Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Nous sommes en 1972.
Nathalie, l'héroine de ce roman est une toute jeune adolescente...Elle n'a que 12 ans.
Elle vient de passer trois longues années enfermées dans une prison particulière : un corset... censé la guérir d'une mystérieuse maladie.
Mais il y a eu erreur de diagnostic et c'est finalement grâce à sa grand-mère et à son médecin anglais qu'elle sera opérée d'une tumeur à l'os iliaque. Elle va suivre ensuite une rééducation de plusieurs mois et retrouver, enfin, en même temps que sa santé, sa liberté.
Pendant ces trois longues années où elle est restée clouée sur son lit ou dans un fauteuil, chez elle ou à l'hôpital, elle a développé un goût exagéré pour la lecture...elle a appris par coeur des textes classiques et en particulier des textes de théâtre.
Sa maladie n'a pas vraiment changé la vie de ses parents, ni de sa famille. Le père, futur académicien multiplie les conquêtes féminines et les dîners mondains. La mère prend son psy pour amant. La soeur aînée est une photographe connue. Elle est mariée et ne pense qu'à sa carrière à New York. Quant au grand frère...il ne pense qu'à s'amuser avec ses copains, multiplier les conquêtes ou bien, à ses études de droit : il deviendra bientôt un grand avocat, il en est sûr...et personne dans la famille ne doute de lui.
Comment s'en sortir à l'adolescence quand on a une famille si connue ?
Comment se construire dans l'indifférence générale, voire le dénigrement permanent, comme c'est le plus souvent le cas pour Nathalie ?
Un soir d'été, alors qu'elle est en vacances en famille dans le petit village Corse qu'elle aime tant, mais où elle s'ennuie, Nathalie fait la connaissance de Pierre, un comédien connu, membre de la Comédie française.
Il s'intéresse à la jeune fille, lui pose des questions sur son avenir. Elle lui avoue son désir de faire du théâtre, il la conseille...
Dès lors cette rencontre va changer définitivement sa vie.
Elle va tout faire pour se rendre à Ajaccio où il joue justement au théâtre...et surtout pour le revoir.
Elle ne connaît rien à l'amour ni au sexe : elle découvre à peine son corps de jeune fille qui est resté prisonnier de son carcan de plâtre.
Mais elle va littéralement traquer Pierre sans relâche, assister à ses représentations, le visiter dans sa loge, même s'il faut qu'elle y rencontre cette Ludivine qui est toujours auprès de lui et dont elle est affreusement jalouse.
Puis, le jour de ses 13 ans, elle décide de s'offrir à lui. Il ne résiste pas...c'est là le problème !
Ses parents ne s'occupent pas d'elle : ils exigent tout simplement que le bulletin scolaire soit correct. Ils sortent souvent et la laissent seule à la maison. Elle fait le mur pour le rejoindre, aidée par sa nouvelle amie, Isabelle.
En parallèle de la découverte de l'amour, commence aussi pour elle, celle du théâtre. Elle obtient l'autorisation de ses parents de prendre des cours chez Abricot, une voisine d'Isabelle.
Puis elle entre dans le prestigieux cours de Jean Perimony.
Alors qu'elle a à peine 15 ans, elle joue aux côtés de Roger Hanin, puis avec Jean Le poulain, et enfin l'année suivante elle réussit l'entrée au Conservatoire de la Rue Blanche (aujourd'hui appelé "École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre"). Elle a 16 ans à peine...
Enfin reconnue par ses parents qui sont surpris de sa réussite et de son talent, elle épate aussi celui pour lequel elle avait, au début, fait tout ça, Pierre.
Mais elle n'hésitera pas une seconde à le laisser tomber, alors que lui est prêt désormais à vivre leur relation au grand jour.
Elle a tout simplement grandi. Elle sait désormais que la passion ce n'est pas la même chose que l'amour...et que celui-ci doit être partagé.
Elle veut se consacrer totalement à sa deuxième passion, le théâtre.
La Place Colette, tous les Parisiens savent bien la situer dans Paris ! Pour les autres, il faut juste savoir que sur cette place se trouve, l'imposant bâtiment de la célèbre "Comédie Française", et que cette place a été baptisée en 1966, en hommage à l'écrivaine française, Colette...
Ce n'est donc pas surprenant que l'auteur ait choisi ce titre pour célébrer une double passion, celle d'un comédien de la Comédie Française et celle du théâtre.
