Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Les Inuits sont un peuple de chasseurs nomades se déployant dans l’Arctique depuis un millier d’années. Jusqu’à très récemment, ils n’avaient d’autres ressources à leur survie que les animaux qu’ils chassaient, les pierres laissées libres par la terre gelée, les plantes et les baies poussant au soleil de minuit. Ils partagent leur territoire immense avec nombre d’animaux plus ou moins migrateurs, mais aussi avec les esprits et les éléments. L’eau sous toutes ses formes est leur univers constant, le vent entre dans leurs oreilles et ressort de leurs gorges en souffles rauques. Pour toutes les occasions, ils ont des chants, qu’accompagne parfois le battement des tambours chamaniques.
Penchée sur la flaque, je n'ai pas entendu le grondement au loin. Lorsque je sens la vibration dans mes jambes, il est trop tard : la banquise est en train de se fendre à quelques pas de moi. L'igloo est de l'autre côté de la faille, ainsi que le traîneau et les chiens.
Je pourrais crier mais cela ne servirait à rien.
Une nuit, alors qu'elle se lève pour sortir de l'igloo, Uqsuralik se retrouve séparée de sa famille, par une fracture de la banquise. Avant qu'elle ne disparaisse aux yeux des siens, son père a le temps de lui jeter une dent d'ours, en guise d'amulette, un harpon et une peau d'ours qui va lui permettre de se protéger du froid. Bien qu'enroulé dans la peau d'ours, le harpon s'est cassé et elle ne pourra utiliser que son manche.
Là voilà seule à présent, au milieu de l'immensité de la banquise, du froid et de la nuit polaire.
Si elle veut survivre, elle doit regagner rapidement la terre pour y rencontrer d'autres familles susceptibles de la recueillir pour l'hiver. Il faut donc chasser, ce qu'elle sait faire, marcher et se construire des abris pour la nuit.
Enfin, elle croise une tribu et va pouvoir se reposer auprès de ses semblables. Ils connaissent son père, sont navrés de ce qui lui arrive et l'accueillent avec gentillesse. Elle va très vite les surprendre pas son savoir-faire, non seulement à la chasse, mais aussi dans la vie quotidienne.
La chasse et la cueillette l'été, la constitution de réserves de gibier pour la longue nuit polaire, les fêtes et les chants, la construction des maisons d'été et d'hiver et des igloos, lors des longues périodes de chasse, rythment la vie de la petite communauté.
Ils vivent tous ensemble au rythme des saisons, suivent le gibier et remercient les animaux de leur apporter nourriture, lumière et vêtements chauds. Tous acceptent les étrangers sans poser de questions, car ici il est question de survivre tout simplement.
Uqsuralik va devoir vivre loin de sa famille et bâtir sa vie de femme. Elle donnera la vie, trouvera auprès de vieille Sauniq une véritable mère et devra chercher sa voie car elle n'est pas encore arrivée au terme de son destin...
Nous découvrons ensemble avec la même joie, le même émerveillement, le tout nouveau manteau de neige. Désormais, le jour naît de la terre. La faible clarté du ciel est généreusement reflétée par une infinité de cristaux. La neige tombée durant la nuit est si légère, qu'elle semble respirer comme un énorme ours blanc.
J'ai sans cesse envie de rire et, lorsque je m'approche du rivage, j'entends les palourdes qui claquent sous la glace. Si j'avance seule sur la banquise, je perçois la mer qui bouge en dessous, je sais qu'elle rit avec moi. Cette fois, j'en suis certaine : un enfant est là.
Mon avis...
Je découvre cet auteur que j'avais noté dans mon petit carnet de lecture depuis longtemps pour un autre titre, mais que je n'avais jamais lu, avec ce roman poétique et empreint de spiritualité qui nous emmène au cœur du monde polaire chez les Inuits.
