Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Le bonheur est peut-être désir de répétition. Qu'est-ce qui justifie le désir de répétition, sinon le besoin de vérifier qu'on est guère mort ? Que nous sommes toujours. Qu'en nous le désir de vivre peut encore se griser...
Le lipogramme tout le monde sait ce que c'est, mais nous ne l'avons pas tous expérimenté. Bien entendu, j'ai lu dans ma jeunesse George Perec qui lui, s'était abstenu d'utiliser la lettre "E" dans son célèbre livre intitulé, "la disparition".
Ici l'auteur nous propose un "quasi" lipogramme en A, puisqu'il a décidé de supprimer de son roman la lettre "A" et que, comme le sous-titre l'indique, il va la réintroduire à un moment donné.
C'est un livre que je ne pouvais pas refuser de lire n'est-ce pas, quand l'auteur m'a proposé de me l'envoyer en échange d'une critique.
Les bergeronnettes meurent. Les insectes, les oiselles et les oiseleurs ferment boutique, les pinsons, les bouvreuils et les grives se tirent. Même les merles moqueurs et les coucous voleurs s'en vont. Sur leurs pelouses, pour se souvenir, des veuves éplorées dispersent des cigognes en pétrole refroidi, des hérons en bronze et des hérissons en toc, que leurs petits-fils prennent pour des Pokémon.
Nous partons en Bretagne !
L'histoire est toute simple. Elle n'est qu'un prétexte pour se soumettre à l'exercice de style, ce que bizarrement le lecteur oublie très vite.
Après quelques pages à peine, et un début qui demande de s'adapter au style de l'auteur, le lecteur entre dans la vie d'un jeune homme, Hubert-Félix, âgé de 22 ans, et à peine sorti de l'adolescence, un héros très attachant.
Hubert-Félix décide de se lancer dans le recyclage et malgré sa timidité maladive, il va devoir aller frapper aux portes pour récupérer divers objets hétéroclites desquels il va extraire différentes ressources qu'il pourra revendre : du nickel, du cuivre, du zinc, du mercure, de l'yttrium et autres.
Récemment quitté par Sybel avec qui il a vécu des jours heureux, il est toujours révolté contre tout, et se met en colère contre le monde entier. Ainsi, il remet en cause ses parents, leur façon de vivre et leurs actes, l'écologie, l'action du gouvernement, la routine lié au boulot, le comportement des femmes...
Il ne veut entrer dans aucun moule et ne veut rien faire comme les autres. Il a donc une vie qui ne ressemble pas à la mienne (et que je ne peux comprendre en tout), mais c'est un jeune homme qui nous touche car il se cherche encore, a du mal à devenir un adulte à part entière. Il faut dire que le monde d'aujourd'hui ne lui fait pas de cadeau.
Parfois au contraire, tout d'un coup, il se sent frustré, devient apathique au point de nous donner envie de le secouer.
Mais il est capable d'auto-dérision. Toujours très critique et sans aucune indulgence pour lui-même ou pour les autres, il nous livre ses pensées avec une bonne dose d'humour, ce qui ne manque pas de nous interpeler.
En cela, il est l'archétype parfait du jeune adulte d'aujourd'hui, hésitant, mais ayant un avis sur tout, solitaire et empli de regrets pour ce qu'il n'a pas réussi à réaliser, incapable de prendre un peu de recul, mais qui veut aussi se faire une place au soleil tout en ayant du mal à passer de l'adolescence à l'âge adulte, où le rêve et l'insouciance, n'ont apparemment plus de place dans la vie quotidienne, croit-il.
Mais il est si humain et attachant que nous le suivons avec plaisir dans ses révoltes, ses réflexions, ses digressions, car nous en connaissons tous un parmi nos proches, qui lui ressemble, n'est-ce pas ?
Mes potes sont des gens bien réglés, des consumoteurs bien normés. Je m'ennuie moins seul qu'en leur présence. Ils ont besoin de prendre des congés réguliers. Consommer est le seul projet qui motive leurs rencontres. Consommer quoi ? Peu importe. De concert, ils se remplissent de films, de hors-d'œuvres, de liquides et de crêpes...Et ensuite ils vomissent...
Ecrire un roman quasi entier sans la lettre "A" il faut bien reconnaître que c'est une prouesse que l'auteur a relevé haut la main, mais c'est aussi un sacré défi pour nous, les lecteurs.
Car il nous faut tenir le souffle sur la durée, accepter l'emploi constant de synonymes, de métaphores ou autres images pas toujours faciles à suivre. Les mots sont pourtant rigoureusement sélectionnés dans différentes langues parfois inconnues (pour moi, mais les jeunes s'y retrouveront sans doute davantage !). Comprendre devient alors un jeu.
La fluidité du roman en prend un coup et j'ai été obligé de faire de nombreuses pauses durant ma lecture alors que le livre ne fait qu'une centaine de pages...
Je l'avoue, je n'ai aucunement envie de me prendre la tête en ce moment, mais je dois reconnaître que l'exercice m'a amusée et que je me suis prêtée au jeu. De plus, le personnage est sympathique et tellement humain ce qui ne gâche rien. Il a mille idées qui lui passent par la tête à la seconde et ses doutes sont les nôtres. Il a su me toucher parce qu'il nous montre ses failles, ses faiblesses et ses contradictions et cherche sans cesse sa place dans notre monde.
La réintroduction finale du "A" qui se fait à tous petits pas timides, est également un bon moment de lecture d'autant plus qu'elle permet enfin à notre héros de se retrouver et d'y voir un peu plus clair dans sa vie.
Nous voilà soulagés !
Et si une seule lettre manquante suffisait à modifier ou conditionner le cours de notre vie...
Bravo à l'auteur et merci à lui de m'avoir proposé la lecture de son livre et de m'avoir fait confiance.
Les gens sont simples ici, les rues pleines de bons bougres. Être dépaysé est un bonheur, mais les espaces verts sont par trop rabougris, étriqués, humanisés. Les pelouses publiques sont si jolies qu'on n'ose les piétiner. Les forêts sont lointaines et les roselières, quasi disparues, protégées, car l'époque est celle du grand renversement, de l'inversion des valeurs. Nous en sommes arrivés à un point où l'humain est tellement humain qu'il protège une nature dénaturée.
L'auteur, Emmanuel Glais est né à Rennes en 1990. Après avoir enseigné l'histoire et la géographie, il décide de se consacrer à la littérature (et au jardinage nous dit-on sur un site de vente ne ligne). Il est aujourd'hui auteur et traducteur free-lance et participe activement au blog de Médiapart.