Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ce soir de mai, tandis que les marguerites referment leurs pétales pour la nuit, tandis que les guillemots et les mouettes tridactyles rapportent des lançons à leurs petits nichés sur les hauteurs des falaises, tandis que les brebis se blottissent contre les murets de pierres sèches pour se protéger du vent, mon histoire commence...
Voici un livre assez déroutant, que j'ai emprunté avant le confinement à la médiathèque de la ville, très attirée par sa jolie couverture.
Je n'avais jamais rien lu de cet auteur, normal c'est son premier roman, un roman largement autobiographique qui a obtenu déjà deux prix dans lequel elle raconte son retour dans les Îles Orcades, où elle est née, après dix années d'errance à Londres.
Je vais vous en dire un peu plus, bien entendu, sans trop dévoiler de son histoire.
Ici, je n'ai pas le choix : je me mêle à des gens de tous âges et de toutes origines, alors que, à Londres, je vivais dans une bulle. J'avais quitté Mainland pour rencontrer de nouvelles personnes, m'ouvrir à d'autres idées et agrandir mon cercle social, mais, quelques années après mon arrivée, je ne côtoyais déjà plus que des gens qui me ressemblaient. Au sein de notre groupe d'amis, nous façonnions nos vies à notre image, les réduisant à une palette d'émotions et d'expériences si restreintes que nous ne risquions pas de bousculer nos certitudes.
Il y a deux sortes de tempêtes celles qui sévissent sans prévenir sur les côtes des îles Orcades, dévastant tout sur leur passage, pouvant faire tomber ou même s'envoler les très jeunes enfants ou se fracasser les bateaux sur les rochers, et puis celles que vivent les jeunes adultes épris de liberté, au fin fond des boites de nuit et des bars de Londres...
Mais pour la narratrice, il y a surtout les tempêtes intérieures, de celles qui peuvent détruire une vie, si on n'accepte pas de tendre la main pour être aidé, de se regarder en face, et d'arrêter de combler le vide de sa vie en s'adonnant à l'alcool ou à la drogue pour faire face au manque.
Ce sont celles qu'il faut combattre coûte que coûte, comme elle a du le faire elle-même...
Amy n'a pas toujours eu une vie facile dans la ferme de son enfance. Dans cet archipel des Orcades, encore sauvage et éloigné de la ville, elle a souffert de solitude. De plus, son père était bipolaire et très souvent absent parce que soit hospitalisé, soit sous l'emprise des médicaments. Sa mère très croyante n'a rien fait non plus pour l'aider et lui a fait voir une vie très étriquée et éloignée de toute réalité extérieure.
Quand elle arrive à Londres alors qu'elle n'a que 18 ans, pour tout d'abord s'inscrire à l'université, elle se croit invincible et pense que la belle vie est enfin arrivée.
Elle a son appartement et son indépendance, se fait des amis, sort et s'amuse beaucoup, tombe amoureuse...mais elle va peu à peu se perdre dans l'alcool dont elle abuse de plus en plus, compromettant ses études, puis plus tard son travail, sa vie sociale et aussi sa vie amoureuse.
Durant dix longues années, de tentatives en rechutes, elle va chercher à trouver une solution à ses problèmes jusqu'au jour où des symptômes inquiétants lui montrent que sa santé est sérieusement atteinte. Elle accepte alors d'entrer en cure de désintoxication. Elle en sortira grandie et sûre d'une seule chose : elle doit retourner chez elle dans les Orcades.
Là, au milieu de ces îles rudes et sauvages, elle va tenter de se reconstruire. D'abord auprès de son père qui a besoin d'elle pour réparer des murs en pierre sèche, et s'occuper de l'agnelage. Puis auprès de sa mère. Ses parents se sont séparés, la ferme a été vendue mais, reste toujours en bord de mer, cet espace de prairie le plus éloigné de la ferme que se partagent les animaux domestiques et sauvages, que l'on appelle dans les Orcades, l'écart.
Alors qu'elle vit avec la peur au ventre de retomber dans l'alcool et l'angoisse de la solitude, Amy va accepter de travailler pour la Société de Protection des Oiseaux, et d'aller recenser, sur une des îles des Orcades où ne vivent que soixante-dix autres âmes, l'île de Papay, une espèce d'oiseau très rare, le Roi caille ...
Au cours d'un long été, cette mission va lui permettre de renouer avec la nature, d'explorer toutes ces îles qui finalement lui étaient inconnues et de se passionner pour la vie... tout simplement.
J'avais envie de boire en permanence. Cette idée ne me quittait jamais : elle était ancrée en moi, à l'arrière-plan de mes pensées, comme un bruit de fond ou un acouphène dont je ne parvenais pas à me débarrasser. De temps en temps, le bruit de fond devenait assourdissant : l'envie me transperçait alors le corps et l'esprit. Elle peuplait aussi mes rêves.
Si la lente chute d'Amy dans le fin fond des bars londoniens est dramatique et m'a paru par moment bien trop longue, j'ai davantage aimé la suite où elle nous parle de sa reconstruction et de ses découvertes attentionnées de la nature qui l'entoure et de ses beautés.
Tandis que peu à peu elle comprend les méandres de son propre fonctionnement, et pourquoi elle en est arrivée là, elle entraîne le lecteur dans son sillage à la découverte des ces îles merveilleusement sauvages, habitées par une grande diversité d'animaux qu'elle croise au hasard de ses marches quotidiennes ou de ses veillées nocturnes. Ces îles sont aussi le siège de manifestations naturelles fascinantes comme les nuages noctulescents, les pluies d'étoiles filantes ou les aurores boréales.
Amy comprend que chaque être humain a en lui une grande faculté de vivre et d'être heureux, et qu'à chaque instant, il a le choix !
Malgré donc les longueurs du début, c'est un livre témoignage qui sonne toujours juste et c'est aussi un merveilleux documentaire sur les Orcades.
Il n'est pas forcément toujours facile à lire, malgré l'intérêt que j'ai eu à le découvrir. Souvent le lecteur ne se sent pas concerné directement ou bien il se sent désolé de qui arrive à la narratrice, voire dégoûté par moment.
J'ai stoppé ma lecture plusieurs fois, puis je l'ai reprise mais je n'ai pas pour autant réussi à éprouver de l'empathie pour la narratrice lorsqu'elle raconte sa vie dépravée à Londres. D'un autre côté, je voulais continuer à lire son histoire pour savoir comment elle allait s'en sortir. Du coup, ayant lu ce livre en pointillé, je n'ai pas été gênée par les répétitions qui comme dans un journal intime, sont finalement assez fréquentes.
Ce que j'ai aimé c'est justement que l'auteur ne cherche pas à se faire plaindre. Le ton est juste, sincère, sans aucun apitoiement. Elle expose les faits, tels qu'ils sont, nous décrit ses frasques et leurs conséquences sur sa vie, sans aucune pudeur, juste en nous montrant qu'aujourd'hui elle éprouve toujours un peu de gêne en public, ayant l'appréhension d'avoir gaffé à nouveau, ou d'avoir eu un geste déplacé alors qu'elle est depuis longtemps à présent, complètement sobre.
Le lecteur est finalement content de la voir avancer sur un chemin long et douloureux. mais tellement plus positif...
Ici au ras de l'eau, je me sens forte et déterminée. Pleine de gratitude. Maintenant que j'ai échappé au naufrage, je peux apprécier la beauté des déferlantes qui ont failli m'engloutir et boire l'air glacé à grandes goulées.