Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Cette femme forte, venue d'Allemagne, qui régna sur la Russie de 1762 à 1796 (année de sa mort) est-elle celle que l'on décrit ?
L'histoire se situe au début des années 80...en Russie.
Oleg Erdmann, le héros de cette histoire est fasciné, voire obsédé par Catherine. Comme un amoureux, il veut mieux la connaître... Il rêve de devenir cinéaste et désire faire sur elle un film qui la montrerait différente non pas nymphomane, mais femme libre et aimante. Il veut tout connaître d'elle : ses journées bien remplies (elle travaillait 15 heures par jour), ses amants qu'elle recevait derrière une alcôve et qui étaient d'abord "testés", ses habitudes de vie (elle adorait le café, s'habillait avec simplicité pour l'époque et son rang), son intelligence et son pouvoir de séduction qui lui a permis de connaître les plus grands philosophes, Voltaire et Diderot, ainsi que Cagliostro et Casanova...
Pour gagner sa vie, Oleg travaille la nuit aux abattoirs. Le jour, il dort et vit dans un appartement communautaire à Leningrad où il côtoie des gens pauvres voire miséreux et peut recevoir de temps en temps la visite de sa petite amie, Lessia.
Il fait aussi de brefs retours où il a vécu durant son enfance, seul avec son père. Marta, sa mère, est décédée alors qu'il n'avait que trois ans mais elle "parvint à lui donner ce qu'un enfant ordinaire n'eût pas reçu en si peu de temps - la certitude d'avoir eu une mère qui l'aimait comme il ne serait jamais aimé par personne."
Longtemps après la mort de son père, Oleg se rappellera le dicton familial qui tentait d'expliquer leur destin russe : "Et dire que tout cela m'arrive à cause de cette petite Allemande devenue la Grande Catherine". Ceci explique peut-être cela !
Mais tourner un film sur la tsarine, c'est impossible ! La censure veille. Ses amis le lui déconseillent. On ne peut s'écarter de la version officielle seule autorisée.
Tout le monde croyait connaître la Grande Catherine...mais Oleg veut prouver le contraire en montrant que c'était une femme différente de celle des clichés. Au delà de son besoin de pouvoir pouvant aller jusqu'à la domination et d'une vie sexuelle mouvementée, cette femme a été aimée une fois, une seule...Il s'agissait d'Alexandre Lanskoï. Il a vingt-deux ans alors que Catherine en a déjà cinquante, lorsqu'ils se rencontrent. On est en 1780. C'est la première fois qu'un amant se montre comment dire "désinteressé"...
"Il semble sincèrement attaché à cette femme encore belle, vive et qui s’impose une discipline corporelle très stricte. Les autres favoris, une fois au palais, se sentaient prisonniers et, à la première occasion, fuyaient vers les jeux du pouvoir, les complots, la débauche. Lanskoï n’est heureux que pendant ses longs tête-à-tête avec Catherine, leurs promenades dans les allées de Peterhof, leurs soirées au bord de la Baltique..."
abandonnant le trône et Moscou ?
"Les traces du voyage sont presque absentes. Oleg tente de les déchiffrer dans les intervalles qui séparent les grands événements historiques". Pourtant il réunit des preuves...il y a des cartes, de la monnaie...
Pourtant le destin permettra à Oleg de réaliser (presque) son rêve sous forme d'un feuilleton télévisuel diffusé aux heures de grande écoute.
"Ton copain Jourbine avait raison, tu finiras par écrire une série télévisée" lui avait prédit Lessia...
Là encore il ne pourra se détacher des clichés imposés par son ami devenu oligarque et désirant le rester, mais également féru de sexe, de provocation et avide d'audience.
Mais lorsqu'il revoit Eva qui avait joué le rôle de Catherine dans son premier film, la vie d'Oleg pourra enfin changer...
Ce que j'en pense
Oleg est un personnage attachant et le lecteur ne se lasse pas de poursuivre avec lui ses recherches.
Mais finalement Oleg est un artiste frustré dont l'obsession pour Catherine va détruire sa vie et qui ne pourra jamais développer sa vision personnelle des événements, face d'abord à la censure communiste puis à celle imposée par l'argent et cela nous laisse une impression de gachis.
Comme dans la majorité de son oeuvre, à travers l'histoire de Catherine II, l'auteur continue à s'interroger sur son pays d'origine...la Russie. Il nous parle de l'URSS de Brejnev puis de la Russie d'Eltsine... ècle avec des événements contemporains.
C'est un roman très bien écrit. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Andréï Makine a obtenu le Prix Goncourt en 1995 pour son roman autobiographique "Le testament français".
Et, comme le dit si bien Bernard Pivot, ce roman est avant tout "Une passionnante plongée dans la vie de cette princesse allemande qui régna sur la Russie".
A lire donc absolument.