes, donc bien entendu sur leurs vies. Le lecteur va cependant découvrir un peu de l'histoire de l'Ukraine, à travers le récit de la grand-mère qui va se livrer par écrit, et parler de son enfance, vécue lors de l'Holodomor, la grande famine qui a frappé le peuple ukrainien dans les années 1930, un sujet toujours tabou pour eux.
Enfin, il aborde aussi les conséquences de la catastrophe sur la nature, qui a repris ses droits dans cette zone désertée par les hommes, et donc aujourd'hui préservée, une nature qui se débrouille très bien toute seule, malgré les radiations encore présentes pour longtemps sur les lieux, une nature forte qui oublie vite les hommes quand ils ne sont plus là ! Ainsi en est-il des coquelicots qui envahissent la zone et symbolisent les larmes versées par les femmes pour les disparus. Il en était déjà ainsi du temps des cosaques, voilà pourquoi cette fleur est forte comme les cosaques, mais fragile, avec ses pétales chiffonnés, car considérés comme le reflet des visages des femmes ayant trop pleuré.
C'est un roman émouvant, crédible et prenant. L'auteur, dont c'est le premier roman, a su me toucher avec cette histoire proche du témoignage. Le ton est juste et empli de délicatesse.
Pour ceux qui étaient trop jeunes au moment de ce terrible accident nucléaire, ce roman est aussi un bon moyen d'en apprendre davantage sur cet événement, et ses conséquences dramatiques, sur la vie des habitants de la zone contaminée, et surtout de mener une réflexion sur l'utilisation abusive du nucléaire dans le monde et le vieillissement de nos centrales. Nous ne sommes pas à l'abri qu'une telle catastrophe arrive chez nous aussi, malgré ce que nos dirigeants nous laissent entendre.
J'apprends au moment où je programme cet article que ce soir justement, les deux premiers épisodes de la série "Chernobyl" seront diffusés sur M6. Je pense qu'ils méritent d'être regardés pour ceux qui comme moi ont raté leur précédente diffusion.
L'avis de Violette ICI. C'est elle qui m'a appris que l'auteur avait un blog...dont je vous mets l'adresse ICI si vous désirez lui rendre visite.
Peut-être la connaissez-vous déjà ?
Chaque jour, alors que je m'efforce de vivre le présent, d'oublier le passé, 1986 revient inconsciemment. Cette année me hante, chaque fois plus forte.
Une terre peut-elle pardonner d'avoir été oubliée ?