Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
l'image n'est pas encore tout à fait une image, juste un fragment, englué parmi d'autres, d'une pellicule qui a passé des années sous la neige, dans l'un des territoires les plus reculés du monde. Elle est si imprégnée d'eau que sa substance sensible reste sur le doigt qui l'effleure...
Il y a c'est sûr, très peu d'espoir de lire encore, dans ce qui reste, quelque chose d'une histoire.
Voilà un roman qui était sélectionné pour le Prix Goncourt et qui aurait bien mérité de l'avoir...à mon humble avis !
Alors qu'elle visite le musée d'art moderne Louisiana de Copenhague, l'auteur est saisie d'un vertige devant les superbes photographies de l'expédition de l'aéronaute suédois, Salomon August Andrée (1854-1897). Celui-ci avait tenté de relier le Pôle Nord en ballon en 1897 avec deux compagnons, l'ingénieur Knut Fraenkel, et le photographe de l'expédition, Nils Strinberg.
Le mystère qui planait toujours autour de leur disparition, a été levé en 1930, date à laquelle des pêcheurs norvégiens, découvrent leur dernier campement sur l'île Blanche, l'île la plus reculée de l'archipel du Svalbard. Là, ont été retrouvés à côté de nombreux vestiges, leurs corps tout d'abord, et au milieu de leurs affaires, des rouleaux de pellicules photos dont certains ont pu être développés et ont permis de révéler au grand jour des images parfois floues, parfois plus précises, parfois illisibles, de leur voyage.
Tous ces vestiges ainsi que la lecture du Journal de bord de l'expédition donnent envie à Hélène Gaudy de réécrire leur histoire, en interprétant les blancs à sa façon.
Ce roman était né !
Ils sont seuls à présent. Loin des regards et des hourras, sans plus de témoins à part, bientôt, l'oeil de l'appareil photo, et on aura beau tenter de remplir les vides, tout ce qui lui échappera demeurera ce qui leur appartient.
Le lecteur découvre donc la vie de ces hommes à la recherche du Pôle Nord.
Le ballon qui devait pouvoir rester dans les airs 17 jours, se dégonflera au troisième jour.
Les trois hommes, pas découragés au départ mais désormais seuls au monde, comprennent qu'ils ne pourront jamais atteindre le Pôle et décident alors de redescendre vers le sud à la recherche d'une terre. Ils marchent sur la banquise en perpétuels mouvements pendant de longues semaines, donnent à voir leur courage et leur détermination sur des photos qui sont de véritables mises en scène, et avancent coûte que coûte, vers un avenir dont ils ne connaissent pas l'issue, même s'ils la redoutent.
Les photos ci-dessous sont extraites de l'article de Wikipedia ICI.
Les images sont des paliers pour plonger en apnée, s'enfoncer, reprendre de l'air, s'arrimer aux détails, au minimum visible, et en passant de l'une à l'autre, jeter un regard aux gouffres qui les séparent, dont on ne perçoit qu'une rumeur, à peine un frémissement.
Ils se nourrissent de ce que leur offre la nature autour d'eux et restent soudés quoi qu'il advienne.
S'ils perdent espoir, ce n'est pas noté dans le journal de bord...
Ils continuent à collecter les traces de vie qu'ils découvrent au fur et à mesure de leur progression, et à observer attentivement ce qui les entoure, notant tout pour pouvoir transmettre leurs découvertes naturalistes en rentrant chez eux.
Nils le plus jeune, les relie à la vie d'avant, en écrivant régulièrement à Anna, sa fiancée, des lettres qu'il ne pourra jamais expédier et dont elle ne prendra connaissance que des décennies plus tard...alors qu'elle est mariée.
Mais l'été passe plus vite que prévu et bientôt la nuit polaire les entoure, les obligeant à envisager d'hiverner sur place comme tant d'autres aventuriers l'ont déjà fait ou le feront à leur tour...
Il arrive qu'ils se lèvent, marchent et oublient ce qu'ils ont déjà subi comme ce qui va advenir, oublient d'être raisonnables, cessent d'écouter leurs corps ou plutôt, modifient soudain l'écoute qu'ils lui prêtent, le paysage alors les ronge sans douleur, juste une main ferme qui leur serre le coeur, la sensation déjà lointaine de l'archet contre le violon.
Dans ces moments-là, ils ne sont plus des conquérant, même plus des explorateurs. Leurs viennent alors des mots inattendus, émerveillés, pour décrire ce qui les entoure...
L'auteur sait particulièrement bien mêler récit et fiction, pour nous parler de la curiosité des hommes et de leur désir, parfois poussé à l'extrême, de laisser coûte que coûte quelque chose d'eux-même et de leurs rêves, à la postérité.
A l'histoire de ces trois hommes racontée avec une grande finesse, elle mêle le récit d'autres aventuriers disparus ou non. Elle va ainsi évoquer aussi bien les frères Montgolfier que Léonie d'Aunet qui décida d'accompagner en 1838, son mari au Spitzberg, et de nombreux aventuriers connus ou inconnus comme Fridtjof Nansen par exemple qui traversa le Groenland, ou Ernest Shackleton, dont je n'avais jamais entendu parler.
Que de rêves perdus...d'échecs dramatiques ou de succès parfois en demi-teinte, pour arriver jusqu'à nos connaissances d'aujourd'hui !
C'est donc un périple hors du temps d'une grande richesse et empreint de poésie qui immerge le lecteur dans la blancheur de la banquise, le froid, les dangers du Grand Nord, les animaux sauvages, pour un voyage sans retour qui nous montre aussi la nature dans sa pureté la plus absolue.
Quand on pense que personne avant eux n'avait foulé la glace... on est pris par l'espoir qu'ils arrivent à bon port, mais le lecteur sait pourtant qu'il n'en sera rien.
C'est un roman magnifique qui certes fait la part belle à l'interprétation personnelle de l'auteur, mais constitue aussi un bel et émouvant hommage à la photographie et aux photographes de tous temps. La photographie est un art récent mais qui a su déjà traverser le temps, des premières innovations jusqu'à nous, et qui permet de fixer non seulement des souvenirs précis, mais de témoigner du passé, de ce qui a été, et de ce qui n'est plus, d'une réalité et souvent d'une ambiance, que nous ne connaîtrons sans doute plus jamais...
La coïncidence a voulu que Keisha en parle sur son blog alors que je venais d'emprunter ce livre à la médiathèque. Vous pouvez aller lire son avis ci-dessous...Elle aussi a aimé ce voyage et ces grands hommes !
Un monde sans rivage Hélène Gaudy Actes sud, 2019 Franchement où les jurés des prix ont-ils la tête, ils tenaient là un roman ou presque roman bourré de qualités. Mais les deux années pré...
http://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2019/11/un-monde-sans-rivage.html