Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Par manou
Je n'avais jamais rien lu de Christine Angot car je n'aime pas vraiment les déballages familiaux même si les histoires vraies me touchent souvent.
Et surtout, j'avais tellement entendu de critiques à son sujet !
Je sais que dans au moins deux de ces précédents romans : "L'inceste" en 1999 et, "Une semaine de vacances", en 2012, elle a abordé le sujet de l'inceste, traumatisme de son enfance et qu'elle a été accusée de profiter d'un filon "racoleur".
Mais il m'a semblé aussi qu'il était de bon ton dans le monde littéraire de la critiquer.
Dans son dernier livre très intimiste, elle revient sur ce sujet encore trop souvent tabou qu'il est très difficile de traiter en littérature, tant il est douloureux pour ceux qui en parlent et pour ceux qui le reçoivent.
Parce que j'ai connu des ados qui avaient été traumatisés par l'inceste ce qui nuisait, non seulement à la construction de leur personnalité, mais à leur scolarité, à leur capacité d'aimer et d'être aimés et donc, à leur vie entière, je trouve admirable que l'auteur ait le courage de se livrer, dans des écrits qui seront lus par des milliers de personnes mais qui pour elle, on le comprend, représentent, une certaine forme de libération.
Autour de moi je n'ai eu que critiques plutôt virulentes à son sujet...voire mépris pour mon choix de lecture ?! Ce qui n'a fait que me donner envie de poursuivre (je l'avoue, j'ai parfois l'esprit de contradiction).
J'avoue aussi au final qu'elle m'a bluffée moi qui la découvre aujourd'hui sans presque aucune connaissance de son style d'écriture et sans arrière-pensée. Je ne l'ai jamais vu sur un plateau TV (même chez Ruquier !), ni écouté dans un interview à la radio... Je ne sais d'ailleurs pas pourquoi, cela ne s'est jamais trouvé, c'est tout.
Alors qu'elle était très critiquée lors d'une rencontre littéraire dans une médiathèque de ma région, j'ai demandé à la bibliothécaire, pourquoi alors elle achetait ce livre s'il était si "nul" que ça. Elle a avoué, d'abord ne pas l'avoir lu ce que je peux comprendre vu l'étendue de la parution littéraire, mais savoir d'avance que ce livre serait très demandé par les lecteurs.
Alors pourquoi les gens aiment-il lire Christine Angot ?
Je pense tout simplement, sans aller chercher plus loin, que c'est parce que son histoire les touche. Les lecteurs et lectrices ne sont pas idiots. Certains peut-être le font par simple curiosité, d'autres parce qu'elle parle de façon réaliste...
Bref, j'aime me faire ma propre idée et je découvre donc l'auteur à travers ce dernier livre qui, pur hasard pour moi car je viens de l'emprunter à la médiathèque, vient d'obtenir lundi dernier le Prix Décembre 2015, un prix moins connu que les autres prix décernés cette semaine, mais qui rapporte tout de même à l'auteur 30 000 €.
Christine Angot prend ainsi sa revanche contre les nombreuses critiques littéraires qui ne lui ont jamais fait de cadeau dans le passé.
Elle est l'auteur d'une vingtaine de romans dont certains ont été dotés de prix comme par exemple, "Une partie du coeur" et "Les Désaxés" (Prix France Culture 2005), "Rendez-vous" (Prix de Flore, 2006) et "Une semaine de vacances" (Prix Sade, 2012 qu'elle a refusé).
L'originalité de son dernier roman, "Un amour impossible" est qu'elle ne fait pas de son père, l'auteur du "crime", le personnage principal, ni de l'inceste, d'ailleurs, le sujet principal. Le mot même "inceste" n'est jamais prononcé, les détails jamais énoncés. C'est Rachel, sa mère qui est le personnage central du livre, SA mère, qui pendant longtemps lui apparaîtra comme fautive...parce qu'elle n'a pas su voir, pas su parler, pas su se révolter, face au drame vécu par sa fille.
Le roman débute par le récit de la rencontre entre ses parents dans les années 50 à Châteauroux.
