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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Angèle Vannier, la poétesse "celte et aveugle"

La première biographie d'Angèle Vannier paraît demain, 16 mars 2016, aux Editions Cristel

La première biographie d'Angèle Vannier paraît demain, 16 mars 2016, aux Editions Cristel

Je suis née de la mer et ne le savais plus

Trop de pavots avaient maculé mes pieds nus

Les soirs où les bergers m'appelaient dans la ronde

Pour passer le furet de ma main dans leurs mains

Furet des bois jolis furet des vieux jardins.

 

Je suis née de la mer et ne le savais plus

Trop de chênes avaient appris à mon corps nu

Cette haute caresse où l'écorce connaît

La façon d'arracher aux jeunes filles blondes 

Des gouttes de bonheur de quelque sainte plaie.

 

Je suis née de la mer et ne le savais plus

Trop de bêtes avaient partagé mon cœur nû

Dans les hautes futaies habitées par la lune

Trop de sangliers forts à renifler l'oronge

Trop de biches mes sœurs effrayées par leurs songes

Trop de martins-pêcheurs gonflés d'humides chants

Délivrés par leurs becs en baisers trop savants.

 

Je suis née de la mer et ne le savais plus

Mais l'homme au bras marin me parla de l'écume

Et l'humus des forêts fut le sable des dunes

Et les bergers laissant leurs troupeaux de moutons

Au premier loup venu gardèrent des poissons

Le nez du sanglier fouilla le goémon

La biche apprivoisa chaque lame de fond

Et les désirs des fûts chantèrent un navire

Que les oiseaux pêcheurs voilèrent sans rien dire

De leurs ailes tendues à des ciels inconnus.

 

Je suis née de la mer et ne l'ai reconnu

Qu'au bras de mon amour et ne l'oublierai plus.

 

"Je suis née de la mer" Angèle Vannier

Je n'ai pas fait exprès de vous présenter des poètes extraordinaires mais peu connus. 

J'ai simplement choisi dans la liste publiées sur le site du Printemps des Poètes ceux que je ne connaissais pas... et voilà le résultat !

Je continuerai mes investigations encore pendant quelques jours  !

 

Certains poètes ont eu une vie difficile mais ils se sont servis des difficultés de leur vie pour nous parler avec leurs mots et nous émouvoir...

 

 

 

 

Angèle Vannier, dont vous trouverez  une biographie complète sur le site, francopolis, consacré aux poètes et à la poésie francophone, est une poétesse, née en 1917 à Saint-Servan et morte en 1980 à Bazouge-la-Pérouse.

 

Elle passe une enfance heureuse dans un milieu essentiellement féminin. Sa mère la confie en effet à la grand-mère alors qu'elle n'est qu'un bébé de 8 mois. Elle y est choyée comme une reine. 

Pour mieux la nourrir puisque c'est la fin de la Première Guerre mondiale ?  Parce que la mère ne pouvait plus s'en occuper ? Angèle ne saura jamais pourquoi...

 

Elle est élevée par sa grand-mère qui vit dans la demeure familiale, "Le Châtelet" à Bazouges-la-Pérouse, avec sa belle-soeur : toutes deux sont veuves. Avec elles vivent deux autres femmes, la tante d'Angèle (fille de la grand-mère), très pieuse, et Amélie, la servante. 

Angèle vivra au milieu de ces quatre femmes jusqu'à l'âge de 8 ans. Amélie la berce d'histoires et de légendes...

Elle retrouvera ensuite ses parents à Rennes où elle sera scolarisée. Mais elle reviendra chaque été chez sa grand-mère où elle retrouve avec joie son amie Anne.

Alors qu'elle est étudiante en pharmacie, Angèle devient subitement aveugle suite à un glaucome : elle a 21 ans.

