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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Le Meurtre du Commandeur 1 : Une idée apparaît / Haruki Murakami

Belfond 2018

Belfond 2018

Assis comme moi dans un fauteuil sur sa terrasse, l'homme ne faisait aucun mouvement. Comme moi, il semblait réfléchir à quelque chose tout en regardant les étoiles scintiller dans le ciel. Et il méditait sûrement sur des questions qui resteraient sans réponse, aussi longtemps qu'il s'y soumette. Telle fut mon impression. Même placé dans une situation des plus favorisées, tout homme est confronté à l'obligation de réfléchir.

Depuis qu'il est marié avec Yuzu, le narrateur qui est un peintre reconnu, réalise des portraits d'hommes d'affaires afin d'assurer sa subsistance mais, bien que réussis, ils ne lui apportent aucun plaisir personnel car il applique toujours la même technique, rodée certes, et qui a fait ses preuves, mais qui l'éloigne peu à peu de toute créativité. Il commence par discuter avec la personne concernée, puis quand il la connait mieux, peint son portrait à partir de quelques photos, de ses souvenirs et de ce qu'il sait de lui. 

Voilà qu'un jour sa femme lui annonce son intention de divorcer : elle aime un autre homme. Lui qui n'a rien vu venir, est effondré et quitte à l'instant même l'appartement où ils vivaient tous les deux à Tokyo, pour errer sur les routes dans sa vieille Peugeot 205, là où son envie et sa voiture le portent.

Il va finalement s'installer à Odawara, dans la maison d'un ami, qui appartenait à son père, Tomohiko Amada, un peintre célèbre spécialiste de la peinture traditionnelle japonaise, le nihonga, qui est désormais devenu sénile et a été placé dans une maison de retraite. La maison est agréable mais isolée au sommet d'une montagne.

Le narrateur se retrouve en mal d'inspiration et dans l'incapacité de peindre quoi que ce soit et même de faire des croquis dans lesquels pourtant il excellait. Pour survivre, il va accepter de donner des cours de peinture à un groupe d'enfants et d'adultes. Cela va lui permettre de faire quelques connaissances en particulier avec des femmes qui l'aideront à supporter sa solitude. 

Un jour, il rencontre son voisin, Wataru Menshiki, un homme d'affaires apparemment riche qui habite de l'autre côté du lac et désire qu'il réalise son portrait, en échange d'une somme impressionnante. Mais le narrateur a du mal à peindre et ne sait pas s'il arrivera à finaliser le portrait. Il cherche une nouvelle idée, il veut oublier son divorce mais il ne cesse pas de penser à Yuzu, de chercher à comprendre pourquoi leur couple n'a pas fonctionné.

En explorant la maison et parce qu'il a entendu du bruit durant la nuit (un hibou s'y est installé), le narrateur monte au grenier et découvre un tableau étrangement beau : "Le meurtre du Commandeur" une œuvre violente montrant le meurtre d'un vieillard, mais fascinante et vraisemblablement réalisée par l'ancien propriétaire des lieux. Le tableau semble avoir été caché là intentionnellement et dénote par rapport à ses tableaux connus. Il semble être la transposition d’une scène de l’opéra de Don Giovanni, mais l'avenir montrera qu'il n'est pas que ça...

Dès cet instant, le narrateur est obsédé par ce tableau qu'il installe dans l'atelier et observe méticuleusement dans les détails tous les jours. Il est obsédé aussi par son passé qui fait fréquemment irruption dans sa vie. En plus du tableau et de Yuzu, il pense aussi très fréquemment à sa jeune soeur trop tôt disparue...elle qui aimait tant les contes dont "Alice au pays des merveilles" et se souvient avec tendresse de leur visite dans une grotte, visite durant laquelle elle avait pu s'engouffrer dans un étroit boyau tandis que lui, inquiet l'attendait. Il est obsédé aussi par un homme qu'il a croisé durant son périple et dont il va chercher à peindre le visage sans y parvenir. 