Nathalie Rheims nous livre ici un roman initiatique, sans doute en partie autobiographique, dans lequel, elle décrit la première passion amoureuse d'une jeune fille qui n'a pas encore 13 ans (elle ?), pour un comédien de la Comédie Française qui a 30 ans de plus qu'elle.
Elle nous décrit aussi ses premiers pas de comédienne.
Les deux découvertes se confondent...
C'est un roman très bien écrit, avec beaucoup de sensibilité et toute une palette d'émotions.
Il est vrai que cette relation amoureuse et sexuelle peut paraitre choquante, voire invraisemblable, car la différence d'âge entre la jeune fille et ce comédien est de 30 ans et de plus, Nathalie est mineure. Certains passages sont très crus et donneraient presque raison aux critiques.
Mais le fait est, qu'elle est amoureuse. Elle se moque complètement de son âge (le sien et celui de Pierre). Elle le veut et, le soir de ses 13 ans, elle s'offre à lui en cadeau d'anniversaire. C'est à cet instant que tout bascule.
Car en fait notre jugement est faussé. Le lecteur est obligé à un moment donné d'entrer dans l'histoire et d'oublier les a priori culturels de notre société moderne.
L'histoire est racontée avec tellement de naturel, de simplicité et avec la maturité d'une adolescente plus âgée que cela change notre regard sur l'histoire.
De plus, c'est un roman qui sonne juste à chaque page et où l'auteur se remet dans la peau de l'adolescente qu'elle était. Elle se livre sans pudeur, et nous décrit cette passion avec ses mots.
Il ne faut pas oublier qu'au sortir de cette maladie terrible qui l'a clouée au lit pendant trois années consécutives et qui lui a laissé une vision fausse de son corps, elle ne sait plus ni qui elle est, ni ce qu'elle veut faire de sa vie. Elle est mal dans sa peau et n'ose plus sortir tant elle se trouve laide, quelconque et sans intérêt. Et aucun membre de sa famille et de son entourage ne l'aide à se sentir mieux.
C'est un élan sincère et un désir de vivre incommensurable qu'elle nous décrit avant tout, avec son regard d'adolescente, une adolescente différente des autres jeunes filles de son âge, que la maladie a rendu plus mûre, et qui n'hésite pas à porter un regard acéré et sans aucune indulgence sur ce milieu bourgeois et superficiel qui est le sien (mais dont elle profite cependant).
Elle sait aussi décrire avec justesse ses terribles moments de solitude et de doute où personne ne s'occupe d'elle.
Dans cette famille trop connue et qui ne pense qu'à sa réussite sociale (et au sexe même si c'est de façon mondaine...) elle n'a que les livres et en particulier le théâtre pour lui tenir compagnie.
Sans faire de la psychologie de pacotille, il parait évident que Nathalie recherche ce qu'elle n'a pas connu chez elle : de l'intérêt, de la confiance, des conseils avisés, ou tout simplement une écoute et peut-être le regard d'un père.
Pierre la voit comme une jeune femme en devenir et par son regard d'homme adulte, la transforme.
Donc dans ce roman, point de détournement de mineure, ni non plus de pédophilie, ou autres appellations dont l'ont affublé certaines critiques...
Ici on ne parle que d'amour !
Et le comédien à défaut de lui apporter l'amour qu'elle lui demande et qu'il est plus que réticent à donner, lui donnera celui du théâtre.
Le roman commence par ces mots :
"Je savais, depuis longtemps, par où cela devait commencer, mais j'ignorais quand viendrait le moment d'écrire ce chapitre de ma vie."
Il reste donc au lecteur, en refermant ce livre, de nombreuses interrogations...
Quelle est la part de fiction et d'autobiographie dans ce roman ?
Quelle est la part de réalité et de fantasme dans le récit ?
Est-ce tout simplement une forme d'hommage à cet homme qu'elle a aimé et qui n'est plus de ce monde ?
Enfin, est-ce pour se souvenir de l'adolescente (réelle ou fantasmée) qu'elle a été, que l'auteure a écrit ce roman ?
C'est de toute façon une manière de rappeler que les passions adolescentes sont parfois précoces et ravageuses mais non moins sincères.
Il ne s'agit pas pour autant de donner crédit aux pédophiles qui trouveraient ici prétexte à leurs crimes, car pour moi, ce roman n'a rien à voir...