Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Quand accoste la barge, ce bateau bleu et blanc qui fait la traversée entre Petite-Terre et Grande-Terre, je repère Cham de loin, chaque jour plus beau, chaque jour plus irréel dans sa manière d'être à moi.
Je suis le roi et je devais te punir, Mo (Moïse). Je devais changer les règles, je devais montrer que les gens comme toi, qui ont la peau aussi noire que moi mais dont les paroles sont blanches et fades comme celle des muzungus, je devais montrer que je savais régler leur compte à ces gens-là...
Sur le bord des routes, des hommes et des femmes marchaient, panier sur la tête, bâton ou coupe-coupe à la main. Le ciel était sans nuages et, à travers ce paysage idyllique, quelque chose gonflait mon coeur. Quel était ce pays si doux, si beau ? Quel était ce pays qui m'avait oublié ?
Je sais maintenant que ce qui s'est passé ce jour-là et ce soir-là et tous les jours et les soirs qui m'ont amené jusqu'ici est beaucoup plus grand que ma peine, mon chagrin, mon regret.
J'ai quinze ans, je m'appelle Moïse, je suis né de l'autre côté de l'eau...
A 24 ans, Marie quitte sa vallée obscure et sa mère qu'elle ne supporte plus pour terminer ses études d'infirmière dans une grande ville. C'est là qu'un jour elle rencontre Chamsidine. Il est infirmier...ils se marient et partent vivre à Mayotte d'où Cham est originaire.
Là-bas dans cette île paradisiaque, Marie découvre la misère et la détresse humaine.
Après des débuts prometteurs, le jeune couple bat de l'aile. Marie ne peut pas avoir d'enfants, elle devient aigrie et jalouse. Ils se séparent...
Un jour une jeune mère débarque dans l'île et abandonne son bébé. Marie l'adopte et le surnomme Moïse.
C'est un enfant adorable. Mais avec l'adolescence arrivent les tourments : il rejette ses origines, en veut à Marie de l'avoir adopté, quitte le collège et a de mauvaises fréquentations. C'est alors que Marie meurt subitement.
Le lecteur va alors suivre le quotidien du jeune homme devenu orphelin, sa fuite hors de la maison de son enfance, son acceptation dans un gang de la ville, le quartier surnommé "Gaza"dont le chef, Bruce n'est lui-même qu'un gamin...mais la violence et la rage qui régissent leurs relations, les mèneront jusqu'au drame.
Ni Stéphane qui pourtant tentera de le sortir de là, ni plus tard Olivier, le jeune policier ne pourront le sauver...
L'auteur donne la parole tour à tour à chacun des personnages, chacun nous racontant de son propre point de vue, le même événement.
Si le début bien sûr permet à Marie de s'exprimer, les 2/3 du roman nous donnent le ressenti de Moïse, puis celui de Bruce qui voit en Moïse, un enfant de blanc puisqu'il a été élevé par une blanche.
Ce qui m'a surpris dans ce roman, c'est qu'il ne laisse aucun espoir. Pourtant je n'ai pas regretté ma lecture.
Olivier voit son désir de protéger les enfants, anéanti ; Stéphane l'éducateur repart en France et le lecteur ne saura rien de la vie de Cham qui a reconnu l'enfant, mais ne s'en occupera jamais même de loin, alors qu'il sait bien que Marie est morte.
Il m'a donné la sensation qu'il n'y a pas d'espoir possible pour sortir un jour de cette violence...et que c'est elle qui prime dans cette île française oubliée.
La jeunesse de Mayotte, trop livrée à elle-même, serait-elle perdue à jamais ?
Prix du roman France Télévisions 2017
Prix Fémina des Lycéens 2016