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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

"On aurait dit une femme couchée sur le dos" de Corine Jamar

"On aurait dit une femme couchée sur le dos" de Corine Jamar

On aurait dit une femme couchée sur le dos (ses longs cheveux de pierre descendant jusque dans l'eau) est le véritable titre. Un titre mystérieux...une couverture superbe qui donne envie de tourner les pages pour connaître l'histoire et des couleurs qui rappellent le bleu de la mer et du ciel... voilà un livre qui donne envie de voyager pour vivre (ou revivre) une ambiance, un décor, une île merveilleuse où il fait bon vivre, la Crète.

 

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Samira a quitté Paris avec deux amis Fred et Claudie, leurs enfants, une vieille voiture et une caravane... En partant elle a voulu surtout fuir sa famille et son père. Elle l'aidait pourtant au restaurant de spécialités kabyles et c'est lui qui lui a appris à cuisiner.

Elle n'a donc pas l'impression de le renier quand elle ouvre avec Eleftheris, qu'elle a rencontré depuis peu, une "cantine" pour touristes sur la plage de Stravos (dans la péninsule d'Akrotiri) où a été filmé "Zorba le grec" près de la ville de Chania (La Canée en français). Ils s'aiment et ont tout pour y être heureux mais, malgré les apparences, rien n'est simple pour autant.

 

Parce que les affaires ne marchent pas comme il faut pour nourrir tout le monde, elle oblige Claudie et Fred à quitter la "cantine". Il s'en suit une brouille durable.

Au début elle croit qu'ils vont rentrer en France mais non, ils en bavent tous les deux mais ils restent, ils s'organisent avec ce qu'ils savent faire. Claudie attend son heure : elle cherchera bien sûr à se venger...

 

Il y a d'abord le problème de Yannis, le frère aîné d'Eleftheris qui a lui aussi ouvert une taverne. Il a proposé à Eleftheris d'y travailler. Celui-ci sait ce que Yannis est capable de faire quand il est en colère (il y a eu l'affaire des parasols lorsque son ami Elios a ouvert une taverne sur la plage) mais ne peut pas s'empêcher de l'adminer. Aussi, lorsque Samira et lui se marient, Eleftheris va immédiatement le dire à Yannis (qui est en prison à ce moment là). Celui-ci se fâche (son frère épouse une étrangère) et ne veut plus de ses visites.

 

Il y a ensuite le problème du jeune frère d'Eleftheris. Thassos est prêt à vendre sa terre aux touristes pour acheter une boutique à sa femme. Pas question pour Yannis de le laisser faire. Il tient à défendre SON île à n'importe quel prix...comme jadis ses ancêtres l'ont fait.

 

Il y a aussi leur différence : Eleftheris est grec, Samira est française. Cela  crée des quiproquos, complique leur relation... Pourtant d'amour, il en est question entre ces deux là : lui est magnifique comme un Dieu et travailleur avec ça, même s'il n'aide pas du tout Samira pour les tâches ménagères à la "cantine", il a tout construit, répare tout, s'occupe des clients, les surveille quand ils se baignent...

Elle, a tout pour être aimée : le mystère (elle est étrangère et invite à d'autres horizons), la gentillesse, la patience, les beaux cheveux...et puis n'est-elle pas tombée sous le charme de son pays, ça c'est important pour lui !

De plus Eleftheris a senti dès leur première rencontre qu'elle était aussi solide qu'Akalida, sa montagne, qui, d'après la légende, comme la nymphe du même nom, est là pour inspirer les humains, leur accorder des bienfaits et les guérir de leurs maux... Il a senti aussi qu'il "serait aussi heureux en se réfugiant dans ses bras à elle que dans ceux de cette montagne qui avait toujours été là pour lui et dont l'existence remontait à la nuit des temps". Samira allait être, il n'en a pas douté un seul instant "l'incarnation humaine d'Akalida, sa version de chair".

 

Mais le drame de Samira est qu'elle ne se pardonne pas d'avoir trahi ses amis. En fait, l'affaire ne marchait pas mais elle sait très bien que ses motivations cachées étaient toutes autres... Elle savait que Claudie avait entretenu une relation avec son père à Paris et craignait que sa présence ne trouble son propre couple. Samira a un comportement jaloux, certes, mais elle manque surtout profondément de confiance en elle. Elle aurait dû se douter que rien de tout cela n'allait se produire : c'était méconnaître l'amour inconditionnel que lui porte son Eleftheris  et ignorer qu'elle ne pourrait être trompée que par l'amour qu'il porte à la mer...

En plus de sa jalousie et du fait qu'elle a fait partir ses amis, Samira a beaucoup d'autres  choses à cacher à Eleftheris (et à se reprocher) et toutes ces choses participeront, de près ou de loin, au drame. Ce qu'elle a vécu avec son père à Paris et la mort de sa soeur,  le meurtre d'Elios, le meilleur ami d'Eleftheris auquel elle a assisté et dont elle connaît le coupable. Elle ne lui a pas révélé non plus que pour la faire taire, celui-ci l'avait violée ce soir-là...

 

Depuis, malgré le succès grandissant de la "cantine" elle vit dans le silence, tout en étant entourée par de nouveaux et précieux amis, comme Walter par exemple, le chef opérateur de "Zorba le grec" qui compte beaucoup pour elle.

L'amour de son mari avec qui elle n'arrive pas à concevoir un enfant,  la rassure mais même si lui pense que, "siga siga" ils arriveront à en concevoir un (l'avenir lui donnera raison puisque c'est lui qui nous parle !)...elle ne peut s'empêcher de croire que son ventre lui refuse ce plaisir-là pour qu'elle expie ses fautes.

