Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il était temps que je me décide à emprunter le titre emblématique d'Alessandro Baricco, qui l'a propulsé sur le devant de la scène littéraire et vous savez quoi et bien je l'avais déjà lu lors de sa sortie... il y a à peu près 20 ans !
Comme quoi, la mémoire nous joue parfois des tours, car je n'en avais aucun souvenir précis.
Dès les premières lignes, une fois entrée dans l'ambiance, toute l'histoire m'est revenue d'un seul coup et le relire a donc été un double plaisir !
On était en 1861. Flaubert finissait Salammbô, l’éclairage électrique n’était encore qu’une hypothèse et Abraham Lincoln, de l’autre côté de l’Océan, livrait une guerre dont il ne verrait pas la fin. Les sériciculteurs de Lavilledieu se mirent en société et rassemblèrent la somme, considérable, nécessaire à l’expédition. Il parut à tous logique de la confier à Hervé Joncour.
Hervé Joncour est un sériciculteur sérieux et passionné par son métier.
En 1860, les élevages de vers à soie sont en péril, suite à une épidémie inconnue, qui touche les oeufs.
Pour sauver les entreprises de son village de Lavilledieu (en Ardèche), et trouver des oeufs sains, il se voit contraint, pour ne pas décevoir les habitants qui lui font confiance, de partir au bout du monde, toujours tout droit, c'est-à-dire, au Japon ce qui n'était pas une mince affaire en ce temps-là. Il ira quatre fois, quatre expéditions mémorables !
Mais là-bas, outre les différences culturelles, auxquelles il lui faut faire face, son regard croise celui d'une jeune femme mystérieuse et envoûtante...
Sa vie monotone et ennuyeuse jusque-là, bascule : il est pourtant marié et aime Hélène, sa femme, de tout son coeur.
Notre héros, jusque-là spectateur de sa vie, va vivre des moments chargés d'émotions dans la plus parfaite indifférence apparente.
Toute sa vie se déroule sous nos yeux, en quelques pages impossibles à raconter tant elles sont étranges, jusqu'au final que je ne peux vous dévoiler.
A acheter et vendre des vers à soie, Hervé Joncour gagnait chaque année une somme suffisante pour assurer à sa femme et à lui-même ce confort qu'en province on tendrait à nommer luxe. Il jouissait avec discrétion de ses biens, et la perspective, vraisemblable, de devenir réellement riche, le laissait tout à fait indifférent. C'était au reste un de ces hommes qui aiment assister à leur propre vie, considérant comme déplacée toute ambition de la vivre. On aura remarqué que ceux-là contemplent leur destin à la façon dont la plupart des autres contemplent une journée de pluie.
Est-ce un roman ou un conte ?
Est-ce de la poésie ou une partition de musique ?
Est-ce une ambiance ?
C'est tout cela à la fois...
C'est un roman bref mais intense, doux, pudique et sensuel comme la soie, écrit dans un style limpide, mais minimaliste, sans fioritures inutiles.
Les quatre longs voyages sont racontés en une-demi page, toujours identiques d'année en année, et répétitifs comme le refrain d'une chanson.
Ce roman est une belle histoire d'amour au XIXe siècle ou plutôt une histoire sur l'amour : celui dont on rêve et qu'on recherche toute notre vie, celui qu'on a reçu ou perdu à jamais, celui qu'on reçoit...si on sait voir qu'il est près de nous.
Cet amour est aussi fragile que ces oeufs de vers à soie, qu'il faut mettre au chaud et protéger tant ils sont vulnérables, nourrir au bon moment avec patience et attention, et libérer comme le papillon qui sort de sa chrysalide, pour avoir le plus doux des cadeaux, ce qui reste après tout ce travail quotidien... le doux cocon de soie.
Même en le dégustant, ce court roman se lit d'une traite en une soirée et quand on referme la dernière page, on regrette que ce soit déjà fini.
Mais l'essentiel, comme toujours avec Baricco, est dans ce qui n'est pas dit et que chacun interprétera à sa façon...
- Tu étais mort.
Dit-elle.
- Et il n'y avait plus rien de beau, au monde.
Parfois, les jours de vent, Hervé Joncour descendait jusqu'au lac et passait des heures à le regarder, parce qu'il semblait voir, dessiné sur l'eau, le spectacle léger, et inexplicable, qu'avait été sa vie.