Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ah ! ces contes et nouvelles de mon enfance... Je les ai entendu maintes fois de la bouche de ma grand-mère...avant de pouvoir les lire toute seule et alors je les connaissais déjà presque par coeur.
Et à l'école aucune de mes maîtresses n'a résisté à la tentation d'en prendre un extrait pour une petite dictée.
Plus tard c'est à mes enfants et à ceux des autres que je les ai lues. Incontournables donc je vous le dis :)
Et en faisant des rangements, je viens de retrouver mon recueil acheté lorsque j'étais étudiante à Marseille et bien sûr je n'ai pas pu faire autrement que de les relire, ma lecture à peine dérangée par le chant continu des cigales de juillet...
Un peu d'histoire
Publiées en 1869 chez Hetzel sous le titre "Impressions et souvenirs", les lettres avaient d'abord été découvertes, dans la presse sans grand succès, il faut bien le dire.
Qui s'intéressait à la Provence et aux provençaux à l'époque ?
Aujourd'hui, elles font partie du patrimoine culturel provençal mais peu de gens ont eu la curiosité de les lire en entier. Certains enseignants font étudier une ou deux lettres puis passent à autre chose. C'est bien normal vu les programmes.
L’édition originale ne comportait que 19 lettres. Elles ont été enrichies dans l'édition de 1879 qui en contenaient quelques-unes de plus, c'est-à-dire en tout 24.
Les lettres ont-elles été écrites à quatre mains ?
Daudet cosignait-il avec son ami Paul Arène certaines d'entre elles ?
Aucun manuscrit ne le peut prouver et je ne polémiquerai pas là-dessus. On en parle assez sur le net comme ça et je n'ai aucun moyen de trancher.
Le premier charme de ce recueil est que certaines nouvelles restituent les odeurs de la Provence et y campent des personnages pittoresques : le curé trop gourmand, l’amoureux transi, le berger, le joueur de fifre, les voyageurs au coeur des paysages sauvages des Alpilles, du Luberon ou du Ventoux…sous les pins ou les oliviers ou encore au bord de la mer.
Il nous fait aussi voyager dans d'autres lieux : en Corse et en Algérie par exemple mais il nous parle aussi beaucoup de Paris où il vit une partie de l'année même s'il séjourne souvent en Provence pour écrire.
Le second charme c'est que Daudet se moque gentiment des coutumes et des croyances de l'époque et nous fait aussi un brin de morale.
Le troisième charme est que, même adulte, on ne peut rester indifférent à cette lecture : émotion, rire, doute....
Qu'elle est la part de vérité et d'imagination ?
Certains de ces jolis contes sont immortalisés dans les films de Marcel Pagnol : l'Elixir du révérend père gaucher (1954) ; les trois messes basses (1954) ; le secret de maître Cornille (1954) ; le curé de Cucugnan (1967)
De quoi parlent ces fameuses lettres ?
Alphonse Daudet "achète" un moulin à farine, inutilisé depuis un certain temps, et situé sur les hauteurs de Fontvieille, petit village proche d'Arles et du Massif des Alpilles...
Hé oui ! c'est celui où j'ai goûté tous les jours de juillet et de septembre, durant mon enfance...au milieu des lavandes sauvages, du thym et du romarin.
Ma grand-mère disait que celui qu'on appelle le Moulin de Daudet était encore en fonctionnement quand Daudet a écrit ses lettres et que jamais Daudet n'aurait pu s'y installer. Elle disait aussi qu'on racontait dans le village de Fontvieille que le moulin où Daudet se rendait était beaucoup plus éloigné de la route et beaucoup plus proche du château où Daudet séjournait. De Fontvieille il fallait marcher par le sentier sauvage un bon bout de temps.
On aurait remonté et rénové celui du bord de route parce qu'il était le moins abîmé par le temps, ayant été construit en 1814 et encore en activité jusqu'en 1915, pour faciliter la visite du moulin et l'arrêt des touristes...Il a été rénové en 1935 et aurait aujourd'hui besoin d'un bon coup de jeunesse.
Rumeur ou pas, tout ce que l'on sait c'est que de nombreux moulins se situaient sur les hauteurs de Fonvieille et que personne ne sait avec certitude dans lequel Daudet s'installait (ou pas d'ailleurs) pour laisser vagabonder son imagination.
Il y a quatre moulins connus et visibles dans les alentours :
- Le moulin Ramet, qui a fonctionné jusqu'en 1900, le plus proche de Fontvieille qui n'avait déjà plus de toit lorsque j'étais enfant.
- Le moulin Sourdon qui était déjà détruit complètement et ressemblait à un tas de pierres envahi par les lavandes sauvages au milieu de la garrigue...Les villageois l'appellent d'ailleurs maintenant le moulin "tombé". Il tournait déjà en 1791 et c'est le moulin le plus ancien de Fontvieille.
