Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Les saisons, c'est un sentiment, une émotion. Nous entretenons avec chacune d'elles une relation intime et personnelle. Sentir cet attachement, quel que soit le moment de la saison que l'on préfère, c'est peut-être cela "être de saison" au sens de l'expression française. C'est être dans l'instant, être dans la vie.
Nous nous faisons parfois une représentation figée de la durée des saisons, comme si celle-ci était définie par décret, ou comme un calendrier scolaire ; mais la saison n'est pas de cet ordre-là, et ne l'a jamais été.
Lorsque j'ai emprunté ce livre à la médiathèque, je ne savais pas qu'il ne s'agissait pas d'un roman. En fait, c'est un genre de livre difficile à classer dans une catégorie. On pourrait dire que c'est un essai...très poétique !
L'auteur y développe son ressenti, ses expériences et ses réflexions autour de "nagori", un mot japonais, qui signifie aussi bien "la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter" que "la séparation", ou les "conséquences, les dégâts ou les suites d'un événement" ou alors "ce qui reste, ce qui subsiste dans le monde en lieu et place d'une personne... ou de quelque chose" ou encore si on regarde l'étymologie du mot "l'empreinte laissée par les vagues après qu'elles se sont retirées de la plage".
Dans sept courts chapitres, l'auteur nous explique que nous vivons selon deux types de temporalité, cyclique (ce sont les saisons) et linéaire, la plus difficile à ressentir et à comprendre pour nous car elle est variable selon nos émotions et est parfois impossible à appréhender comme dans le cas de la radioactivité (tant la durée de vie est importante).
Tout cela sert de prétexte à parler de la notion de saison, de ce qu'elle signifiait pour les anciens, qui n'avaient pour se nourrir et ce, quel que soit le pays dans lequel ils vivaient, uniquement les fruits et légumes "de saison" (d'où les nombreuses famines), puis qui ont appris au fil des siècles à conserver les aliments jusqu'à aujourd'hui où certaines personnes ne savent plus quand est la saison des tomates ou des fraises, par exemple...tant on peut trouver de tout en toutes saisons.
Ainsi chaque saison d'un fruit s'accompagne du plaisir de le (re) découvrir (voilà pourquoi on fait un vœu lorsqu'on mange la première fraise ou la première cerise). Puis le goût du fruit évolue jusqu'à la fin de sa saison, ou on éprouve de la nostalgie, annonçant ainsi la longue attente avant l'année suivante, où auront lieu les retrouvailles, si on est encore en vie...
L'auteur nous démontre aussi que le rapport entre produit et saison est devenue aléatoire aujourd'hui selon où l'on habite mais reste "hautement symbolique".
Les saisons permettent au temps de se dérouler de façon cyclique, et de voir revenir des dates anniversaires d'événements heureux ou malheureux, sur lesquelles nous bâtissons notre vie quotidienne, tant c'est rassurant !
Elle s'appuie sur de nombreuses références littéraires pour parler de la symbolique des saisons, n'hésitant pas à citer des exemples pris dans les contes pour démontrer l'importance dans notre imaginaire de consommer des fruits de saison, le "hors-saison" étant considéré comme un "trésor" idée qui perdure aujourd'hui, quand on considère son impact écologique.
A deux reprises l'auteur prend l'exemple sur le genre poétique japonais du haïku, pour expliquer que ce genre privilégiant la notion de temps cyclique, ramène les catastrophes naturelles ou les événements historiques marquants (comme Hiroshima, ou Fukushima) à une image du temps qui fera son travail de renaissance, ce qui est porteur d'espoir, certes pour les hommes mais ne doit pas les empêcher d'apporter des solutions concrètes. Ces catastrophes ne peuvent pas pour autant être considérées comme des événements que l'on va oublier à la saison suivante...
Ainsi les japonais en parlant d'Hiroshima, ne disent jamais: "les américains ont jeté la bombe" mais, "la bombe est tombée"...
C'est un livre court, empli d'anecdotes et de réflexions sur notre vie quotidienne et notre monde moderne. Il est empli de sagesse qu'on aime ou pas la culture japonaise, qu'on soit ou pas attiré par le Japon, il nous apprend à voir le monde autrement.
A maintes reprises lors de ma lecture, j'ai pensé que je n'avais jamais songé à voir les choses selon le point de vue que l'auteur nous propose, et j'ai trouvé que c'était très enrichissant de le découvrir.
Et comme le veut la coutume de "l'o-miokuri" au Japon, une coutume qui consiste à "raccompagner la personne qui s'en va jusqu'à ce qu'on ne la voit plus"...je vous "accompagne du regard" jusqu'à demain...où je vous emmène dans la Drôme !
La nature ne guérit pas de tout, surtout quand la catastrophe a été causée par les hommes.
Songez un instant à un événement qui vous concerne, vous ou vos proches ou qui vous a marqué...une guerre, ou un génocide, et imaginez-le traité sous le régime de la saison, comme s'il s'agissait d'une tempête, sans intention ni cause humaine, comme quelque chose qui s'est produit "tout seul" ; la violence de ce régime vous apparaîtra dans toute son horreur.