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Dans l'actuelle Cure de Die, située à 150 mètres de la cathédrale, où se trouve aussi la petite chapelle Saint-Vincent que je n'ai jamais visitée, se cache une des deux merveilles de la ville (je vous montrerai la seconde la semaine prochaine).
C'est là, dans un ancien hôtel particulier de style Renaissance, appartenant aujourd'hui au Diocèse de Valence, qu'il existe entre cour et jardin une petite pièce cachée, pour ne pas dire secrète, que les habitants de Die et de la région ont découvert depuis peu...
C'est lors des journées du Patrimoine que j'ai pu visiter le salon chinois, dont j'avais beaucoup entendu parler.
Inscrit à l'Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques depuis 2005, une première phase de restauration a permis de le dévoiler au public.
Cet Hôtel particulier a appartenu à la famille Lagier de Vaugelas.
C'est un de leurs descendants, Gonzague de Chivré qui décide en 1905, de le céder à l'Evêché. Mais au XVIIIe siècle, c'est Jean-Pierre Lagier de Vaugelas (1722-1808) qui s'y installe avec sa famille. Il est avocat et c'est un personnage important de la ville d'autant plus qu'il devient à la Révolution, Président du Tribunal de district.
Là, dans une petite salle voûtée en arêtes, donnant sur un jardin, il fait réaliser dans une petite pièce carrée, un décor peint. L'artiste recouvre l'enduit des murs, le plafond et les boiseries d'un décor de style chinois, tout en camaïeu de bleus sur fond ocre clair.
Dans ce qui devait être un petit cabinet d'étude, dans lequel l'avocat recevait sans nul doute ses visiteurs pour écouter leurs requêtes, il fallait un décor à la hauteur de la richesse et de la renommée familiale. Les "chinoiseries" étaient alors très en vogue, en Europe et en France, dans toutes les familles nobles et riches et, avoir un cabinet chinois était très prisé, car cela montrait que le propriétaire des lieux était capable, et surtout avait les moyens, de suivre la mode.
Ce décor répondait aussi à un désir d'exotisme et de fantaisie. Les "chinoiseries" avaient été mises à la mode grâce à la littérature, au théâtre et aux idées philosophiques de l'époque.
Au XXe siècle ce petit salon, excentré de la maison principale, est pour ainsi dire "oublié". Quand on le retrouve, il a souffert de l'humidité ambiante et de l'usage intensif de la cheminée qui, durant des décennies, a déposé sur les murs et le plafond une couche de suie. Mais sous la couche noire, une première restauration, prudente, permet de retrouver un décor presque intact : les boiseries et peintures murales n'ont presque pas souffert.
Personne ne connaît l'artiste qui a réalisé ces décors.
Une signature est découverte sur un des tableaux et une date... 1767.
Il s'agit de Louis Farjon, né à Crest, une ville proche de Die, en 1716.
Né dans une famille de drapiers, Louis Farjon ne se destinait pas au départ à devenir artiste. Il se marie avec la fille de l'apothicaire de Die, qui était aussi chirurgien et habite la ville.
Lorsqu'il devient "ornementaliste", il décore divers intérieurs de riches propriétaires de la région dioise, puis réalise des tableaux religieux.
Il semble s'être inspiré du lyonnais, Jean Pillement en particulier pour les oiseaux et les arbres que je vous montrerai demain.
Il s'inspire aussi des faïenciers de Lyon et de Marseille surtout en ce qui concerne ses personnages, et c'est dans les ouvrages illustrés rapportés par les Jésuites, revenus de leur mission d'évangélisation en Chine, qu'il trouve source d'inspiration, pour les costumes de ses personnages.
Si vous le voulez bien, nous allons commencer la visite du Salon chinois aujourd'hui et nous la poursuivrons demain...
La porte d'entrée est décorée recto et verso, et nous invite à entrer...
La pièce comporte deux grandes ouvertures, côté cour et côté jardin, qui sont aujourd'hui en verre dépoli pour filtrer le soleil, toutes deux donnent sur l'extérieur.
Face à la porte, le mur est percé de deux placards de part et d'autres d'une grande bibliothèque, emplie d'ouvrages anciens. Sans nul doute, vu les frises qui l'encadrent, elle existait déjà au moment de la réalisation du décor...
Derrière la porte de gauche, s'ouvre sur un petit coin de rangement, une sorte de petite cuisine, pourvue d'une pile (d'un évier donc) qui existait peut-être avant que la pièce ne devienne un cabinet d'étude...
A gauche de la porte d'entrée, la grande cheminée d'époque occupe presque toute la largeur du mur. Son linteau et les jambages sont en bois sculptés. C'est son usage intensif qui est la cause des dépôts de suie sur les décors...mais il fallait bien se chauffer car les hivers sont froids dans la région !
La cheminée est surmontée par un miroir qui devait refléter des porcelaines fines, posées en décoration sur le linteau.
Les décorations principales sont situées sur les portes et les panneaux de bois. Elles représentent des personnages hommes et femmes. Ils sont huit, vêtus à la mode chinoise.
A droite de la cheminée, un homme richement vêtu appartient sans doute possible à un rang social élevé. Son chapeau chinois, sa veste aux multiples boutons, ses chaussures, le fait qu'il fume la pipe et tienne un livre à la main, attestent de sa richesse. Il s'agit du "mandarin lettré".
De part et d'autre de la bibliothèque, deux musiciens sont représentés.
L'un joue du "pipa" chinois...
...l'autre, sur la porte de droite, joue d'un "serpent" utilisé en Europe et totalement inconnu en extrême-orient.
Peut-être symbolisent-ils tous deux, les différences entre nos deux cultures.
Au verso de la porte d'entrée et sur le mur de droite, deux paysans sont représentés, dont l'un est accompagné d'un jeune enfant...
Ils sont tous deux en habits traditionnels mais assez richement vêtus pour l'époque. L'homme à l'enfant semble cependant être d'un niveau social plus élevé.
A côté du mandarin lettré, une femme fume également la pipe. Ses vêtements sont élégants et elle porte un chapeau chinois. Le fourneau de la pipe représente une tête d'homme...
Est-elle son égale en droit ?
La femme du mandarin ?
Une représentation orientale des commanditaires du décor ?
Deux autres femmes se retrouvent sur les panneaux.
Elles portent des fruits et des fleurs. Toutes deux sont de condition sociale différente. Leur coiffure l'atteste.
La plus riche porte un chapeau assez traditionnel pour les dames de cour et des bijoux.
La seconde est coiffée d'une simple résille. Elle a l'air beaucoup plus jeune et semble être une toute jeune fille.
Tous ces personnages montrent une version de la Chine idéalisée, donnant l'idée d'un pays prospère bien éloigné de la réalité connue de l'époque.
Certains personnages ont été bien abîmés par l'humidité dont je vous parlerai dans mon prochain article mais aussi par les termites qui ont attaqué au fil des ans les panneaux de bois. On voir bien sur ma dernière photo les dégâts occasionnées par les insectes.
Heureusement la première restauration a fait des miracles.
A demain, si vous le voulez bien, pour la suite de notre visite !