Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ce roman qui fait partie des "Souvenirs d'enfance" de l'auteur est la suite de "La gloire de mon père".
La chasse continue...Tous les matins Jules et Joseph réveille le petit Marcel qui s'habille en silence pour ne pas réveiller Paul, son petit frère. Il a un rôle important maintenant puisqu'il les aide à rabattre le gibier.
Un matin alors que Marcel s'approche d'un oiseau pris au piège, il fait la connaissance de "Lili, des Bellons", le fils de François, le paysan qui les a aidé à transporter leurs meubles au début des vacances.
"Hé ! l'ami !" Je vis un garçon de mon âge qui me regardait sévèrement.
"Il ne faut pas toucher les pièges des autres, dit-il. Un piège, c'est sacré !
- Je n'allais pas le prendre, dis-je. Je voulais voir l'oiseau".
Il s'approcha : c'était un petit paysan. Il était brun, avec un fin visage provençal, des yeux noirs, et de longs cils de fille." (p.12)
Ensemble les deux garçonnets vont courir la campagne, poser des pièges et rapporter leur butin quotidien à la maison.
Lili fait découvrir à Marcel des endroits secrets comme le passage à travers la montagne du Taoumé et la grotte du "Grosibou" où ils se réfugient un jour d'orage, mais ne dévoilera jamais l'emplacement des sources...
Lili lui apprend les plantes sauvages de la garrigue, les salades et les champignons, les oiseaux et les autres animaux sauvages.
Marcel, en échange, lui parle de la ville, de ses lumières... Lili reste souvent pour manger avec eux et participe ainsi à la vie de famille.
Mais octobre et la rentrée des classes approchent. La veille du départ, Marcel est bien décidé à partir se cacher dans la montagne pour y vivre en ermite. Il organise avec Lili sa retraite dans la grotte du "Grosibou". Les deux amis se mettent en route dans la nuit courageusement...
Mais, mystérieusement, les éléments s'en mêlent : des ombres les suivent, des bruits bizarres et inconnus les font sursauter et finalement, la présence dans la grotte du grand duc aux serres crochus pouvant à tout instant leur crever les yeux, plus l'insuffisance du débit de la source située à proximité, les obligent à rentrer à la Bastide. Marcel est honteux d'avoir eu peur mais finalement soulagé.
Il fera sa rentrée comme les autres...mais avec la promesse de ses parents de revenir à Noël et aux petites vacances.
Lili lui écrit et l'attend.
"Le soir, dans mon lit, je relus le message de Lili, et son orthographe me parut si comique que je ne pus m'empêcher d'en rire... Mais je compris tout à coup que tant d'erreurs et de maladresses étaient le résultat de longues heures d'application, et d'un très grand effort d'amitié : alors, je me levai sans bruit sur mes pieds nus, j'allumai la lampe à pétrole, et j'apportai ma propre lettre, mon cahier et mon encrier sur la table de la cuisine. Toute la famille dormait : je n'entendais que la musique du filet d'eau qui tombait dans la cuve de zinc, au dessus de l'évier.
Je commençai par arracher d'un coup sec, trois pages du cahier : j'obtins ainsi les dentelures irrégulières que je désirais. Alors, avec une vieille plume, je recopiai ma trop belle lettre, en supprimant la phrase spirituelle qui se moquait de son tendre mensonge. Je supprimai aussi au passage, les s paternels ; j'ajoutai quelques fautes d'orthographe, que je choisis parmi les siennes : les orthollans, les perdrots, batistin, la glue et le dézastre. Enfin, je pris soin d'émailler mon texte de quelques majuscules inopinées. Ce travail délicat dura deux heures, et je sentis que le sommeil me gagnait... Pourtant, je relus sa lettre, puis la mienne. Il me sembla que c'était bien, mais qu'il manquait encore quelque chose : alors, avec le manche de mon porte-plume, je puisai une grosse goutte d'encre, et sur mon élégante signature, je laissai tomber cette larme noir : elle éclata comme un soleil. " (p.110-111)
Marcel rêve de garrigue, de liberté, de pièges et même du "Grosibou"...
