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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

L'amour et les forêts / Éric Reinhardt

L'amour et les forêts / Éric Reinhardt

Aucun lecteur ne pourra oublier Bénédicte Ombredanne...cette femme idéaliste, éprise de liberté et de mots mais entravée par ses peurs et surtout brisée par son mari.

L'auteur nous livre ici un roman puissant et une héroïne magnifique. 

Il a obtenu le prix Renaudot des Lycéens 2014...vous pouvez voir l'ensemble de la sélection ICI.

J’avais besoin de me prouver que je pouvais me dégager de son emprise, prendre des initiatives qui ne concernent que ma personne, secrètement, comme une femme libre. Je n’ai pas capitulé. Je suis toujours vivante. Je suis seule à diriger ma vie, contrairement aux apparences.

Après la nuit qu’ils avaient traversée, une chance unique s’était offerte à Bénédicte Ombredanne de quitter son foyer, tout du moins pour un certain temps, afin de montrer à son mari qu’elle avait repris le dessus et qu’il devait la respecter. Mais elle ne se pose pas la question de savoir si elle le pouvait, si elle devait la saisir : elle se remit d’elle-même dans la routine de sa vie familiale.

C'est l'histoire d'un écrivain (l'auteur) qui décide de rencontrer une de ses ferventes lectrices parce qu'il a été ému par sa lettre. Elle, Bénédicte Ombredanne, lui confie que la lecture de son précédent roman (Charlotte ?) a changé sa vie et lors de leur première rencontre, ils ne vont parler que de littérature. Mais quelques mois plus tard, lors de leur deuxième rencontre,  elle lui fera des confidences précises sur sa vie car Bénédicte Ombredanne est harcelée par son mari.

Elle lui raconte alors le calvaire quotidien que son mari lui fait subir.

Cette femme brillante, discrète et effacée, agrégée de lettres et enseignante de français dans un lycée de Metz est mère de deux enfants : Lola, 12 ans et Arthur, 5 ans. A 37 ans, elle a tout pour être heureuse et une furieuse envie de vivre...

Un soir, après avoir écouté une émission de radio, Jean-François (son mari) s'enferme dans sa chambre où elle le retrouve en pleurs. Il vient de comprendre qu'il était un "harceleur certifié" et il la supplie de lui pardonner. Elle aussi a un sursaut de lucidité ce soir-là. Elle en a marre de ses crises.

Épuisée, elle a soudain envie de retrouver sa liberté. Elle s'inscrit alors sur un site de rencontres sous le pseudo @fionarose et après de nombreux échanges (trés réalistes), elle entre en contact avec @Playmobil677, alias Christian qui arrive à la toucher et avec qui elle fixe un rendez-vous.

Bénédicte Ombredanne va le retrouver chez lui dans la région de Strasbourg dans sa maison située au bord d'une forêt...

Après cet après-midi lumineux où elle s'est sentie exister, elle va retourner pourtant à sa vie, affronter son mari devenu de plus en plus jaloux parce qu'elle arrive chez elle en retard et furieux parce qu'elle n'a pas fait les courses hebdomadaires.

Brimades, insultes en tous genres, humiliations ne cessent jamais, même la nuit où il la réveille à 3 heures du matin pour lui poser des questions auxquelles elle a déjà répondu, et auxquelles il faudra encore répondre jusqu'à l'épuisement...Lola, sa fille, profite de la situation pour relâcher son travail scolaire, se révolter et provoquer sa mère.

Sous pression, Bénédicte Ombredanne craque et se montre incapable de garder son secret : elle finit par avouer sa liaison d'un jour à son mari. Elle n'arrive ni à parler autour d'elle de ce qu'il lui fait subir (même à son amie et on le saura plus tard à sa soeur) ni à partir...

Mais depuis qu'elle a vécu ce jour extraordinaire pour elle, il y a deux ans maintenant, où elle a vécu cet après-midi d'amour et de bonheur absolu, son mari est devenu encore plus violent et pervers, la questionnant sans cesse, l'obligeant à raconter encore et encore les détails de cette rencontre, l'humiliant, l'écrasant, la culpabilisant...

Elle qui voulait juste être aimée et exister dans le regard de l'autre...en tombe malade et se réfugie dans l'écriture grâce à laquelle elle revit chaque instant de cette journée merveilleuse. Elle y pense "comme à une île sublime et odorante, charnelle, sonore, dont les splendeurs s'intensifiaient à mesure que les jours s'écoulaient, et que s'amenuisait la possibilité qu'elle puisse jamais les retrouver"...

D'après ce que j'ai pu constater, elle ne portait que des couleurs sombres, elle était chaussée de bottines à lacets, elle arborait de la dentelle et des bijoux anciens, elle affectionnait le velours grenat ou véronèse de certaines vestes de coupe cintrée qu'on trouve dans les friperies. Cette allure évoquait l'univers symboliste d'Edgar Poe et de Villiers de l'Isle-Adam, de Maeterlinck, de Huysmans et Mallarmé, un univers crépusculaire et pâli où les fleurs, les âmes, l'humeur  et l'espérance sont légèrement fanées, délicatement déliquescentes, dans leur ultime et sublime flamboiement, comme une mélancolique et langoureuse soirée d'automne, intime, charnelle, toute de velours et de rubans soyeux, rosés, rouge sang.

elle ne percevait pas l’effondrement de son mari comme une victoire qui lui offrait la possibilité de faire évoluer leurs rapports, elle le vivait comme la preuve encombrante, honteuse, spectaculaire de sa culpabilité.

