Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Étienne est photographe de guerre. Son métier l'a amené à se rendre dans un pays en guerre dont on ne connaîtra pas le nom, en plein coeur de l'horreur.
Là, il a été enlevé et pris comme otage.
Après plusieurs mois de captivité et d'humiliation, il est enfin libéré.
Pourquoi lui ?
En échange de quoi ?
Il aimerait bien le savoir et se soucie aussi du sort de ceux qui au début de sa captivité, étaient otages comme lui.
Dans l'avion qui le ramène vers la France, ses sentiments sont contradictoires, un mélange de peur, de joie violente, de culpabilité et de doute...
Depuis sa libération, il est revenu s'installer dans son village natal. Il a retrouvé Irène, sa mère qui l'a attendu tout ce temps, lui son fils, son unique amour. Il rejoint aussi ses amis de toujours, Jonas, resté au village pour travailler le bois, puis Jofranka, qui est devenue avocate à la cour pénale internationale de La Haye et soutient les femmes en exil, maltraitées elles aussi par les guerres.
Mais Etienne n'est plus le même. Il se sent seul et incapable de raconter. Ses souvenirs envahissent son quotidien.
Il y a d'abord les souvenirs de son enfance, les moments de bonheur bien sûr passés auprès de sa mère et de ses camarades mais aussi, la disparition de son père, les trahisons de l'adolescence et sa fuite...
Il y a aussi sa vie avec Emma, sa dernière compagne qui ne supportait plus ses départs, d'être dans l'attente de son retour, de ne plus vivre...
Et puis les souvenirs de sa captivité l'obsèdent, comme le regard de cette femme qui tentait de sauver les siens et qu'il n'a pas eu le temps de prendre en photo pour la montrer au monde entier comme il savait si bien le faire. C'est parce qu'il s'est arrêté au milieu de la rue pour la regarder et qu'il n'a pas fui comme les autres, qu'il a été enlevé.
Mais elle, qu'est-elle devenue ? A-t-elle réussi à s'enfuir ? A-t-elle pu sauver les siens ? Est-elle morte aujourd'hui ?
Toutes les images qu'il a ou pas photographié, se mêlent dans sa tête jusqu'à l'étouffer...
Il est libre à présent mais reste prisonnier et otage de la guerre et de sa captivité.
D'avoir approché lui-même si près de la mort, d'avoir vu toutes ces horreurs, d'avoir voulu témoigner de la violence de guerre, amène Etienne à s'interroger sur ce qu'il est vraiment.
Il comprendra pourquoi il a choisi ce métier qui n'est pas sans risque, pourquoi il n'a pas pu rester avec Emma qui ne supportait pas ses abscences...
J'ai toujours beaucoup aimé les ouvrages de Jeanne Benameur à destination de la jeunesse dont vous pourrez consulter la liste sur le site de Ricochet.
Je dois avouer que c'est la première fois que je lis un de ses livres à destination des adultes.
J'y ai retrouvé la profondeur, la puissance des mots et la poésie de son écriture.
C'est un roman difficile à oublier... Il faut le lire absolument !
D'ailleurs j'ai du mal à en démarrer un autre. C'est dire...moi qui suit plutôt du style boulimique côté lecture :)
Quelques extraits parmi tant d'autres
"Son pas aura désormais cette fragilité de qui sait au plus profond du coeur qu'en donnant la vie à un être on l'a voué à la mort (...) Parce qu'il y a dans le premier cri de chaque enfant deux promesses conjointes : je vis et je mourrai" (p. 60)
"Etienne écrit ce matin-là dans un carnet Aucune nuit ne parviendra à me soulager de la fatigue sans fin de ceux que j'ai vu essayer de survivre". (p.66)
"Sous sa paume, il sent à la fois le bord de la pierre glacé par l'eau, et juste au-dessus, sa face brûlante de soleil. Les deux dans sa main. A l'intérieur de lui, c'est pareil. Il reste longtemps assis, le corps à nouveau immobile comme lorsqu'il était captif mais là, il est dehors, à l'air pur, et il peut bouger quand il veut. Pourtant captif. Les deux syllabes ne le lâchent pas (...) C'est dans les veines, c'est dans le sang maintenant ? (p.72)
"Il a connu la peur de ne plus être nourri et la rage d'être à la merci d'autres hommes pour simplement survivre. Il s'en est voulu de guetter chaque bruit comme un animal aux aguets." (p 77)
"...la mort, elle est "normale" pendant les guerres. Il n'y a même que là qu'on n'en fait pas toute une histoire. Pas d'histoire. La mort dans la guerre, c'est la norme, le luxe c'est de mourir vite, sans souffrir." (p 155-156)