- Le moulin de Daudet appelé avant Moulin Saint-Pierre.
- et, le plus éloigné de la route, le moulin d'Avon-Tissot qui a cessé de tourner vers 1905.
En fait pour la petite histoire, Daudet rêvait d'acheter un moulin mais il ne l'a jamais fait.
Son séjour dans le moulin, au milieu des lapins, est donc le fruit de son imagination mais chut ! Merci de ne pas le dire à vos enfants, j'ai été si déçue de le savoir...
En fait, il écrivait bien installé dans la région de Fontvieille, certes, mais au château de Montauban, chez des cousins car son moulin fonctionnait encore !
Il se rendait très souvent dans un moulin proche du château, celui d'Avon-Tissot, le seul qui ne se voit pas de la route ! C'est lui le véritable Moulin de Daudet !
Le moulin d'Avon-Tissot est aujourd'hui en cours de rénovation.
Tout ce qu'on peut dire c'est que les moulins à vent, les habitants de Fontvieille et de la région, et la nature sauvage qui les entourait, ont été pour Daudet une source d'imagination sans bornes...
Le moulin Saint-Pierre ou "Moulin de Daudet" à Fontvieille
Daudet raconte son achat et son arrivée au moulin dans un avant-propos succulent.
Suivent ensuite les nouvelles suivantes :
- La Diligence de Beaucaire.
Pauvre rémouleur cocu, moqué par le boulanger de Beaucaire pendant le voyage en diligence. Impossible d'y échapper !
- Le Secret de Maître Cornille.
Un secret bien gardé !
Les progrès de la minoterie à vapeur ont entraîné la fermeture des moulins à vent de Provence. Seul, Maître Cornille tient meunerie ouverte...
- Le Chèvre de Monsieur Seguin, celle que je préfère encore dans ce qui reste de mon coeur d'enfant. J'ai tant pleuré quand Blanquette se fait dévorer. Elle a tant lutter, la pauvrette :)
J'ai encore du mal à la raconter sans être émue aux larmes...
- Les Etoiles ou le récit d'un berger provençal du Luberon. Comment un berger tombe amoureux de sa belle et jeune maîtresse, venue lui apporter des vivres, et lui raconte des histoires d'étoiles...
- L'Arlésienne ou le drame d'amour de Jan pour son Arlésienne...Triste et réaliste.
- La Mule du Pape. Trop drôle ! Histoire de la mule du pape et du coup de pied gardé pendant 7 ans ! "Sur le pont d'Avignon, on y danse, on y danse, sur le pont d'Avignon"...ou l'histoire de Boniface, un pape qui aime sa vigne de Château-Neuf et sa mule, et aussi le bon vin :) mais c'est sans compter sur le malin Tistet qui ne rêve que de s'en emparer (de la mule je parle...) et de jouer un tour au vieux Boniface.
- Le Phare des Sanguinaires. Petit voyage à Ajaccio où Daudet se moque du tempérament des corses en les comparant à celui des marseillais...tout en nous contant des histoires de mer, de bandits et de naufrages...ambiance lugubre garantie !
Petite remarque : Alphonse Daudet a vraiment séjourné dans ce phare, en décembre et janvier 1862 et on peut dire que l’aventure l’a marqué.
- L'Agonie de la Sémillante. Petit voyage au cimetière de la Sémillante sur les îles Lavezzi entre Corse et Sardaigne. Les derniers instants de l'équipage avant le naufrage...
- Les Douaniers. Troisième nouvelle du recueil qui se passe en Corse à bord d'un bateau de Porto-Vecchio. Triste destinée que celle du joyeux marin Palombo...
- Le Curé de Cucugnan. Celle-là elle est très drôle : comment un curé ramène ses ouailles dans l'église en leur racontant son propre voyage au paradis...
- Les Vieux. Superbe et poignante !
- Ballades en prose : contient "La Mort du Dauphin" et "Le Sous-Préfet aux Champs"...
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- Les Trois Messes Basses : un conte de noël à raconter chaque année à vos enfants ou à vos petits enfants.
Un soir de Noël, le jovial et gourmand Dom Balaguère bâcla ses trois messes de minuit, à l'incitation du Diable, afin de s'attabler au plus vite pour le réveillon. Le Ciel l'en punit amèrement...
Adapté au cinéma par Marcel Pagnol.
Pour sauver son couvent de la ruine, le Père Gaucher fabrique une liqueur merveilleuse dont lui seul a le secret. Mais les excès de spiritueux font gravement vaciller son itinéraire spirituel...
- En Camargue ou une partie de chasse à la "cabane".
- Nostalgies de caserne...
Ce classique de la littérature française a fait entrer, non sans humour, la Provence d'avant, dans les familles d'aujourd'hui.
A lire et relire dès le CM1 et jusqu'à 100 ans au moins !!
