Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Sur le seuil de la maison, au moment de la séparation, la peur de l'inconnu s'était emparée d'elle. un instant elle avait été prise du désir de tout arrêter, de choisir la sécurité, de renoncer à ses projets qu'elle jugeait brusquement insensés. Elle avait parcouru du regard la maison, le jardin, la fontaine, avant de se ressaisir. Jarulpa n'avait pas cherché à l'encourager dans un sens ou dans l'autre. Elle l'avait serrée contre elle...
Cela fait dix ans que Shemlaheila cueille les feuilles de thé dans une plantation du Sri Lanka. Mais maintenant que sa mère est morte et qu'elle n'est plus là pour la protéger du contremaître, l'effrayant Datu-Ghemi, avide de jeunes femmes et imbu de lui-même et de son pouvoir, elle n'a qu'une envie c'est quitter son pays pour l'Angleterre où elle espère bien apprendre l'anglais et étudier la comptabilité. Son rêve...revenir un jour à la plantation pour travailler dans les boutiques qui accueillent les touristes étrangers.
Mais aura-t-elle le courage de tout quitter et de s'affranchir de sa condition de femme, toujours soumise dans sa culture à l'autorité des hommes ?
Un matin, bien que terrorisée, Shemlaheila rassemble ses maigres affaires, et quitte la plantation pour rejoindre tout d'abord sa tante en Inde. Celle-ci est guérisseuse et comprend très bien qu'à vingt ans, sa nièce a d'autres rêves que de rester auprès d'elle. Elle va tout faire pour l'écouter et l'encourager.
Son visa pour Londres en poche, dans l'incapacité de se payer un billet d'avion, Shemla va embarquer sur un cargo où, elle trouvera de l'aide auprès d'un groupe d'anglais rentrant au pays.
Là-bas, de découvertes en découvertes, de petits boulots en petits boulots, la chance va être de son côté. Sa beauté, son charme et son intelligence vont beaucoup l'aider. Sa persévérance et les personnes qu'elle va trouver sur sa route, vont lui permettre de mener à bien ses projets et même d'en élaborer de nouveaux auxquels elle n'aurait jamais songé, comme celui de revenir un jour dans son pays, pour y habiter et y vivre, autrement...
Vous l'aurez compris, une autre vie l'attend !
Dans son pays, les femmes devaient veiller à ne pas attirer sur elles les regards masculins. Elles voyageaient dans des wagons qui leur étaient réservés, se regroupaient à l'arrière des autobus, rentraient chez elles avant la nuit, dissimulaient leurs formes sous les plis de leur sari. Elle se souvint de sa surprise le jour où elle avait porté un short pour la première fois sans que personne n'y prête attention ; de l'exaltation qui s'était emparée d'elle...
L'auteur, que j'avais découverte en lisant "Le printemps des femmes" présenté ICI sur ce blog est professeur d'histoire à la retraite.
Elle nous offre ici un beau roman, simple et accessible mais très documenté et bien construit et nous permet de découvrir une héroïne attachante.
Bien entendu, les hasards n'en sont pas vraiment et l'histoire, avec sa happy-end, peut être critiquable par son côté un peu trop idyllique. Le lecteur n'est pas stupide et sait très bien que rien ne se passe ainsi pour la très grande majorité des immigrés, mais il s'agit d'une fiction, ne l'oublions pas.
Les passages qui décrivent la vie quotidienne dans les plantations, le harcèlement moral et physique que subissent les cueilleuses au travail, mais aussi dans leur vie quotidienne, sont très réalistes et non dénués de violence, et le contraste entre la culture indienne et occidentale est édifiant.
Nous le savons tous, la condition des femmes est loin d'être enviable là-bas et le commerce local ne profite pas à la population la plus pauvre qui en aurait pourtant bien besoin. Les femmes sont particulièrement exploitées et soumises, les hommes particulièrement violents, non seulement sur leur lieu de travail mais aussi à la maison...il est si facile en Inde de se débarrasser d'une femme dont on ne veut plus.
L'histoire de cette jeune fille et de toutes celles qui comme elle, sont exploitées dans les plantations de thé, est un espoir vers un monde meilleur (utopique, certes), un monde dans lequel toutes les femmes pourraient enfin être libres de leurs propres décisions et de leurs propres vies.
C'est un livre agréable à découvrir en famille surtout si vous avez des adolescent(e)s à la maison avec qui je vous prédis de nombreux débats enrichissants autour des différents sujets abordés dans le roman, car bien entendu, il s'agit d'un roman intéressant pour une première découverte, une ouverture sur un autre monde et une autre culture que la nôtre, sans oublier que c'est un roman contemporain qui permet de faire comprendre aux occidentaux que par nos achats de thé, nous induisons tel ou tel comportement à l'autre bout de la planète...vous ne l'oublierez plus après la lecture de ce livre.
Ce roman a obtenu le prix du livre romantique en 2017. Il était temps que je le lise !
Les yeux fermés, les oreilles bourdonnantes, elle se laissa aller à la souffrance de la séparation, inévitable. Mieux, elle remerciait les larmes salvatrices qui roulaient sur ses joues, mettaient un baume sur sa douleur. Plus tard viendraient l'exaltation du retour, la joie de son enrichissement, la gratitude pour ce qu'elle était devenue. Elle n'avait pas seulement appris la langue, elle n'avait pas seulement engrangé des connaissances, elle avait appris la liberté d'être femme.