Puis des événements mystérieux se produisent, perturbant la tranquillité des jours. 

Tout d'abord, durant la nuit, et toutes les nuits à la même heure, le narrateur est réveillé par le son d'une cloche lointaine. Il n'est pas très rassuré mais va sortir de la maison pour se rendre sur les lieux. Il se retrouve au cœur de la forêt devant une fosse recouverte de pierres.  Il se confie à Menshiki qui décide de faire dégager la fosse. Elle ressemble à un puits mais est beaucoup plus large et moins profonde, et elle est consolidée par un mur de pierre lisse. On ne peut y descendre ou en sortir qu'en utilisant une échelle. Mais les deux hommes la trouvent vide : elle ne contient qu'une seule chose, la clochette. Personne ne comprend comment elle a pu ainsi produire un son toute seule...et les hypothèses fusent.  

Le narrateur la ramène dans son atelier et la pose négligemment sur une étagère, tandis que la fosse est recouverte pour éviter un accident. Quelques jours après, le son de la cloche se fait à nouveau entendre...

En même temps, le narrateur découvre dans son salon, un tout petit personnage, bien installé sur le  canapé : c'est le commandeur du tableau...mais existe-il vraiment ou est-il une simple idée comme il le prétend ? Quel message veut-il lui apporter ? Doit-il écouter ses conseils ? Le lecteur, tout comme le narrateur, se questionne sans fin !

En tous les cas, seul le narrateur a la capacité de le voir et de l'entendre, et sans que le peintre ne s'y attende, il retrouve peu à peu l'inspiration et se remet à peindre. 

C'est alors que le Menshiki lui fait une étrange demande : faire le portrait d'une jeune fille de 13 ans, Marié, qui pourrait être sa fille et qui vit tout près de chez eux...

En fin de compte cependant, je ne parvenais pas à peindre. J'avais beau rester planté longuement devant la toile, fixer cette surface immaculée, ne jaillissait pas la moindre parcelle d'idée quant à ce que je devais peindre. J'étais dans l'incapacité de déclencher les opérations et ne savais par où commencer. Semblable à un romancier qui aurait perdu ses mots, à un musicien sans instrument, je finissais par me sentir perdu...

J'avais toujours aimé, tôt le matin, contempler longuement une toile absolument vierge, sur laquelle il n'y avait encore aucun dessin, aucune peinture. J'appelais ce moment "le zen de la toile". Rien encore n'était dessiné mais ce n'était absolument pas du vide qu'il y avait là. Sur cette surface immaculée se dissimulait la forme sur le point d'advenir.

Mais je n'arrivais pas à décrypter l'historique de ce qui nous avait conduit à une telle situation. Je comprenais, bien entendu, que les cœurs de deux individus puissent, avec le passage du temps et selon les évènements, tantôt s'attacher l'un à l'autre, tantôt s'éloigner. Les sentiments humains sont fluides et flottants, et ni l'habitude, ni le sens commun, ni la loi ne sont en mesure de les régir. Ils s'envolent librement de leurs propres ailes. À l'image des oiseaux migrateurs qui ne possèdent pas la notion de frontière entre pays.

Ce sont les conséquences, dans la plupart des cas, qui nous permettent de déterminer si les choses sont raisonnables ou pas. Les conséquences, tout le monde peut les voir exister dans la réalité, de façon incontestable, tout le monde peut les vor exercer leur influence. Néanmoins, il n'est pas simple d'en déterminer la cause.

Voici le premier opus d'un roman en deux tomes écrit par Haruki Murakami qui est plutôt adepte habituellement de nouvelles et de romans courts. Je l'ai emprunté car il était sur le thème de l'art et de la création et que j'avais lu pas mal d'avis positifs sur Babelio. 