Dès la première phrase le lecteur comprend que la rencontre entre Rachel, très belle, mais issue d'un milieu modeste qui travaille à la Sécurité sociale comme simple dactylo et Pierre, son père, qui est issu d'un milieu bourgeois, parle plusieurs langues et "après de longues études" commence à peine à travailler à 30 ans (il est traducteur à la base militaire américaine), ne pourra pas durer : ils sont de deux milieux sociaux trop différents...
Follement amoureuse, Rachel sait dès le départ qu'ils ne se marieront pas. Elle l'accepte sans discuter comme elle acceptera l'enfant qui arrivera, puis la séparation inéluctable...
Elle n'est pas de son milieu, certes et ferait "tâche" dans sa famille et en plus elle est juive ce qui dans ces années d'après guerre, n'est pas convenable dans une famille parisienne d'origine alsacienne comme celle de Pierre.
Rachel, elle-même abandonnée par son père, parti lorsqu'elle avait 4 ans, vit seule avec sa mère qui accepte l'enfant à naître...
Christine est une petite fille adorable et aimante. Elles vivent heureuses dans la petite maison vétuste au jardin magnifique qui va jusqu'à la rivière, et restent ensemble jusqu'à la mort de la grand-mère qui va les obliger à vendre la maison et à s'installer dans un immeuble.
Pendant longtemps Pierre ne prendra aucune nouvelle, ne versera aucune pension pour Christine, refusera de la reconnaître et de lui donner son nom. Rachel ne veut rien demander. Mais, lorsqu'il reprendra contact épisodiquement, pour venir les voir une fois par an et passer la journée avec elles, chaque fois, Rachel en sera heureuse.
Elle ne regrettera pas d'avoir déménagé pour se rapprocher de lui qui travaille maintenant à Strasbourg. Même si toutes deux se sentent souvent seules loin de leurs connaissances et famille restés à Châteauroux.
Christine est devenue subitement une adolescente révoltée et agressive. Elle reproche constamment à sa mère ses erreurs de grammaire, ses manières, son manque d'érudition. Elle prend plaisir à la diminuer et l'humilier, la comparant trop souvent à son père qu'elle voit de plus en plus souvent, qui l'emmène pour le week-end et la sort au restaurant.
Un jour André, un ami de la famille, explique à Rachel ce qui se passe réellement entre Pierre et Christine, lorsqu'ils sont seuls...Le choc est immense : Rachel en tombe malade.
Elle est effondrée car elle n'a rien vu ! Elle qui était si heureuse que Pierre reprenne contact avec elle et voit sa fille...
Depuis que Rachel est au courant, Christine lui en veut de plus en plus : parce qu'elle n'a rien vu, rien fait et rien dit...ni trouver les mots pour en parler.
Elle n'arrive même plus à l'appeler "maman"...
Cela durera pendant des années.
Envolée leur ancienne complicité...
L'amour entre une mère et sa fille n'est donc pas intemporel ?
Ce que j'en pense
Dans ce roman, l'auteur nous parle d'abord d'amour maternel, de tendresse infinie, de la complicité entre Christine et sa mère, de l'amour fusionnel qu'elles partagent toutes les deux, ...un amour qui deviendra impossible au fur à et mesure que Christine grandit et qui ne pourra renaître qu'une fois les années passées et le pardon possible.
L'auteur nous parle aussi de l'amour et de l'admiration sans bornes de Rachel pour Pierre (autre amour impossible), de la difficulté pour sa mère, de sortir de l'emprise psychologique de son père, car il s'agit bien de cela : Rachel est très amoureuse et littéralement fascinée par le monde érudit et bourgeois de Pierre. Elle accepte tout de lui : vivre sans lui, élever sa fille toute seule en étant mère-célibataire, ce qui n'était pas facile en ce temps-là, ne pas se marier, et pendant longtemps ne pas s'attacher à quelqu'un d'autre...
Lorsque Pierre reprend contact et que de véritables retrouvailles ont lieu à l'adolescence de Christine, Rachel pense que cela ne peut que lui faire du bien de connaître son père : elle est très heureuse ce qui l'aveugle complètement.
