Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Sylvie trentenaire au chômage, voudrait trouver du travail dans sa branche, l'écriture, ce qui bien sûr n'a rien d'évident. Elle fait donc des piges, de temps en temps quand on le lui demande, tout en écrivant son premier roman.
En attendant des jours meilleurs, elle habite un petit studio mal chauffé, dans un quartier de Lyon, et tente de survivre avec son Allocation de solidarité spécifique (ASS).
Mais voilà qu'un bug administratif lui coupe les vivres.
Comment vivre décemment quand il ne reste même pas 40 € en poche pour finir le mois ?
Comment garder ses amis et sa dignité ?
Sylvie se retrouve très isolée et cache sa situation même à sa famille.
Inutile que je vous décrive les multiples combines pour avoir un repas gratuit, les CV et petites annonces déposées un peu partout, les pâtes qui font l'essentiel des repas, les livres et autres objets vendus d'occasion, même ceux auxquels on tient particulièrement ou dont on a besoin...
Et encore elle a de la chance, elle a la santé !
L'important dans ce roman, ce ne sont pas les détails donnés autour de sa situation : nous sommes tous conscients de ce qu'est la pauvreté et des ravages qu'elle fait autour de nous. Nous savons aussi les méfaits de la déprime et de la dépréciation de soi...ou alors c'est que, nous et notre entourage, avons eu beaucoup de chance dans notre vie.
Ou bien que nous sommes aveugles...
Bref cette jeune femme ne s'en sort pas.
Elle a pourtant fait des études, elle est intelligente, elle veut bien faire des piges ou bien même n'importe quel boulot, mais elle se heurte aux a-prioris de la société et au cercle vicieux de l'échec.
Heureusement, Bertrande, une vieille dame adorable et généreuse, offre des repas en échange d'un service, pour donner l'impression que c'est elle qui est redevable de quelque chose.
Et puis il y a tout de même la famille et quelques rares amis...
Ce que j'en pense
Ce qui fait l'intérêt de ce roman, c'est le ton employé par l'auteur. Une sorte d'humour (noir) mais en tous les cas décapant, qui nous fait vivre de l'intérieur les pensées de Sylvie...
Le roman est étayé de nombreux dialogues imaginaires, d'énumérations de toutes sortes, de digressions sous forme de contes...mais aussi de tableaux de comptes !
La mise en page du texte et la typographie offrent un moment ludique qui allège les propos.
Les personnages réels ou imaginaires qui entourent Sylvie, sont eux aussi tout à fait plaisants et ajoutent à l'ambiance particulière du roman.
Il y a bien sûr Lorchus, le fameux diable plutôt lubrique qui interromp régulièrement la narration ; Hector, qui intervient aussi très fréquemment car il trouve qu'on ne parle pas assez de lui dans le roman : il veut absolument choisir sa typographie et sa police de caractère ; la mère de Sylvie, elle aussi, n'est pas en reste car elle a toujours un conseil à donner à sa fille... Sylvie ne peut pas s'empêcher de dialoguer en imagination avec elle. Pour cela elle invente de nouveaux mots qui, chaque fois, nous indiquent clairement l'état d'esprit de sa mère (elle ne s'exclame pas, mais s'exclamaugrée...par exemple !).
L'auteur elle-même n'hésite pas à interpeller le lecteur.
Même les objets ont la parole pour parlementer et obtenir le droit de ne pas être vendus...
Tous les drames de notre société sont abordés mais sous un point de vue très critique et avec une lucidité remarquable.
J'ai trouvé quelques longueurs dans certaines énumérations et digressions car elles ne sont pas toutes drôles. J'ai préféré de loin le "conte du mange-consonnes" aux élucubrations érotiques du diable qui m'ont pourtant fait sourire malgré moi !
Voilà... c'est donc un roman qui est très noir et qui ne se termine pas non plus sur une note très positive.
Mais la manière dont l'auteur traite le sujet est tout à fait spéciale et c'est ce qui m'a permis de le lire jusqu'au bout, car finalement je garde un avis mitigé sur ce roman.
D'une part, des passages importants et des propos très actuels, doublés d'une critique de notre société qui fait si peu de cas des êtres humains en situation précaire, car même si des aides existent, elles sont trop lointaines et ne répondent pas toujours aux besoins vitaux immédiats.
Des réflexions réalistes et intelligentes de Sylvie sur le harcèlement au travail, la peur de l'autre qui entraine, intolérance et violence, sur la difficulté de vivre avec si peu d'argent, sur la honte qui en découle quand on doit quémander des repas gratuits, fouiller dans les poubelles ou vendre des biens.
Mais d'autre part, l'imagination débordante de l'auteur qui fait partir l'histoire dans tous les sens pour être drôle, m'a fait décrocher maintes fois, car cela nuit terriblement à la fluidité du récit, tout en compensant le côté négatif car il y a des bons moments, des moments même où j'ai souri.
Je ne sais pas si je m'explique bien...le sujet est grave mais la forme nous fait aborder ces problèmes avec davantage de légèreté et le trop de légèreté peut paraître lassant (en tous les cas cela a été mon cas).
J'ai par contre beaucoup aimé les passages où Sophie parle de sa fratrie et de ses souvenirs d'enfance, des fêtes de famille, de la tendresse partagée, de la vie chaleureuse qu'elle a vécue, entourée par les siens.
D'ailleurs, les quelques jours qu'elle passe à Sullac pour le baptême de son neveu, sont un véritable bain de jouvence pour elle et une cure de remise en forme assurée, avant de retrouver ses soucis mais aussi d'y voir plus clair dans sa situation...
Dans la postface, Sophie Divry écrit : "Ce roman raconte une histoire : la recherche d’emploi d’une jeune précaire. Sans prétendre dresser un tableau objectif du chômage, je voulais que ce livre reflète quelque chose de nos misères contemporaines, quelque chose à la fois de prosaïque et d’urgent, du ressort de la nécessité économique. Mais sans pour autant faire un document sur la misère, ni un manifeste."
Donc, je sais que ce n'est pas très sympa de ma part...mais je vous laisse seuls juges ! D'ailleurs, sur le net, les avis sont mitigés.
Un autre avis sur le blog de Yv, pour qui c'est un coup de coeur !