Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Le cas Eduard Einstein de Laurent Seksik

Le cas Eduard Einstein de Laurent Seksik

L'histoire

Eduard, Einstein, le fils oublié d'Albert Einstein, a vécu une grande partie de sa vie dans un asile de Zurich. Diagnostiqué schizophrène à l'âge de vingt ans, il n'a plus revu son père pendant des décennies, celui-ci ayant émigré aux États-Unis.

Albert a rencontré sa première femme Milena, alors que tous deux étaient étudiants. Ils ont eu trois enfants mais leur première petite fille, qu'ils ont eu avant le mariage a été placée (abandonnée ? cachée ?) en nourrice et n'a pas survécu. Cela a été leur premier drame, tenu caché juqu'en 1986, lorsque la correspondance entre Milena et Albert a été découverte, correspondance qu'elle aurait du détruire, à la demande d'Albert, ce qu'elle n'a pas pu faire.  Puis après leur mariage ils ont eu les garçons : Hans-Albert et Eduard  sur la photo ci-dessous avec leur mère.

Photo internet

Photo internet

Lorsqu'ils partent vivre à Berlin, Milena, qui se retrouve souvent seule avec les garçons, devient jalouse et découvre un jour qu'elle est trompée. Humiliée, elle va retourner vivre à Zurich où elle se sent mieux. Albert ne viendra que rarement les voir. Le couple se sépare, puis divorce. Albert se remarie. Milena souffre...se replie sur ses enfants, provoquant chez eux une véritable haine pour leur père.

Mais Eduard va de moins en moins bien. Il entend des voix, devient violent et le jour où il s'en prend à sa mère, les voisins appellent la police. Sur l'avis du médecin de famille, il est interné à Brughölzli. Il y restera jusqu'à sa mort, ne sortant que pour quelques week-end pour voir sa mère, puis après la mort de celle-ci, pour se rendre dans une famille d'accueil.

Voilà le destin tragique du fils d'Albert ! Que de gachis à une époque où les soins psychiatriques en sont encore à leurs balbutiements...

Ce que j'en pense :

"Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution", écrira Einstein, alors qu'il se trouve en exil aux USA et n'a pas vu son fils depuis des années. Il faudra qu'il arrive à un âge avancé pour réaliser qu'aller voir son fils lui fait peur, et qu'il ne peut surmonter cette faiblesse.

Lâcheté ? Impuissance ? Refus de regarder la folie en face ? Culpabilité ? Qu'importe ! Cela n'enlève rien au "grand homme".

Ce qui fait la richesse de ce roman c'est que les trois personnages principaux s'expriment à tour de rôle et que les événements sont relatés de leurs points de vue. En effet, tous trois sont meurtris et souffrent à leur façon. L'auteur ne porte aucun jugement et le lecteur non plus...

La première voix est celle d'Eduard, le fils caché, personnage central de ce récit. Il a 20 ans, en 1930, lorsqu'il est diagnostiqué schizophrène et est interné à l'asile de Zurich. "Avoir pour père le génie du siècle ne m'a jamais servi à rien" dira Eduard. Pourtant il a été un adolescent brillant, excellent pianiste, il a commencé ses études de médecine et rêvait de devenir psychiatre ! Mais il a un lourd héritage génétique (la soeur de sa mère avait été elle-même internée). Il ne se remet pas de l'abandon de son génie de père. Il est pourtant malgré sa maladie extrêment lucide sur son sort, ce qui le rend encore plus attachant.

La deuxième voix est celle de Milena, sa mère, d'origine serbe, donc catholique orthodoxe. Elle a connu Albert, alors que tous deux étaient étudiants et il l'a épousé en désaccord avec sa famille. Étudiante brillante, elle, qui avait été la seule fille à être admise à l'école Polytechnique de Zurich, renoncera à sa passion pour les mathématiques pour s'occuper de ses enfants mais permettra par ce renoncement à décharger Albert de tout, ce qui lui permettra de devenir un "grand homme". Peut-être a-t-elle même participé à certains de ses travaux qui lui ont permis de devenir célèbre ? 

Sa seule erreur, avoir été amoureuse d'Albert ! Un vrai gachis...Elle vieillira seule, abandonnée du seul homme qu'elle a aimé, mais qui l'aidera pourtant financièrement jusqu'au bout.

