Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Force m'est d'admettre que le poète le plus heureux qui soit ne saurait chanter avec autant d'ardeur que l'alouette, sans la moindre distraction, oublieux du passé comme de l'avenir, tout entier à sa joie.
Ce livre, d'une rare poésie, est comme un rêve éveillé. C'est un véritable voyage au coeur de la création artistique et de la beauté, à lire à petite dose pour en apprécier toute la douceur et la légèreté.
La rivière sablonneuse coule sous un petit pont qui n'a même pas trois mètres de large, elle déverse sur la plage les eaux de printemps. Et quand les eaux printanières rejoignent la mer printanière, à travers les mailles des innombrables filets mis à sécher en désordre, s'échappe un vent tiède qui souffle sur le village, répandant une troublante chaleur odorante. Alors enfin, comme après une longue attente, comme un sabre émoussé, on voit la couleur de la mer.
Le narrateur est peintre et poète. Il n'est pas en manque d'inspiration mais veut se plonger dans l'ambiance propice à la création.
Pour cela, une fois arrivé le printemps, il quitte la ville et s'enfonce à pied dans la montagne, avec son matériel de peintre.
Il va s'installer dans une auberge perdue où, il est l'unique voyageur et où, il espère, qu'aucune passion humaine ne viendra plus le déranger, ni l'agitation de la ville le perturber.
Mais c'est sans compter sur la mystérieuse jeune femme qui occupe les lieux et dont la vie semble pleine de mystère. Les découvrir va hanter son esprit...
Réussira-t-il à peindre le tableau de ses rêves ?
Une chose effrayante, si on la regarde telle qu’elle est, devient un poème. Un événement terrible devient une peinture, à condition que je l’éloigne de moi pour le considérer tel qu’il est. C’est ainsi qu’un chagrin d’amour devient une œuvre d’art.
Ce roman est un texte subtil sur l'art et la création, sur la place de l'artiste dans le monde moderne, sur le regard que l'artiste porte sur les êtres humains ou la nature environnante...
Une belle lecture, mais pas du tout facile malgré les apparences car déjà, entrer dans l'histoire est assez laborieux et puis, c'est un livre impossible à lire d'une seule traite.
Mais une fois imprégné de cette poésie, vous le quitterez à regret car c'est aussi un livre empli de légendes et de mystères...
Le lecteur met du temps à suivre ce poète artiste, mais il sortira de ce chemin, grandi et capable de trouver réflexion et beauté, dans la nature et dans sa vie quotidienne, en chacun des cailloux du sentier, en chaque petite fleur ou coin de ciel, en chaque être croisé...
Sôseki l'appelait son roman-haïkus car le texte est interrompu par de magnifiques haïkus...
Chanson du cocher
Passent les printemps
Sur les cheveux toujours plus blancs
L'automne est là
Qui dépose la rosée sur les susuki
Le sentiment qui m'habite
Pèse par trop
Sur mon coeur
L'édition que j'ai emprunté en médiathèque, est étayée de nombreux tableaux tous magnifiques, dont la couverture déjà vous donne un aperçu, et d'une grande délicatesse, issus d'une édition japonaise de 1926 en trois rouleaux où figurait le texte calligraphié de Sôseki et les peintures intégralement reproduites dans ce magnifique livre.
Les yeux levés vers le ciel
Je compte les étoiles du printemps
Une deux trois
Kinosuke Natsume dont le nom de plume connu est Sôseki (qui signifie "obstiné") (1867-1916) est un des plus grands écrivains de l'ère Meiji, où le Japon passe en quelques années de la féodalité à un statut de nation moderne parmi les plus avancée.
Il succède à Lafcadio Hearn à la chaire de littérature anglaise de l'Université de Tokyo, avant de la quitter pour s'adonner exclusivement à l'écriture. Il publie romans, essais, récits de voyage et, toute sa vie, a capturé dans des haïkus la grâce des instants vécus.
Sôseki a écrit plus de 2 500 haïkus...
Mais les herbes aquatiques qui stagnent au fond de l’eau, attendrait-on cent ans, restent immobiles. Elles se tiennent pourtant en alerte, prêtes à bouger, appelant du matin au soir le moment où elles seront touchées, elles vivent dans cette attente, par cette attente, concentrant dans leurs tiges le désir de générations innombrables, sans pouvoir s’animer jusqu’à ce jour, elles vivent, incapables de mourir.