Elle décide alors de retourner vivre dans la maison de sa grand-mère. Là-bas, alors que sa grand-mère et la belle-soeur sont morte, elle passera un an auprès de sa tante et d'Amélie, la servante de son enfance, pour apprivoiser le monde nouveau dans lequel elle est obligée de vivre à présent. 

 

S’ils venaient du bout du monde
Avec leurs petits couteaux
Dont la pointe est sans défaut
Pour tuer mes yeux nouveaux
……….
Je lâcherais mes bons chiens
Sur leurs gueules d’assassins
Et m’endormirais tranquille
Aux plis de ma bonne ville.

 

Là-bas, puisqu'elle ne peut plus écrire, Angèle Vannier dicte ses poèmes et elle passe le reste de son temps à marcher dans la forêt, retrouvant peu à peu goût à la vie.

 

Son amie vient lui lire des poèmes se trouvant dans la revue "Le goéland" à laquelle elle est abonnée. Elle y découvre ceux de Théophile Briant. Elle envoie à la revue ses propres poèmes qui seront publiés et elle reçoit même le prix de poésie.

C'est Théophile Briant qui va préfacer son premier recueil de poèmes "Les songes de la lumière et de la brume" (1946) et la faire connaître. 

 

Angèle veut vivre comme tout le monde, sans apprendre le braille et sans sa canne blanche et, elle voit ça comme un défi. 

Mais elle a peur de ne pas connaître l'amour et de ne pas être aimée. 

Ah ! comment voulez-vous qu’on s’aime
Sans se regarder dans les yeux ?

Elle retourne à Rennes, fréquente la faculté des Lettres, anime des émissions sur Radio-Rennes avec Pierre-Jaquez Helias. 

 

En 1947, elle part à Paris, seule, bien décidée à vivre et à rencontrer d'autres poètes.

Elle rejoint le cercle des poètes de Saint Germain-des-prés. Elle se rend chez Lipp (la brasserie bien connue) et y rencontre  Germaine Beaumont, Charles le Quintrec, Luc Bérimont et Maurice Fombeure....et bien d'autrs personnalités de l'époque. 

Elle écrit des chansons et des poèmes et fait la connaissance d'Edith Piaf : toutes deux deviennent amies.

 

En 1955, Angèle écrit pour Edith Piaf "Le chevalier de Paris" qui sera mis en musique par Philippe Gérard et obtiendra le premier prix de la chanson française, puis fera le tour du monde en plusieurs langues et donnera lieu à de nombreuses reprises.

Elle va aussi rencontrer Paul Eluard et, avec lui,  le surréalisme qui marquera son oeuvre. Il va d'ailleurs préfacer ainsi (voir ci-dessous) son second recueil de poèmes "L'arbre à feu" (1950)

 

Le soleil et l’azur, les fleurs, les fruits, les blés,
le visage des hommes, leur rêve et leur effort, leur amour et leur peine,
la lente convulsion des mers et la rouille des continents,
Angèle Vannier, aveugle, préserve tout de l’ombre. Merveilleusement.

Paul Eluard dans la préface de "L'arbre à feu"

En 1973, alors qu'elle a 56 ans, elle retourne s'installer dans son village d'enfance et crée le spectacle "La vie toute entière" avec le harpiste Myrdhin.

Ce harpiste hors-norme, qui sait interpréter le répertoire traditionnel et créer des compositions personnelles, l'accompagnera dans  ses tournées à travers l'Europe.

 

DE MA VIE
De ma vie je n’ai jamais vu
Plus beau visage que sa voix
Ses yeux portent l’âme des eaux
Blessées à mort depuis des siècles
Par le silence des grands bois
Son front descend de la lumière
Comme l’Égypte du mystère
Et sa bouche a juste le poids
Le poids terrible du bonheur
Que pouvait supporter mon cœur.

Angèle Vannier Extrait, Poèmes choisis 1947-1978, Rougerie, 1990

 

Elle nous laisse une oeuvre poétique magnifique où il est question du mystère des êtres et des choses...des êtres que ses yeux ne pouvaient pas voir mais qu'elle-même, poétesse aveugle, voyaient par delà la cécité et que nous, clair-voyants ne savons plus reconnaître. 

