Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Oui, je le dis en vérité, jamais sourire d'aucun de mes enfants ne m'a inondé le cœur d'une aussi séraphique joie que fit celui que je vis poindre sur ce visage de statue certain matin où brusquement elle sembla commencer à comprendre et à s'intéresser à ce que je m'efforçais de lui enseigner depuis tant de jours.
Un petit classique aujourd'hui qui se trouve facilement en ligne pour ceux qui désireraient le relire ces jours-ci.
Le narrateur est pasteur dans un petit village du Jura suisse situé près de Neuchâtel.
Alors qu'un soir d'hiver, dans la neige, il est emmené auprès d'une vieille femme en train de mourir, il découvre que celle-ci laisse derrière elle, une jeune enfant aveugle de naissance qui ne peut vivre seule à présent, car elle a été jusqu'alors tellement délaissée qu'elle est incapable de communiquer.
Par charité, il la ramène chez lui et demande à Amélie, sa femme, de s'en occuper tout en s'investissant lui-même plus que de raison, dans l'apprentissage de la jeune fille.
Gertrude, surnommée ainsi par les enfants du pasteur, car bien entendu elle ne sait pas dire son nom, va peu à peu apprendre à parler et s'attacher à la famille, tandis que le pasteur tombe profondément sous son charme, sans réaliser à quel point sa passion amoureuse détruit les siens.
Dans son journal intime, il confie toutes ses difficultés pour tout d'abord donner à cette jeune fille une éducation protestante, puis peu à peu il va réaliser qu'il ne lui donne que sa propre vision des choses, sans jamais lui parler du péché, ni du côté négatif du monde qui l'entoure, protégeant ainsi leur relation particulière, chaste mais non dépourvue pour autant de sentiments et de culpabilité.
C'est alors que le pasteur découvre que son fils Jacques est tombé amoureux de la jeune fille, tandis qu'elle-même ne sait plus ce qu'elle ressent pour eux deux.
Mais lorsque une opération est tentée pour lui permettre de recouvrer la vue, c'est le drame...
La nuit dernière j'ai relu tout ce que j'avais écrit ici...
Aujourd'hui que j'ose appeler par son nom le sentiment si longtemps inavoué de mon cœur, je m'explique à peine comment j'ai pu jusqu'à présent m'y méprendre...
Voilà un classique que j'avais déjà lu dans ma jeunesse, mais que j'ai eu envie de relire lorsque nous avons choisi de parler d'André Gide dans le cadre du Cercle de Lecture de mon village (réuni avant le confinement). Le titre fait référence à la Cinquième Symphonie de Beethoven que Gertrude va écouter avec le pasteur et qui lui fait découvrir la beauté de la musique et du monde qui l'entoure et dont elle sort émerveillée.
C'est donc avec plaisir que j'ai redécouvert cette histoire toute simple, presque trop d'ailleurs, mais romantique qui dénote dans l'oeuvre de Gide. Dans ce texte très court et superbement écrit à la première personne, Gide montre bien la descente aux enfers de ce pasteur généreux qui se met en quatre pour ses ouailles et prêche avec conviction les préceptes de la religion protestante, tout en faisant preuve d'une cécité absolue pour ses propres sentiments. Au fur et à mesure que Gertrude, avide d'apprendre et de comprendre, s'éveille à la vie, c'est lui qui devient aveugle à ce qu'il ressent.
On se retrouve dans le mythe de l'enfant sauvage et pas loin bien entendu de tomber dans la caricature...mais l'écriture de Gide est superbe !
Les autres personnages sont également très bien décrits au niveau psychologique, toujours du point de vue du narrateur puisque tout au long du roman il emploie le "je" dans son journal.
Amélie est plutôt taciturne. C'est une mère de famille sérieuse et pieuse, toute dévouée à sa tâche quotidienne et à l'éducation de ses enfants. Elle préfère s'exprimer par sous-entendus plutôt que d'affronter son mari en face, ce qui entraîne entre eux beaucoup d'incompréhension. Elle éprouve de la jalousie envers la jeune fille, mais elle sait aussi que bien que tout les oppose, la jeune fille n'y est pour rien.
Jacques le fils aîné, affronte son père et provoque beaucoup de discussion autour de la religion. Il cherche à lui montrer son erreur et se rend compte que son père est épris de la jeune fille. Par dépit, face à l'autorité paternelle qu'il ne peut remettre en question, il accepte de fuir la maison familiale, et décide de se convertir au catholicisme et de devenir prêtre.
Evidemment, le texte est étayé de références bibliques mais finalement cela ne m'a pas dérangée, car cela correspond bien au sujet et aux personnages.
Il faut mettre aussi ce texte en parallèle avec la vraie vie de Gide, et le mal qu'il a lui même causé à sa femme, lors de sa relation avec Marc Allégret...
Par contre, je trouve que ce court roman, paru en 1919, a beaucoup vieilli et que son seul intérêt, à part d'être étudié en classe ou lu pour connaître l'oeuvre de Gide, c'est de permettre de mieux comprendre le poids de la religion au début du XXe siècle et donc celui de la morale. Un film éponyme est paru en 1946 avec Michèle Morgan, à revoir peut-être en ce moment, car à mon avis il a moins vieilli que le roman.
C'est donc un roman qui aura des difficultés à capter l'attention des jeunes générations de lecteurs, à moins de leur montrer à quel point Gide était un visionnaire qui pensait, comme il le dit dans ce roman écrit à la première personne, que la morale chrétienne et la nature humaine, en ce qui concerne en particulier le sentiment amoureux, ne pouvaient pas s'accorder et feraient le malheur à venir de générations entières d'êtres humains.