La troisième voix est celle d'Albert Einstein, homme de génie, prix Nobel de Physique, qui a publié la "théorie de La relativité", contribué au développement de la mécanique quantique et qui est de loin le plus grand génie du XXe siècle. Le lecteur découvre qu'il était aussi un homme...tout simplement !

Tour à tour, homme à femmes, mari égoïste pour Milena, sa première femme, et père absent, il quittera sa famille en 1914, abandonnant Milena seule à Zurich, ne voyant que rarement ses deux enfants pour épouser, Elsa, sa cousine, donc juive comme lui, et nettement préférée par sa famille. Puis il fuira  le nazisme et s'exilera en 1933 à Princeton où il sera surveillé par le FBI, puis accusé de communiste...

Le lecteur découvrira aussi l'existence du fils aîné, Hans-Albert, exilé lui aussi aux États-Unis qui, lui aussi a vécu dans l'ombre de ce père absent. Il s'est détaché de lui, lassé et  blessé de s'entendre dire : "Si Einstein avait un fils cela se saurait, comment pouvez-vous affirmer être le fils d'Einstein ? ".

En effet Albert Einstein ne parlait jamais dans ses écrits de sa vie privée et de ses enfants.

Pour conclure

La vie d'Eduard Einstein, fils méconnu d'Albert, est prétexte à parler du savant, de sa vie intime, mais aussi de son oeuvre et des problèmes que ses idées ont pu lui causer, lui qui était un pacifiste. Il regrettera par exemple toute sa vie d'avoir poussé Roosevelt à  lancer le projet de bombe atomique. C'est aussi un bon prétexte pour l'auteur pour parler de la schizophrénie, et des tentatives de traitement de l'époque.

 

Au-delà du drame personnel de cette famille brisée, le lecteur ne peut pas passer à côté du contexte historique : les années 30, la montée du nazisme, la guerre et l'après-guerre, le climat délétère du maccarthysme (une période de l'histoire américaine_1950-1954 _pendant laquelle le sénateur Joseph Mc Carthy et sa commission traqua sans relâche des personnalités prétendûment communistes et leurs amis). L'auteur choisit de donner la parole aux journaux, à la radio... pour relater  ces événements.

 

Ce roman, car c'est un roman et il ne faut pas l'oublier, a été controversé par des biographes connus. L'auteur prend bien sûr certaines libertés avec les faits réels. Il imagine les pensées de ses personnages. Ayant été lui-même médecin en psychiatrie, il imagine le désarroi d'Eduard pour mieux toucher le lecteur. Il modifie donc certains faits, voire certaines dates...

C'est un roman très bien écrit. L'analyse des personnages est très intéressante.

L'auteur qui a déjà réalisé une biographie d'Albert Einstein en 2008 s'est bien documenté. Il évite la lourdeur de certaines biographies en faisant alterner dans son récit les trois personnages.

Eduard s'adresse directement au lecteur en nous livrant ses pensées, ses expériences vues de son point de vue de malade ce qui rend les propos encore plus poignants. Puis le narrateur intervient pour parler de Milena ou d'Albert....de leurs vies brisées, de leur solitude, de leur impuissance.

Les voilà malgré tout réunis par le malheur !

 

A la fois roman et récit de vie, ce livre met l'accent sur des aspects méconnus de la vie du grand génie.

Le lecteur retiendra que l'on peut être un grand homme et avoir ses propres faiblesses, ce qui nous rend ce génie finalement plus humain.

A lire absolument  !

Je n'avais encore rien lu de cet auteur mais je n'hésiterai pas à emprunter en médiathèque, à acheter ou à offrir ses autres livres.

Ce roman n'a pas obtenu le Prix Goncourt 2013 et c'est dommage. En tous les cas je le trouve bien meilleur que le Prix Goncourt de l'an dernier mais je n'ai pas encore lu celui de cette année.

A suivre !

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
Hi Manou, I am quite happy that you discovered that 'l'auteur prend bien sûr certaines libertés avec les faits' - although I doubt that you really found all those which eventually make this 'roman biographique' a completely fictional story abusing a name (or three names) that is/are always good for the sales promotion.- Unfortunately, you are one of the very few who challenge the veracity of "Le cas" while most readers chantent des louanges of the author (Seksik) who did such a wonderful research: "Ce livre, nous présente les événements tels qu'ils se sont réellement passés, et avec le plus de faits précis possible". Thanks.
Répondre