C'est un roman étrange, empreint de mystère et de surnaturel. Mais il est aussi empli de poésie, de magie, d'insolite et le plus extraordinaire c'est que, grâce au talent d'écriture de l'auteur, nous finissons par trouver tous ces phénomènes surprenants, quasi naturels ! En effet, en nous racontant en détails la vie quotidienne des personnages, en récapitulant les événements et les indices étonnants, en réfléchissant "à voix haute" si je puis dire, le narrateur nous ancre dans la réalité et nous permet de tenir le mystère à distance, comme s'il s'agissait d'un rêve, ou d'une simple "idée". 

Les personnages sont intéressants et en quelque sorte attachants. L'amitié est au cœur de leurs relations. Ils sont toujours sincères dans leur propos, s'écoutent poliment toujours avec gentillesse et donnent libre cours à leur ressenti même quand ils se connaissent peu. Ce sont des personnages plutôt solitaires et habitués à la solitude, qui lisent beaucoup, écoutent de la musique, et prennent le temps de vivre et de rêver. Ils ont une manière bien à eux de supporter les imprévus de la vie, sans se révolter, comme si tout cela leur passait bien au dessus de la tête. Ce détachement ainsi que la description de la nature environnante contribuent à donner à l'ensemble du roman une sensation de sérénité qui contraste avec les éléments fantastiques du roman et le suspense époustouflant qui nous donne envie de poursuivre notre lecture. 

Bien entendu, le plus étrange dans le récit, au-delà de la cloche qui tinte toute seule, c'est l'apparition du petit personnage, le commandeur. Il dit lui-même qu'il n'est qu'une "idée" et a pris la forme voulue par celui qui l'a évoquée.  Était-il dans la fosse ou pas ? Est-ce lui qui a agité la cloche, ou pas ? Il sait lire dans les pensées, parler à l'oreille du narrateur mais ce dernier est le seul à pouvoir le voir. Enfin, quel rapport entre lui et le tableau retrouvé au grenier ?

Quel rôle joue vraiment Wataru Menshiki dans tout cela, lui qui semble être toujours là au bon moment. Où veut-il en venir quand il propose au narrateur de réaliser le portrait de la jeune Marié, sa fille présumée ?

Peut-être trouverons-nous des réponses à nos questions, à la lecture du second tome ? Je me suis hâtée de l'emprunter et de le lire, vous en doutez ! 

Ce premier tome est très addictif !

En y pensant rétrospectivement, je me dis que nos vies sont faites d'une façon vraiment étrange. Elles regorgent de hasards extravagants et difficile à croire, de développement en zigzag impossibles à pronostiquer. Mais lorsque ces événements nous arrivent réellement, lorsqu'on est plongé en plein milieu du tourbillon, il est possible de ne pas y voir le moindre élément étrange. Peut-être ce qui arrive nous semble-t-il être uniquement des faits parmi les plus ordinaires, se produisant de la façon la plus ordinaire, dans un quotidien linéaire. Ou bien au contraire, peut-être tout cela nous paraît-il complètement insensé. Mais en fin de compte, c’est seulement beaucoup plus tard que l’on saura vraiment si un évènement est conforme à la raison ou pas.

Dans le silence du bois, je pouvais presque percevoir jusqu'au bruit de l'écoulement du temps, du passage de la vie. Un humain s'en allait, un autre arrivait. Un sentiment s'en allait, une autre arrivait. Une image s'en allait, une autre arrivait. Et moi aussi, je me désintégrais petit à petit dans l'accumulation de chaque moment, de chaque jour, avant de me régénérer. Rien ne demeurerait au même endroit. Et le temps se perdrait. Un instant après l'autre, le temps s'écoulait puis disparaissait derrière moi...