 

Réussira-t-elle à se pardonner ses fautes passées et à se réconcilier avec elle-même ?

 

Ce que j'en pense

 

Selon le point de vue du narrateur qui n'est autre qu'Elios, le fils de Samira et d'Eleftheris, l'auteur nous dépeint cette histoire de famille et d'amitié avec en toile de fond la mer et ses tempêtes, les oursins qui piquent les pieds, les falaises qui s'écroulent sur des innocents, les bateaux qui emmènent au loin ceux qu'on aime, la lumière de la Crète si sensuelle et si belle, qu'elle tourne les têtes, rend les gens amoureux et jaloux, passionnés et jamais indifférents...

Une Crète authentique, terre de contraste en pleine mutation, où se mêlent les traditions et la modernité...pas encore envahie par les touristes, mais seulement par quelques fidèles amoureux de sa beauté qui y reviennent chaque été.

 

C'est un très beau roman qui se lit d'une traite, nous parle certes d'amitié et d'amour, mais aussi de trahison, de non-dits, de la difficulté des liens familiaux, des coutumes ancestrales qui obligent les hommes à s'entre-tuer et les femmes à se taire et de la suprématie des hommes dans les cultures méditerranéennes.

 

L'auteur met en place une véritable tragédie grecque et étaye son roman de nombreuses références aux mythes et aux dieux grecs. Car comme Samira, tous les personnages ont quelque chose à cacher  : un deuil dont ils se font le reproche, un moment de leur vie dont ils ne sont pas fiers, des êtres qu'ils auraient dû aimer davantage, un partage qui n'a pas eu lieu, une rencontre ratée...Ils ont aussi trop de choses qu'ils n'expriment pas et que les autres ne peuvent deviner. Le malaise grandit et la situation va finir par exploser.

 

L'écriture est très poétique et limpide comme le chemin de sable sur la plage qui mène le baigneur à la mer entre les rochers...Cela crée une ambiance particulière. 

Le lecteur se retrouve sur cette plage, attablée à la "cantine" de Samira, en train de déguster un "kataifi". Il entend la mer, il regarde les rochers et la montagne, ainsi que  les paysages époustouflants de beauté, il est sur le bateau au coeur de la tempête...

On ne peut que s'attacher à Samira, si humaine. On  sait tout de ses forces et de ses faiblesses, de ses envies, de ses espoirs, de ses doutes.

Les personnages secondaires sont également très présents et jouent un rôle important dans le dénouement.

Mais il ne faut pas oublier que le personnage principal, c'est la Crète ! C'est elle qui est omniprésente à chaque page, elle qui relie les personnages entre eux, elle qui les oblige à aller au bout d'eux-mêmes et à voir les choses sous un autre angle...

 

MERCI pour cette superbe découverte !

 

Retrouvez l'auteur sur son site ICI  ou sur sa page facebook ICI

 

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Quelques extraits

 

"Ma mère aurait tant voulu garder son rêve de Crète intact, vierge, pur et immaculé comme l'étaient les plages avant l'arrivée de l'homme."

 

"Mon père, il est vrai, faisait partie intégrante de la Crète, plus minéral, plus végétal, plus animal qu'humain. Il lui ressemblait, changeant comme ses paysages...Dire que ma mère, au début, le croyait simple, facile à cerner : une montagne aux contours bien découpés, bien nets. Mais c'était oublier les nombreuses cavernes qui trouaient sa roche..."

 

" Au moment où le soleil touchait l'horizon, à ce moment précis, Walter interrompait toute conversation et disait : "Chut, le soleil se couche"...et tout le monde était prié de se taire, comme dans une salle de cinéma. Le film n'était jamais le même."

 

" Comme ses ancêtres avant lui, il avait noué avec la nature des liens sacrés...Alors comme par magie, aussi rapidement qu'elle était survenue, la tempête s'est éloignée, la mer s'est calmée et le ciel est redevenu bleu...il savait depuis tout petit, que jamais la mer ne lui ferait le moindre mal."

 

"C'est étrange, cette différence qu'il y a entre l'homme et la nature. Même quand la nature fait du mal aux hommes, que la mer les engloutit dans une tempête, que les arbres frappés par la foudre les écrasent, que la montagne les précipite dans un ravin, même quand elle se met en colère, la nature reste belle, et pas l'homme".

 

"En ce temps-là, la clé restait dans la serrure des portes...Maintenant à cause des vandales "photo-graphomanes", c'est fini...Il aurait fallu fermer la Crète entière à clé, quelle redevienne belle et inviolée, que seuls les vrais amoureux, les initiés, y soient tolérés..."

 

"Le matin, en se levant, quelque chose, elle l'a senti, avait changé. Le ciel était d'un bleu plus froid, plus métallique que la veille. La chevelure de pierre de la montagne grisonnait par endroits et la mer paraissait très silencieuse, comme à l'écoute du message que lui envoyaient, soufflant dans le laurier sauvage et l'acanthe épineuse des bords de chemin, les dieux qui savaient que le destin de Thassos était scellé."

 

" C'est drôle comme souvent dans la vie, on obtient ce qu'on veut au moment où ça nous occupe moins l'esprit, au moment où...on lâche enfin prise".

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C
Un immmmmmmmmmmmeeeeeeeeennnnse merci pour ce superbe article. Je suis très touchée et vous remercie beaucoup... Corine
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