De retour des huit jours féériques passés à la Bastide durant les vacances de noël, Augustine obtient en cachette de Joseph, une modification de l'emploi du temps de Joseph qui sera désormais libéré le lundi matin. C'est tous les week-end désormais que la famille va se rendre à la Bastide neuve. Mais la route est bien longue...
Aussi lorsque Joseph rencontre Bouzigue, un ancien élève devenu gardien du canal et que celui-ci lui propose la clé, permettant d'ouvrir toutes les portes qui donnent accès au chemin de bordure et de gagner ainsi, plus de deux heures de route, celui-ci finit par faire une petite entorse à sa droiture et à accepter !
Mais ce raccourci traverse des propriétés privées ! C'est une source d'angoisse permanente pour Augustine, d'autant plus qu'un des propriétaires habitant un magnifique château n'est pas d'accord de voir cette famille franchir clandestinement les portes de sa propriété toutes les semaines...
Le garde est aussi affreux que féroce et il les guette derrière ses volets clos pour mieux les confondre. Un jour, il les attend... et toute la famille doit rebrousser chemin.
Joseph se met à redouter le blâme voire la révocation, lui qui est sur le point d'obtenir les Palmes académiques.
Mais Bouzique le sauve encore une fois...
Le dernier chapitre évoque avec pudeur la mort d'Augustine. Pagnol a 15 ans.
"...je marchais derrière une voiture noire, dont les roues étaient si hautes que je voyais les sabots des chevaux. J'étais vêtu de noir, et la main de petit Paul serrait la mienne de toutes ses forces. Om emportait notre mère pour toujours.
De cette terrible journée, je n'ai pas d'autres souvenirs, comme si mes quinze ans avaient refusé d'admettre la force d'un chagrin qui pouvait me tuer."
Il ne sait pas encore que durant la Grande Guerre, son grand ami Lili disparaîtra lui aussi, ni que son petit Paul devenu plus grand que lui, mourra à son tour dans une clinique, à l'âge de 30 ans.
"Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins.
Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants".
Des années après, alors qu'il cherche près de Marseille un lieu de tournage, pour sa Société de films, il achète un domaine sans l'avoir vu (il habite alors à Paris) pour y installer sa "Cité du Cinéma". Lorsqu'il arrive au domaine, il s'aperçoit que c'est...le château de sa mère, celui où le garde la faisait trembler de peur...On l'appelle aujourd'hui le Château de la Buzine.
"Mais dans les bras d'un églantier, sous des grappes de roses blanches et de l'autre côté du temps, il y avait depuis des années une très jeune femme brune qui serrait toujours sur son cœur fragile les roses rouges du colonel. Elle entendait les cris du garde, et le souffle rauque du chien.
Blême, tremblante, et pour jamais inconsolable, elle se savait pas qu'elle était chez son fils".
C'est un très beau livre sur l'amitié, le partage du savoir, le plaisir des jeux simples et la liberté, mais aussi l'amour filial.
L'écriture est magnifique et très poétique, l'émotion est bien présente et le lecteur ne peut que s'attacher aux enfants qui apportent au récit leur fraicheur, leur spontanéité et leurs rêves.
De plus en le lisant, on réalise la diversité de la flore et de la faune qui existaient en ce temps-là dans la garrigue, aux portes de Marseille.
Les temps ont bien changé à présent.
Je ne sais pas combien de fois cela fait que je lis et relis ce roman dans ma vie...Quatre fois ? Cinq fois ?
J'ai l'impression, alors que des phrases entières me reviennent, et que je connais quasiment par coeur la chronologie des événements de découvrir encore des passages... mais aussi, étonnamment que cela puisse paraître, j'entends encore la voix de ma grand-mère me lisant à haute voix certaines phrases.
Un extrait du film d'Yves Robert