J'ai aimé cette écriture simple et je suis rentrée avec grand plaisir dans cette fiction très bien documentée, dans laquelle le néophyte apprendra beaucoup de choses sur la vie des Inuits, leurs rites, leurs croyances, leur méthode de survie.
Pour les Inuits, les esprits sont partout, non seulement dans les êtres vivants, hommes ou animaux, mais aussi dans les éléments naturels comme les pierres, le vent, les étoiles. Tous ont une vie propre et sont animés d'une force vitale. L'animisme qui régit leur société a longtemps été mal compris et condamné, mais il a plus de 10 000 ans et il est basé sur des récits et chants fondateurs, qui ont été transmis depuis la nuit des temps, oralement, de génération en génération.
Le roman est ainsi entrecoupé de nombreux chants...et poèmes.
L'auteur nous propose un voyage initiatique dans le Grand Nord, avec une jeune femme attachante et crédible. Uqsuralik nous montre bien à quel point les femmes de son peuple sont solides et indépendantes et ont été en quelque sorte, d'avant-garde par rapport à notre civilisation.
Le lecteur entre de plein pied dans cette nature sauvage, rude mais superbe et dans la vie communautaire de ce peuple discret, indépendant et chaleureux, tel qu'il était à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Car aujourd'hui bien entendu le modernisme a fait de ce peuple animiste, des déboussolés qui comme les Indiens d'Amérique luttent pour préserver leur culture mais ne peuvent échapper à la vie d'aujourd'hui.
Le lecteur découvre, s'il ne le connaissait pas, un peuple doux et pacifique, empli d'humanité où les problèmes sont résolus avec beaucoup de justesse, où les chants et les rites rythment la vie communautaire lors de la longue nuit polaire. Il découvre la solidarité qui les lie, seule façon de préserver les enfants et les femmes de cet univers hostile et donc, la survie de leur groupe.
Cependant, même si ce roman est un agréable moment de lecture, il ne remplace pas à mes yeux les récits de Paul-Emile Victor, de Jean Malaurie, ou plus récents de Jorn Riel...
J'ai trouvé en particulier que l'auteur insistait beaucoup trop sur le côté spirituel des Inuits. Il est question à chaque page de chamanisme. Or il s'avère que pendant longtemps, les rites inuits n'ont pas été considérés comme du chamanisme mais comme une "sorte de chamanisme" ce qui n'est pas tout à fait pareil. Ce n'est que récemment que les ethnologues définissent leur croyance ainsi. Là- bas le chamane (angakuk ou angakok) est celui qui sait, qui soigne, qui aide les autres, donc tous les anciens qui ont la connaissance sont des chamans... mais ils ne peuvent être considérés tous, pour autant, comme des chefs spirituels...
Bref c'est un débat qui n'a pas fini de faire couler de l'encre !
Ce livre a reçu cette année le PRIX FNAC, le seul prix littéraire totalement indépendant, décerné à la fois par des libraires et leurs lecteurs.
Il a été rédigé alors que l'auteur était en résidence d'auteur, au Muséum national d'Histoire naturelle, résidence durant laquelle l'auteur s'est immergé dans le fonds polaire de Jean Malaurie et le fonds d'archives Paul-Emile Victor.
Un cahier de photographies complète le roman.
A découvrir donc !
Durant ma longue vie d'Inuit, j'ai appris que le pouvoir est quelques chose de silencieux. Quelque chose que l'on reçoit et qui_comme les chants, les enfants_ nous traverse. Et qu'on doit ensuite laisser courir.
Jusqu'ici, j'avais toujours évité de penser à la façon dont ma famille avait pu survivre ou non à la fracture de la banquise.
Maintenant, je suis tourmentée. Ont-ils été engloutis vivants par les glaces ? Ont-ils d'abord eu faim sur une plaque à la dérive ? L'un d'eux a-t-il été broyé par la débâcle ? Ou ont-ils eu la chance de disparaître tous ensemble dans une crevasse ?