Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
L'oiseau l'avait suivi jusqu'à l'hospice. Il remplissait le ciel de ses ailes déployées et il riait en tournoyant au-dessus de lui. Du fond de son panier qui se balançait à droite, à gauche, Séraphin voyait tout, entendait les sons les plus lointains. "Elle va revenir", lui avait dit l'oiseau soyeux en levant ses plumes au détour du vent ; elle était partie devant et, quand elle aurait trouvé l'endroit, elle le ferait chercher. L'oiseau savait où le trouver.
"Elle va revenir", murmura-t-il, la tête tournée vers le ciel.
Connaissez-vous "la prison de la Petite-Roquette", cette prison parisienne initialement conçue pour recevoir des femmes et qui, de 1836 à 1932 n'a été utilisée que pour incarcérer des enfants de 7 à 21 ans...avant de devenir une prison pour femmes où 4 000 résistantes furent enfermées pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Moi je n'en avais jamais entendu parlé ou bien, je l'avoue... je l'avais oublié.
Au départ, les enfants enfermés dans cette prison ont eu durant une partie de la journée une vie commune, mais dès 1838, la mode qui vient d'Amérique est à l'isolement, afin d'éviter la "corruption mutuelle" mais aussi les épidémies vues les conditions déplorables de vie.
Les enfants enfermés là, pouvaient avoir commis des crimes graves, de simples vols à l'étalage, ou être des enfants des rues, orphelins ou abandonnés, ou même encore des enfants placés au titre de la "correction paternelle" sur simple demande de leurs pères. Ils pouvaient y rester de 1 à plus de 6 mois consécutifs...
Il a rangé sa couche, il a balayé le sol, chaussé ses sabots et maintenant, debout devant la porte, il attend. Il attend qu'un surveillant vienne et entrouvre le guichet, il attend devant une porte close, parce qu'on n'ouvre plus les portes si ce n'est un quart d'heure pour se laver dans la cour, à un moment où personne ne peut le voir et où il ne peut voir personne.
Il attend dans le silence.
Nous sommes en 1838, lorsque Jacques, à 11 ans, est arrêté en plein carnaval et incarcéré à la demande de son père à la Petite-Roquette.
Terrifié, espérant sans relâche la venue de sa mère pour le "sauver", Jacques doit se rendre à l'évidence : il n'aurait jamais dû descendre de la voiture et marcher au milieu des saltimbanques, ivre d'aller en liberté dans la foule, affolant sa mère enceinte...
Il va faire connaissance avec Narcisse, plus âgé que lui et qui a déjà une longue expérience de la vie, puisqu'il a été arrêté pendant la révolution de juillet, Séraphin, le plus jeune enfant trouvé qui attend sa mère et reste persuadé qu'elle viendra le chercher car l'oiseau le lui a dit un jour, Octave qui n'a plus de dents malgré son jeune âge et attend qu'un père adoptif vienne le chercher (mais celui-ci attend que l'administration lui en donne l'autorisation) et Charles qui déclame toute la journée des vers de Victor Hugo en prétendant être son fils....
Mais très vite les enfants vont être séparés et confinés dans leurs cellules où ils recevront tout de même quelques enseignements de base et de quoi occuper leur mains.
La solitude est trop forte et les enfants y perdent ce qui leur restait de joie et d'envie de vivre...ils n'ont plus que leurs rêves pour survivre et rester libres chacun à leur manière, de traverser les murailles pour s'envoler au delà des murs...
On ne lui vole plus son pain, mais c'est pire qu'avant.
Assis par terre les jambes écartés, Séraphin ne joue plus. Le caillou qu'il a ramassé hier dans la cour, il le tient bien serré dans son poing. Il n'a pas faim de pain, il a faim de Charles, et de Jacques, et cette seule pensée le fait hoqueter plus fort...
Il est petit alors on l'oublie.
Avec en toile de fond la vie parisienne au temps de la Monarchie de Juillet, où se mêlent misère, maladies et révoltes, l'auteur retrace avec beaucoup d'humanité la vie de ces enfants délaissés par la société du XIXème siècle.
La place de l'enfant dans la société de l'époque est bien différente de celle qu'il détient aujourd'hui. On est bien loin des droits de l'enfant et la violence au début du roman peut choquer, autant celle des surveillants qui sont d'une cruauté incroyable envers les enfants, que celle des enfants entre eux.
Seul l'abbé Crozes, en véritable humaniste tente d'alléger leur solitude et se bat contre le directeur et les surveillants pour modifier les conditions de cet enfermement.
Le contraste est frappant entre le récit de la vie quotidienne de ces enfants et les rapports officiels, rédigés par les préfets, inspecteurs et autres instances administratives qui étayent le roman.
"Nous avons été émerveillés de l'activité, de l'ordre et de l'intelligence qui règnent partout.
Sans parti pris, entrez dans chaque cellule et voyez ces yeux clairs, cet air calme et résigné. Voyez comme tout est rangé, comme tout est propre : l'établi, les outils, le lit, la chaise, les livres, les cahiers d'écriture...
Interrogez le médecin : il vous dira que leur santé à tous est meilleure que dans la vie libre.
..."
M. Moreau-Christophe
Inspecteur général des prisons du royaume
Même si par moment, au début de ma lecture, je me suis un peu perdue dans les personnages, l'auteur passant sans prévenir de l'un à l'autre, sautant d'un événement présent au passé, ce roman est facile à lire et à comprendre.
Il nous offre de nombreux passages emplis de poésie...qui arrivent à nous faire voir l'incarcération avec les yeux des enfants, ce qui allège sa lecture mais ne nous fait pas oublier pour autant la violence quotidienne.
Un livre qui ne peut nous laisser indifférent, surtout lorsque l'on songe que ces enfants des rues, ces orphelins, ces petits voleurs du siècle dernier ou de la fin du XIXème, qui devaient vivre au jour le jour dans la ville comme ils le pouvaient, ont été rayés définitivement de l'Histoire, les archives de la prison ayant été détruites lors de la démolition des bâtiments en 1974, sur l'emplacement desquels se dresse aujourd'hui une barre HLM.
Ce beau roman leur rend hommage et nous invite à ne pas les oublier....