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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Un séisme en Provence (1) / Le soir du 11 juin 1909

La couverture du Petit Journal

La couverture du Petit Journal

J'ai couru au premier étage, j'ai arraché les enfants en pleurs de leurs lits, j'ai dégringolé les marches, ouvert une lourde porte et je me suis trouvé dehors sur un sol mouvant. Cela n'avait duré que vingt secondes : il y a des instants où les forces se centuplent.

Je vous propose aujourd’hui de remonter le temps jusqu'à ce mois de juin 1909, il y a 110 ans... le 11 juin exactement.

Nous allons revivre un instant la vie telle qu'elle était dans un des petits villages provençal du nord du département des Bouches-du Rhône...

Il est presque 21 h 19. La journée a été plutôt chaude et les provençaux profitent de la fraîcheur du soir pour sortir leurs chaises sur le pas de la porte, ou s'installer sur le banc réservé à cet usage. Les places des villages font le plein et on se transmet les dernières nouvelles. L'affaire Dreyfus divise le pays depuis plusieurs semaines. Partout les ouvriers se mettent en grève demandant de meilleures conditions de travail, d'autant plus que le pays est en plein essor économique et industriel. Seuls les aïeuls, quelques rares adultes et les bébés sont déjà couchés.

Tous les habitants sont dehors en ce début de soirée : c'est ce qui va les sauver ! 

 

Soudain, un bruit terrible suivi d'une violente secousse, surprend les habitants : le craquement est terrifiant, la vaisselle se brise, les maisons tremblent puis s'écroulent, le sol se dérobe, la poussière et la nuit  empêchent de comprendre, puis de voir ce qui vient de se passer. Des gémissements retentissent ici ou là, sous les décombres, alors qu'une seconde secousse survient déjà 25 minutes plus tard...faisant écrouler ce qui tenait encore. 

La terre vient subitement de se réveiller et d'anéantir la région située entre l'étang de Berre, Aix-en Provence et la Durance au nord, Salon-de-Provence à l'ouest...

En un instant, tout est détruit, des centaines de familles n'ont plus de maison, et les habitants resteront marqués à jamais, pour plusieurs générations, par ce séisme de force 6.2 sur l'échelle de Richter, qui reste encore aujourd’hui le séisme le plus meurtrier connu en France métropolitaine depuis plusieurs siècles. 

 

Incroyablement violent, le choc a été ressenti jusqu'à Marseille, où des habitants affolés, vont se regrouper sur le Vieux Port, à Valence au nord et, de la frontière espagnole jusqu'à Gênes en Italie, d'Ouest en Est. 

 

Carte du séisme du 11 juin 1909

 

A Rognes, les habitants se regroupent dans la plaine, à Lambesc à l'inverse, ils montent sur le plateau de Bertoire. Puis, une fois leurs proches en sécurité, les hommes s'organisent pour commencer à tenter de sauver des vies, parmi les décombres.

Il y a de nombreux blessés et tout au long de cette longue nuit, les populations isolées car les communications ont toutes été coupées, ne pourront compter que sur elles-mêmes. Les habitants ne comprendront que le lendemain que toute la région a été dévastée...

Rognes après le séisme

Rognes après le séisme


Quand nous eûmes compris que notre maison ne s'écroulerait pas sur nous, nous sortîmes en toute hâte, poursuivis par le bruit sinistre des derniers murs qui s'effondraient. Nous courions vers la campagne, loin du village qui, comme un immense château de cartes, s'affaissait graduellement. Nous allions au devant de nous, épouvantés, craignant à tout instant de voir s'ouvrir la terre et d'être engloutis...
Témoignage de Marie Tay (Rognes)

 

Comment vivaient-on en Provence en ce temps-là ? 

Dans les villes proches du lieu du séisme...

Aix-en-Provence, était déjà une ville riche, bourgeoise et prospère où la vie culturelle était en plein développement. En Arles, quelques jours avant le séisme, on inaugurait fin mai 1909, le musée Arlaten, aménagé grâce au prix Nobel de Littérature, obtenu en 1904 par Frédéric Mistral.

 

Photo wikipedia

 

Dans la région de Salon-de-Provence, l'économie tournait autour de l'huile d'olive et du savon et l'on recensait pas moins de 5 savonneries, mais aussi des entreprises de taille de pierre, de ferblanterie et du tonnelage. Les champs d'oliviers étaient irrigués grâce à la présence du canal de Craponne. Les usines employaient de nombreuses personnes en particulier des femmes. La ville venait d'obtenir une médaille d'or à l'exposition universelle de Paris en 1900, pour "la qualité de ses exportations et le dynamisme de son commerce". 