Ce que j'en pense

Je n'aurai jamais pensé qu'un auteur homme puisse décrire avec autant de délicatesse et de tendresse les sentiments d'une femme. Je n'avais jamais rien lu de cet auteur et comme d'habitude la découverte de ce roman me donne envie de me plonger dans ses autres écrits. Il a su me toucher et me révolter à la fois. Il nous donne envie par moment de secouer Bénédicte Ombredanne On voudrait pouvoir lui parler, la soutenir car on la sent fragile mais aussi la conseiller pour l'aider à prendre la bonne décision...

Dans ce roman très oppressant qui va crescendo du début à la fin, le lecteur n'a jamais le temps de reprendre son souffle.

C'est finalement l'histoire d'une femme incapable de se libérer et d'échapper à sa condition d'épouse et de mère mais surtout qui ne se donne pas le droit d'être heureuse.

Ce qui est terrible c'est que même ses enfants ne l'aiment pas (c'est dur à dire mais elle non plus finalement)...Les enfants se placent  immédiatement du côté du père qui d'une certaine façon a autant de pouvoir de persuasion sur eux que sur elle.

Mais c'est aussi un roman sur le pouvoir thérapeutique de l'écriture (et de la lecture) et sur la création littéraire.

Le lecteur se pose plein de questions...

Comment peut-elle supporter ce harcèlement permanent ?

Pourquoi ne quitte-t-elle pas ce "monstre" en demandant le divorce ? On est au XXIe siècle !!

Comment une femme aussi brillante et avide de mots peut-elle se laisser détruire parce qu'elle a tout simplement besoin d'être aimée ?

La complexité de la personnalité de Bénédicte Ombredanne sera révélée à la fin du roman et le lecteur se posera encore de nombreuses questions tout en trouvant certaines réponses mais chut... ne comptez pas sur moi pour vous raconter ce qui advient dans le dernier tiers de ce roman et qui est très révélateur !!

Car finalement, a-t-elle vraiment vécu cet après-midi de bonheur ou l'a-t-elle rêvé pour échapper à son quotidien ?

L'auteur a eu envie d'écrire ce roman suite aux nombreux courriers échangés avec des lectrices après la sortie de son livre "Cendrillon" en 2007. Il s'est appuyé sur des témoignages authentiques pour inventer ce personnage de femme harcelée par son mari. C'est après sa rencontre dans un train, avec une femme qui lui a fait des confidences sur sa vie, qu'il a batti la trame de ce roman.

Il nous livre ici l'histoire d'une Emma Bovary modernisé mais encore plus dramatique.

Ses nombreuses références littéraires donnent une richesse incomparable à son écriture et une ampleur encore plus romanesque comme par exemple la parenthèse où il retranscrit une nouvelle de Villiers de L'isle-Adam, auteur préféré de Benédicte Ombredanne et de l'auteur, nouvelle que je ne connaissais pas mais d'une grande beauté.

Son réalisme et sa description parfois très crue de notre monde moderne (comme le passage hilarant sur les échanges "sexe" via meetic) ancre son histoire dans la réalité contemporaine.

Ce roman est merveilleusement écrit et même si le sujet est dérangeant, il a le mérite de parler des femmes opprimées et harcelées dans un milieu qui est loin d'être celui d'un cas social.

Car c’est ma grande terreur, c’est que ma vie s’écoule inutilement comme de l’eau d’un robinet qu’on a oublier de fermer, ou d’un robinet qui fuit.

Elle sentait qu'elle régressait de jour en jour dans une délicieuse irresponsabilité, enfin elle lâchait prise et pour la première fois de toute son existence elle se laissait sombrer au plus profond d'elle-même avec délectation sans avoir peur d'abandonner la réalité à son triste sort.

Quel bonheur que d'écrire, quel bonheur que de pouvoir, la nuit, souvent la nuit, s'introduire en soi et dépeindre ce qu'on y voit, ce qu'on y sent, ce qu'on entend que murmurent les souvenirs, la nostalgie ou le besoin de retrouver intacte sa propre grâce évanouie, évanouie dans la réalité mais bien vivante au fond de soi.

Elle avait adoré ça, à 18 ou 19 ans, lire la nuit dans le silence de leur maison, quand tout le monde dormait et qu’elle était seule à veiller, environnée des ténèbres de la campagne, enfin libre et vivante, éclairée de l’intérieur par le bonheur de la lecture.

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G
Et bien je pense qu'il y a moult différences avec le film... En même temps, en moins de 2h, on ne peut pas rentrer toutes les détails et subtilités d'un roman. Mais déjà, dans le film il n'est pas question d'un auteur qui raconte une femme. Et l'héroïne ne se plonge dans l'écriture que sur la fin.
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P
Ce roman reçoit des critiques élogieuses, mais bon, une fois de plus, je ne me rallierai pas à la masse ! Je n'ai pas aimé ce bouquin. Je n'ai pas aimé cette femme trop molle, trop faible, que je n'ai pas pu plaindre puisqu'elle n'avait qu'à quitter son tortionnaire ! Tout est trop long dans ce bouquin : les phrases, les chapitres, les descriptions,.. Par contre, contrairement à toi, j'ai apprécié la partie où la soeur raconte l'enfer de sa jumelle. Et puis vient le dernier chapitre. Je n'ai pas compris comment le prendre...
Répondre
M
Tu as parfaitement le droit de ne pas aimer ! Moi aussi, assez souvent même je te rassure, je ne me rallie pas à la masse...C'est une amie d'ailleurs qui me l'avait fait découvrir et je l'avoue, nous en avions beaucoup discuté ensemble car il y a des zones d'ombre dans ce livre que nous nous ne savions pas comment interpréter. En tous les cas je suis sue ce blog toujours sincère et je dis toujours ce que je pense ! Merci de ton ressenti