Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Je n'étais pas en mesure d'exister sans mon père, ma propre identité reposant sur la sienne. Je n'étais plus personne, imaginais sans cesse les instants privilégiés qu'il vivait loin de ma présence. Mon père était inaccessible, introverti et absent mais il était ma raison d'être...
Le lecteur suit Suzanne qui visite une exposition sur l'art turc, au cœur de la Royal Academy de Londres (une exposition qui a réellement eu lieu en 2005). Alors qu'elle déambule dans une des salles, au milieu des œuvres de l'énigmatique Siyah Qalam, un peintre du XVe siècle, dont la vie est entourée de mystères et dont l'oeuvre ne cesse d'interroger tant elle diffère des diktats de l'époque, elle ressent une forte impression et entend une voix...c'est la voix d'Aygül, la fille du peintre.
Suzanne qui cherche à trouver un sens à sa vie depuis qu'elle a perdu son père, décide de se laisser porter par le récit d'Aygül pour découvrir qui était réellement Siyah Qalam, ce peintre mal aimé et incompris, qui vouait une véritable fascination aux nomades de la steppe...On le surnommait, le calame noir.
Le lecteur découvre la vie imaginée du peintre et de sa fille dans la dynastie des Moutons Blancs. Le père appartient à l'Atelier des peintres miniaturistes du palais de la ville de Tabriz, une ville riche située sur la Route de la Soie.
Chaque printemps, le sultan l'autorise à se rendre durant quelques mois dans le campement d'été des nomades des steppes d'Asie Centrale.
Il est le seul à savoir particulièrement bien les représenter de manière très réaliste et vivante et ces représentations plaisent au souverain.
Alors qu'Aygül a 13 ans, son père accepte de l'emmener avec lui dans la steppe, sa mère était elle-même une nomade, après tout. Il parle peu et celle-ci va le découvrir sous un autre jour, à travers ses dessins dans lesquels il exprime toute sa créativité.
Là-bas, elle va découvrir une autre vie, loin des mesquineries du palais et quitter à jamais son enfance.
Le lecteur découvre plus en détails la vie quotidienne de ces nomades, leurs fêtes et cérémonies traditionnelles et en même temps, il entre dans les pensées de ce peintre au style si éloigné des clichés de l'époque.
Mais à la fin de l'été, il leur faut rentrer à Tabriz... Ils découvrent que tout a changé durant leur absence ! Le sultan est mort et son fils, son successeur qui n'a que 9 ans, sera très vite lui-même remplacé.
L'art est relégué au second plan : magouilles et luttes de pouvoir seront à présent les seuls objectifs du sultan...
Je roule ses dessins, les retire de leur vue et les range pour écourter leurs bavardages acerbes. Je les maudits en silence, exècre leur mépris. Je plains leur ignorance, leur inexpérience et leur imbécillité. Ils n’accéderont jamais à la beauté et resteront asservis à l'illusion d'une perfection et d'une excellence.
Mon père cherche un point central et non le meilleur point de vue, fuit les univers divinement ordonnés. Il cherche la ligne pure sans sophistication, il cherche une présence.
J'ai aimé découvrir cette histoire qui se lit comme un conte.
J'ai aimé lire la vie de ce peintre qui était totalement inconnu pour moi et d'apprendre que quelques-unes de ces œuvres ont pu être sauvées de l'usure du temps, et conservées au musée de Topkapi, grâce à Selim le Terrible. Elles font toujours aujourd'hui, l'objet d'études approfondies par les historiens d'art islamique.
La passion de l'auteur pour les mondes anciens est palpable et son univers très particulier, empreint de poésie, nous permet d'entrer facilement dans la vie de ses personnages.
L'intervention de Suzanne dans l'histoire qui apparaît presque marginale, devient en fait au fil du récit, essentielle...
Tout d'abord elle permet de faire le lien entre les deux jeunes femmes qui sont toutes deux, à la recherche de leur père disparu, incapable de vivre seules, sans cette relation fusionnelle qu'elles partageaient avec lui. Ensuite, la relation particulièrement pleine de tendresse et de compréhension mutuelle, qu'Aygül entretient avec son père, va aider Suzanne a accepter de vivre enfin, sans le sien.
C'est un pur plaisir que de lire ces passages où, tantôt l'une tantôt l'autre, nous parle de leur père...
Ce récit est donc à la fois un hommage au père mais aussi une plongée dans l'histoire des peuples et des souverains et dans l'histoire de l'art au XVe en Asie Centrale.
Au cœur du livre, quatre pages montrent quelques-unes des œuvres du peintre. En voici d'autres prises sur le net...
Un père nous ouvre le monde, construit votre être loin des peurs archaïques et vous donne de l'amour pour toute votre vie...
Seul un père donne une valeur...on naît pas femme sans la reconnaissance d'un père. Il faut sans cesse réparer les manques, raccommoder cette lourde lacune de la vie...