 

Mais malgré la vie culturelle et l'essor économique, cette partie de la Provence était encore une région sauvage, peu connue des touristes. Seuls les peintres avaient su particulièrement mettre à l'honneur cette campagne éloignée des grands axes : Van Gogh, Cézanne, Braque, Matisse, et bien d 'autres...

 

"La Moisson ", juin 1888. Huile sur toile, 73 x 92 cm.

Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation)

 

Dans les campagnes, la vie au début du XXe siècle, commençait juste à être moins rude. Le chemin de fer avait fait son apparition mais les bus entre deux villages y étaient encore tirés par des chevaux. Ceux qui possédaient une automobile étaient rares, et voir passer un avion n'était tout simplement pas envisageable...

Le télégraphe avait fait son apparition ainsi que le téléphone. Les gens étaient moins isolés et les journaux locaux connaissaient un franc succès...

Pourtant, les hommes s'acharnaient toujours à cultiver la terre avec des outils rudimentaires. La vie était encore essentiellement tournée vers les tâches saisonnières, les récoltes et les fêtes...

Les paysans vivaient en particulier de la culture des amandes, du blé (dont l'épeautre), des légumineuses comme le pois chiche, de l'olivier et surtout de la vigne. Ces cultures nécessitaient peu d'eau et cela tombait bien, parce que de l'eau on en manquait dans cette région. Les sources ne coulaient pas toute l'année et les cultures maraîchères étaient très peu développées.

 

Cueillettes des olives près de Salon-de-Provence

( http://www.passionprovence.org )

 

A part les figuiers qui prolifèraient dans la région, il n'y avait pas de fruitiers comme c'était le cas dans le Vaucluse car ils nécessitaient de l'eau eux-aussi...

Que dire de plus... Les enfants allaient maintenant à l'école, devenue obligatoire, et parlaient deux langues : le provençal à la maison et le français à l'école. 

 

Dans les maisons, il n'y avait pas encore d'électricité, ni de salle de bain. Les denrées étaient conservées naturellement à la cave, au frais, le grenier servant à entreposer les récoltes. Dans les chambres on dormait à plusieurs. Les femmes allaient au lavoir et s'approvisionnaient en eau à la fontaine pour les besoins de la maison et des animaux. 

Quand à l'ambiance et à l'accent, je vous renvoie vers les écrits de Marcel Pagnol ou les films adaptés de ses romans...Grâce à ces romans, vous savez tous que les provençaux aimaient se retrouver au café du coin, ou pour une partie de boules, et qu'ils aimaient aussi se regrouper pour discuter de l'actualité, se raconter des histoires...car il n'y avait pas de télévision ! 

 

Voici telle qu'elle était, la situation des habitants de la région au soir du 11 juin 1909... 

Prochainement, nous ferons le tour de quelques villages détruits enfin, comme d'habitude... si vous le voulez bien ! 


Dans le quartier du Castellas, aucune maison n'avait échappé à la terrible catastrophe ; c'était navrant et je renonce à décrire la douleur que provoqua en moi ce terrible spectacle.
A 6 heures du matin, je me trouvais sur la place Lazare-Carnot, un camion descendait au pas la Grand Rue, un linceul blanc recouvrait les corps des quatre enfants Philip que les décombres avaient engloutis à la ferme de Croignes....
Telles sont mes impressions sur la terrible catastrophe du 11 juin 1909. Elles ne donneront aux lecteurs qu'une vague idée du désastre, car il n'est pas possible de décrire exactement les heures d'angoisse et les tristes conséquences que provoqua ce tremblement de terre.
Extrait du témoignage de Raymond Dauphin (Lambesc)

La ferme de Croignes après le séisme (Lambesc). Aucun des enfants n'a survécu au séisme.

La ferme de Croignes après le séisme (Lambesc). Aucun des enfants n'a survécu au séisme.

 

Les témoignages mis en citation, sont extraits du recueil "Album souvenir du Tremblement de Terre en Provence", Edité par Les amis du Vieux Lambesc en 1986. A l'intérieur de cet album, on trouve bien entendu beaucoup d'autres témoignages complets de cette nuit du 11 juin 1909. 

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