Le lecteur sait pourquoi Pierre s'est rapproché d'elles, mais l'auteur ne le dit pas...pas tout de suite. On ne sait pas exactement quand tout cela se produit...et on ne l'apprendra qu'à la fin du roman, ce qui rend encore plus machiavéliques, les actions du père.
Son manque de respect pour Rachel malgré l'amour qu'elle lui porte, s'oppose à la teneur de ses lettres, toujours très polies, voire gentilles dans lesquelles il apparaît comme un vrai gentleman, mais pas du tout comme un érudit.
Le lecteur est d'ailleurs surpris qu'il s'exprime ainsi. On dirait qu'il écrit à quelqu'un intellectuellement diminué ou beaucoup plus jeune...
Christine, arrivée à l'âge adulte, sera capable d'analyser le comportement machiavélique de son père et des relations malsaines qu'il entretenait avec Rachel, qui elle aussi, était sous une autre forme, une victime.
Elle arrivera à s'exprimer sur le mal qu'il lui a fait...sans animosités ni rancoeur.
Elle comprend alors que sa mère avait tant perdu confiance en elle-même, et dans leur amour fille-mère, qu'elle ne pouvait plus avoir confiance dans sa perception des choses, ne pouvait pas comprendre la différence entre une crise d'adolescence normale et un rejet profond lié à un traumatisme.
C'est stupéfiant !
La narratrice (l'auteur donc) est persuadée finalement que sa mère a fait ce qu'elle a pu si on regarde d'où elle venait, pour évoluer avec son temps et néanmoins s'émanciper, tout en gravissant les échelons de l'échelle sociale.
Les dernières pages éclairent d'un jour nouveau toutes les précédentes...
Certaines choses sont surprenantes : le ton que Pierre emploie dans ses lettres ainsi que le vocabulaire et la banalité de ses propos qui contrastent avec son érudition ; le détachement de la narratrice quand elle parle de sa mère : elle emploie "elle" ; les dialogues entre mère et fille qui, eux aussi peuvent sonner très justes par moment puis devenir improbables, l'instant suivant.
Le style de l'auteur est très réaliste mais parfois trop haché : elle alterne les styles d'écriture, ce qui rend le récit moins fluide.
Les dialogues reproduisent au plus près, jusque dans leur écriture parfois phonétique, répétitive, sans ponctuation ou au contraire, ponctués de points d'exclamations, les mots qui ont peut-être été dits réellement ou auraient pu être dits, qui ont été imaginés partiellement ou en totalité, ou retrouvés parmi les souvenirs de l'auteur.
Ces dialogues très imagés alternent avec des descriptions précises des lieux, des rencontres, des situations...
On a reproché à l'auteur d'écrire comme elle parle... mais cela ne m'a pas vraiment gêné, ni surprise car cela donne davantage de réalisme à son propos.
N'oublions pas que sa mère est d'un milieu social modeste et s'exprime simplement, comme beaucoup de gens autour de nous, ce qui n'en fait pas pour autant des êtres inintéressants.
Est-ce que le monde littéraire reprocherait à Christine Angot d'être originaire d'un milieu modeste ?
Heureusement d'après le journal libération ce dernier roman est "le roman par lequel bien des lecteurs se réconcilieront avec Christine Angot."
J'ai donc apparemment bien fait de commencer par celui-là...car il a su me toucher.
A NOTER
En primant ce roman autobiographique (ou d'auto-fiction), c'est une façon de nous rappeler qu'environ 20 % des femmes et 5 à 10 % des hommes, dans le monde, disent avoir subi des violences sexuelles dans leur enfance. [Sources OMS]
Aujourd'hui en France, on considère que les chiffres sont d'un enfant sur 24, victime d'inceste et je ne parle pas des autres violences sexuelles...
De plus, le plus souvent à l'âge où ils pourront s'exprimer et où ils auront le courage de porter plainte, il y aura prescription et impossibilité de prouver les faits, comme l'explique très bien l'auteur dans l'interview accordée au Monde "Il n'y a pas de vérité hors de la littérature" à consulter ICI.
Vous en doutiez ?
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