 

Dans ses poèmes, elle met en scène ses souvenirs d'enfance dans la grande demeure où Amélie, la servante, lui racontait des histoires de loups, de sorcières et de princesses et où la grand-mère, lui chantait des comptines. Elle parle aussi de sa tante très croyante qui faisait vivre la maisonnée dans une atmosphère étouffante. 

 

Son oeuvre a su évoluer au cours de sa vie : elle s'est libèrée et a su créer un monde de sensations, d'odeurs de couleurs...elle qui n'y voyait plus, un monde de mystère pas toujours facile à comprendre fait de ruptures de ton, de mots juxtaposés dans lesquels, elle fait de nombreuses références à la Bretagne, à ses mythes, à la nuit, aux mystères, à la couleur bleue (de la mer ? ou de la nuit ?) 

 

 

Mes yeux fondirent dans ma bouche
Je pris la nuit comme un bateau la mer

"Le sang des nuits"

Bibliographie [source wikipedia]

 

- Les Songes de la lumière et de la brume, Éditions Savel, préface de Théophile Briant, 1947

- L'Arbre à feu, Éditions Le Goéland, préface de Paul Éluard, 1950

- Avec la permission de Dieu, Seghers, 1953

- À Hauteur d'ange, La maison du poète, 1955

- Choix de poèmes, Seghers, 1961

- Le Sang des nuits, Seghers, postface d'André Guimbretière, 1966,

- La Nuit ardente, Flammarion, 1969 (roman autobiographique)

- Théâtre blanc, Rougerie, 1970

- Le Rouge cloître, Rougerie, 1972

- L'Âtre utérin, revue Clivages no 2, 1974

- Profil de l'énigme ou Femme pluriel, revue Nard no 6, 1975

- Ordination de la mémoire", Rougerie, 1976

- Poésie verticale I, Éditions Roche sauve, 1976

- Poésie verticale II, Éditions Roche sauve, 1977

- L'Écharpe rouge et les chiens bleus, revue l'Immédiate no 10, 1977

- Otage de la nuit (essai) suivi de Parcours de la nuit (poèmes), Éditions Librairie bleue, 1978.

- Brocéliande que veux-tu?, Rougerie, 1978

- Dites-moi vous, Juan, revue Europe, 1981, réédité en 2012, Éditions La part Commune

- Poèmes choisis, anthologie 1947-1978, Rougerie, 1990

Femmes abandonnées n'attendez pas de moi
Que j'ajoute une larme et ma charge de froid
Au puits déjà trop plein dont vous êtes la source
Et vers lequel à l'heure où les enfants partagent
Leur croissant du matin avec l'ange du soir
Monte griffes rentrées la femelle du loup
Du loup qui court le guilledou.
"Il est sage qu'on marche à pattes de velours
Lorsqu'on cherche à laper quelque relent d'amour"...

Extrait de Poèmes choisis, anthologie 1947-1978, Rougerie 1990

L'Association "La voix est libre" propose dans ses stages d'apprentissage des lectures de poèmes d'Angèle Vannier afin de "faire un tour dans le jardin des autres", stages qui s'adressent aux amateurs et aux professionnels du monde du spectacle...

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L
Bravo et fée-licitations pour cette présentation
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M
Merci pour votre visite...Bon week-end
M
Merci Manou pour cette très belle découverte
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M
Merci à toi d'être venue ici pour la découvrir...
N
Un grand merci à toi, Manou, de nous faire revivre ces poètes oubliés ou méconnus. Elle était "grande et belle" cette poétesse. Une magnifique journée ensoleillée pour toi.
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M
Merci Nell, au moins toi tu apprécies la poésie...Belle après-midi à toi ! En Provence pour une fois c'est grand soleil et un peu de vent :)