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L
Comme je te l'ai dit hier ou avant-hier, le tome n°2 ne m'inspirait pas. Par contre, celui-là, je peux comprendre qu'il soit addictif. J'ai lu ton résumé et je me suis laissée prendre par la lecture. <br /> <br /> Bonne fête des mères !<br /> Bisous<br /> Lavandine
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C
pas trop pour moi mais surement très addictif en effet<br /> merci de la très bonne présentation comme toujours chez toi<br /> douce journée<br /> bisous<br /> patricia
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F
Un univers bien particulier paisible,où environnements et événements se meuvent avec légèreté et lenteur ... de la retenue émotionnelle... des personnages toujours sereins face à des manifestations surnaturelles... c'est comme plonger dans la "réalité" de ses rêves... Un auteur dont je ne connais aucune œuvre. Sans doute une féerique occasion pour le découvrir.
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G
Ah, les lectures de Murakami, ça ne ressemble à rien d'autre. J'ai bien aimé ces deux livres.
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E
Bonjour Manou. Je n'ai encore rien lu de cet auteur. Cette histoire étrange pourrait me plaire. Bonne journée et bisous
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F
Aaah Murakami, un de mes auteurs chouchous !^^ J'ai été un peu déçue par ses derniers romans, mais j'avais tout de même beaucoup aimé ce premier tome. Je ne sais pas si tu as fini le second donc je n'en dis pas plus^^, mais je suis très curieuse de ton avis sur la suite et fin.
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M
Oui je l'ai fini car je les ai lu tous les deux le mois dernier ! Je le présente demain...
P
Je n'ai encore rien lu de cet auteur. Il faudrait que je le découvre un jour...
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D
Je n'ai rien lu de cet auteur, mais j'ai beaucoup entendu parler de lui. Ce mélange de réalité, de rêve et de fantastique, fait envie, tout comme les réflexions sur le sens de la vie.
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J
J'ai un peu de mal avec Haruki Murakami et même si ton billet donne envie, je ne suis pas sûre d'être prête pour un roman en deux tomes.
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V
J'ai vraiment du mal avec cet auteur, trop d'étrange et de surnaturel pour moi... chaque fois que je vois passer un billet élogieux, je me dis que je devrais revenir vers lui, pourtant...
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C
étrange semble t-il, mais pourtant n'est-ce pas la vie qui se livre à chaque jour différente, être ou avoir été, se projeter dans ce qui n'adviendra pas ou peut-être c'est selon, entendre la voix de sa conscience ... <br /> à découvrir <br /> amitié .
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M
Seule la nuit j'aurais la hair de poule dans cette maison étrange Manou !!
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P
Bonjour Ma Chère Manou, C'est le temps qui manque pour lire tous les récits que tu présentes si bien.<br /> Je note bien sûr.Bises et douce journée
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P
Merci pour ce partage Manou.<br /> Encore un titre que je note même si je manque cruellement de temps pour ma poser avec un livre ces temps-ci.<br /> Bisous et bonne journée.
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V
Merci, je note, j'aime les romans japonais, et l'histoire me plait!!! Gros bisous Manou. cathy
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L
ça n'est pas pour moi<br /> Bisous et bonne journée
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B
Murakami est un immense auteur
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I
J'ai beaucoup aimé les deux tomes, on y retrouve l'univers de Murakami sans certains défauts (notamment des longueurs) dont pâtissent parfois certains de ses titres (je pense notamment à 1Q84).
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M
Je n'ai pas encore lu 1Q84 justement parce que les avis sont mitigés...heureusement j'ai d'autres titres à découvrir avant ou à relire :)
K
J'ai beaucoup aimé ces deux romans, qui m'ont fascinée presque autant que Kafka sur le rivage. Cet auteur m'a rarement déçue, j'ai juste eu du mal à finir 1Q84 (l'ai-je fini, d'ailleurs ?)
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B
Superbe présentation !<br /> J'imagine bien que tu puisses avoir hâte de lire le 2e tome. Ce 1er tome est assurément fascinant...<br /> Je note !<br /> Je le chercherai à la bibliothèque<br /> Bisous Manou et bon mardi
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