Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
- Je vais vous dire pourquoi je suis là, Adam. Je veux m’assurer que vous savez ce que vous faites. Certains vous trouvent trop jeune pour prendre une telle décision et croient que vous êtes sous l’influence de vos parents et des anciens. D’autres pensent que vous êtes extrêmement intelligent et doué, qu’on doit vous laisser aller jusqu’au bout.
A l'âge de cinquante-neuf ans, Fiona Maye est un juge pour affaires familiales renommé.
A Londres où elle exerce, les cas de problèmes relevant du droit de la famille sont nombreux. Lorsqu'un cas compliqué se présente à elle, elle n'arrive pas toujours à s'en détacher et sa vie professionnelle prend une telle ampleur que son mari se sent délaissé...
C'est par exemple à elle de choisir quand les parents ne sont pas d'accord, "dans l'intérêt de l'enfant", ce qu'elle excelle à faire mais ce qui n'est pas toujours simple.
Ainsi, elle doit décider pour deux jeunes filles juives si elle donnera raison à la mère qui veut les scolariser dans un lycée juif ordinaire où la mixité est la règle, ou au père qui préfère une école plus rigide où sont exclus les nouveaux moyens de communication, internet donc, mais aussi la télévision, les vidéos et la mixité.
Cela de la même façon qu'elle a décidé dans le passé de séparer deux frères siamois en sachant qu'un des deux allaient forcément mourir... pour permettre à l'autre de vivre.
Le roman commence par présenter plusieurs affaires et par nous montrer Fiona en action au cours de ces journées bien remplies.
Mais c'est au moment où elle prend connaissance de la décision de Jack, son mari d'avoir une relation avec une femme plus jeune, et peut-être de la quitter pour toujours, qu'elle réalise que sa vie professionnelle a toujours empiété sur sa vie personnelle, à moins que ce soit elle qui se soit laissée ensevelir par un trop plein de travail pour oublier ses peines.
C'est alors que se présente, un dimanche soir où elle est de garde, une affaire compliquée et urgente puisqu'il s'agit d'un problème de vie ou de mort. Le jeune Adam Henry atteint d'une forme grave de leucémie, doit subir en urgence une transfusion sanguine. Or ses parents, comme lui-même s'y opposent ...Ils sont témoins de Jéhovah et Adam aura bientôt 18 ans et pourra décider lui-même de son traitement médical.
Les choses ne sont pas aussi faciles qu'il y paraît au premier abord et après avoir entendu les différentes parties, Fiona décide, ce qu'elle ne fait jamais, de se rendre à l'hôpital pour entendre le jeune homme. Elle désire comprendre qu'elle est la part de l'influence familiale et, celle de sa réflexion personnelle, face à sa maladie et à sa probable mort...
Comprend-il bien les conséquences du refus de la transfusion ?
Est-ce sa volonté personnelle ? celle de ses parents ?
Ou bien est-ce celle de sa communauté religieuse ?
Elle découvre un adolescent attachant, plein de vie, qui apprend à jouer du violon sur son lit d'hôpital, écrit des poèmes romantiques et, ce qui étonne beaucoup Fiona, qui est particulièrement mûr pour son âge.
Juger c'est prendre des risques et parfois, se tromper...
Juger c'est s'impliquer et Fiona va le faire au-delà de ce qu'elle se croyait capable de réaliser...
Où commence et où s'arrête l'intérêt de l'enfant ?
Dans le respect des convictions religieuses de sa communauté, donc de ses parents, ou bien dans le traitement proposé par les médecins ?
Combien de pages, dans combien de jugements, avait-elle consacrées à ce terme ? L'intérêt d'un enfant, son bien-être, tenait au lien social. Aucun adolescent n'est une île. Elle croyait que que ses responsabilités s'arrêtaient aux murs de la salle d'audience. Mais comment auraient-elles pu s'arrêter là ? Il était venu la retrouver, cherchant ce que tout le monde cherche, et que seuls les gens qui croient à la liberté de pensée, et non au surnaturel, peuvent donner. Du sens.
Elle croyait faire entendre la voix de la raison dans des situations sans espoir. Plus généralement, elle croyait aux dispositions du droit de la famille. Dans ses accès d’optimisme, elle voyait une preuve significative du progrès de la civilisation dans le fait que la loi plaçait l’intérêt de l’enfant au-dessus de celui des parents.
Ce roman est très intéressant à plus d'un titre.
D'abord au-delà du cas particulier de ce jeune homme, le lecteur prend conscience de la difficulté du travail de juge, surtout dans ces cas extrêmes qui impliquent d'entrer dans la vie familiale, mais aussi dans le mode de pensée des différents protagonistes, dans leurs croyances religieuses ou leur philosophie de vie.
La question de savoir où se situe exactement l'intérêt de l'enfant, est très bien posée.
Elle nous poursuit longtemps après avoir refermé le livre. Peut-on considérer l'intérêt de l'enfant en dehors de son environnement, de sa vie sociale, de son intégration dans notre société...
Où est sa réelle liberté de choisir ?
Dans ce court roman qui se lit très vite, l'auteur nous offre une ambiance particulièrement oppressante. Je n'avais jamais rien lu de lui, mais avais noté plusieurs titres, et la lecture de celui-ci, me donne envie d'en découvrir d'autres.
La finesse avec laquelle l'auteur développe, à travers la parole du juge, les divergences de croyances, les notions de respect et de tolérance, de dignité (même pour un adolescent mineur) et la décision des parents en cas de fin de vie de leur enfant, est tout à fait remarquable.
J'ai aimé aussi l'étude psychologique des personnages.
Le roman pose bien le problème de la neutralité d'un juge, qui, quel que soit son professionnalisme, est avant tout un être humain...
A noter : Toutes les prises de décision d'un juge sont articulées autour du "Children Act de 1989".
Il ne supportait pas de la regarder pendant qu'il parlait, ni qu'elle-même le regarde. Il porta ses mains à son front, en visière.
"J'ai une question à vous poser. Quand vous l'entendrez, vous la trouverez ridicule. Mais s'il vous plaît, ne refusez pas catégoriquement. S'il vous plaît, dites que vous allez réfléchir.
- Oui ?"
Il s'adressa au plateau de la table. "Je veux venir habiter chez vous."
Elle attendit la suite...
A lire aussi, l'avis éclairé de Violette sur son blog...
L'intérêt de l'enfant de Ian McEwan - Le blog de Violette
Fiona est juge à la chambre des affaires familiales. Elle a 59 ans et son mari est sur le point de la quitter, non par amour pour une autre mais parce qu'il veut, une dernière fois, s'amuser et ...
http://doucettement.over-blog.com/2016/03/l-interet-de-l-enfant-de-ian-mcewan.html