Extraits
"Ce sont les lapins qui ont été étonnés !… Depuis si longtemps qu’ils voyaient la porte du moulin fermée, les murs et la plate-forme envahis par les herbes, ils avaient fini par croire que la race des meuniers était éteinte, et, trouvant la place bonne, ils en avaient fait quelque chose comme un quartier général, un centre d’opérations stratégiques : le moulin de Jemmapes des lapins… La nuit de mon arrivée, il y en avait bien, sans mentir, une vingtaine assis en rond sur la plate-forme, en train de se chauffer les pattes à un rayon de lune… Le temps d’entrouvrir une lucarne, frrt ! voilà le bivouac en déroute, et tous ces petits derrières blancs qui détalent, la queue en l’air, dans le fourré. J’espère bien qu’ils reviendront."
(Chapitre "Installation").
"— Hou ! hou !… faisait le loup.
— Reviens ! reviens !… criait la trompe.
Blanquette eut envie de revenir ; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie, et qu’il valait mieux rester.
La trompe ne sonnait plus…
La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles. Elle se retourna et vit dans l’ombre deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient… C’était le loup"
(La chèvre de Monsieur Seguin)
"Cette nuit je n’ai pas pu dormir. Le mistral était en colère, et les éclats de sa grande voix m’ont tenu éveillé jusqu’au matin. Balançant lourdement ses ailes mutilées qui sifflaient à la bise comme les agrès d’un navire, tout le moulin craquait. Des tuiles s’envolaient de sa toiture en déroute. Au loin, les pins serrés dont la colline est couverte s’agitaient et bruissaient dans l’ombre. On se serait cru en pleine mer…
Cela m’a rappelé tout à fait mes belles insomnies d’il y a trois ans, quand j’habitais le phare des Sanguinaires, là-bas, sur la côte corse, à l’entrée du golfe d’Ajaccio.
Encore un joli coin que j’avais trouvé là pour rêver et pour être seul."
(Le phare des sanguinaires)
"Dans le calme et le demi-jour d’une petite chambre, un bon vieux à pommettes roses, ridé jusqu’au bout des doigts, dormait au fond d’un fauteuil, la bouche ouverte, les mains sur ses genoux. À ses pieds, une fillette habillée de bleu, — grande pèlerine et petit béguin, le costume des orphelines, — lisait la Vie de saint Irénée dans un livre plus gros qu’elle… Cette lecture miraculeuse avait opéré sur toute la maison. Le vieux dormait dans son fauteuil, les mouches au plafond, les canaris dans leur cage, là-bas sur la fenêtre. La grosse horloge ronflait, tic tac, tic tac. Il n’y avait d’éveillé dans toute la chambre qu’une grande bande de lumière qui tombait droite et blanche entre les volets clos, pleine d’étincelles vivantes et de valses microscopiques… Au milieu de l’assoupissement général, l’enfant continuait sa lecture d’un air grave..."
(Les vieux)
"À Paris, les oranges ont l’air triste de fruits tombés ramassés sous l’arbre. À l’heure où elles vous arrivent, en plein hiver pluvieux et froid, leur écorce éclatante, leur parfum exagéré dans ces pays de saveurs tranquilles, leur donnent un aspect étrange, un peu bohémien. Par les soirées brumeuses, elles longent tristement les trottoirs, entassées dans leurs petites charrettes ambulantes, à la lueur sourde d’une lanterne en papier rouge."
(Les oranges)
"Les terres cultivées dépassées, nous voici en pleine Camargue sauvage. À perte de vue, parmi les pâturages, des marais, des roubines, luisent dans les salicornes. Des bouquets de tamaris et de roseaux font des îlots comme sur une mer calme. Pas d’arbres hauts. L’aspect uni, immense, de la plaine, n’est pas troublé. De loin en loin, des parcs de bestiaux étendent leurs toits bas presque au ras de terre. Des troupeaux dispersés, couchés dans les herbes salines, ou cheminant serrés autour de la cape rousse du berger, n’interrompent pas la grande ligne uniforme, amoindris qu’ils sont par cet espace infini d’horizons bleus et de ciel ouvert. Comme de la mer unie malgré ses vagues, il se dégage de cette plaine un sentiment de solitude, d’immensité, accru encore par le mistral qui souffle sans relâche, sans obstacle, et qui, de son haleine puissante, semble aplanir, agrandir le paysage. Tout se courbe devant lui. Les moindres arbustes gardent l’empreinte de son passage, en restent tordus, couchés vers le sud dans l’attitude d’une fuite perpétuelle… "
(En Camargue)
Je n'ai jamais retrouvé l'ancienne édition de ma grand-mère peut-être était-elle si usée que ma mère s'en est un jour débarassée...
L'édition que je possède à la maison et que j'ai acheté chez un bouquiniste alors que j'étais étudiante est celle de Gautier-Languereau datant de 1970. Les Lettres sont précédées par "Une Histoire de la Provence" de Marie Mauron.